Djerba demain: Une vision stratégique pour un développement durable, intégré & inclusif (2022-2035)
Par Ezedine Hadj-Mabrouk (EHM)
Djerba, «île couverte de poudre d’or, de verdure et d’oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres [...] où l’air est si doux qu’il empêche de mourir» (Gustave Flaubert, chapitre IX de Salammbô)
I. Contexte
L’île de Djerba va se trouver en 2022 le centre d’attention de tout le monde Francophone. En effet, elle va accueillir du 19 au 20 novembre 2022 le 18ème sommet mondial de la Francophonie qui compte regrouper à Djerba des délégations de haut niveau de 88 Etats et gouvernements francophones. Cette attention sera plus pointue en raison du report de ce sommet qui était initialement prévu dans ce mois même de novembre 2021. Des représentants de la société civile ainsi que des opérateurs économiques prendront part aux différentes manifestations qui y auront lieu. Le sommet sera le plus grand évènement d’envergure jamais organisé à Djerba. Le report du sommet est un mal pour un bien (a blessing in disguise) dans la mesure où Djerba saisisse la rallonge d’une année pour mieux organiser l’évènement, mieux se préparer et surtout pour promouvoir et faire valoir sa vision stratégique pour un développement durable, intégré et inclusif couvrant la période 2022-2035 afin de mieux se positionner et mieux profiter de cette opportunité sans précédent. Djerba sera jusqu’au prochain sommet (le 19ème) la capitale de la francophonie pour l’ensemble de l’Afrique.
Le sommet ainsi que la vision stratégique devraient aussi déblayer davantage le terrain pour l’inscription de l’Ile de Djerba sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Une compagne de soutien à cette inscription a été lancée le 9 janvier 2020 avec comme objectif "la préservation de ce qui fait l’unicité de l’ile de Djerba, à savoir, son patrimoine matériel et immatériel : son mode particulier d’occupation du sol, l’organisation atypique de sa société et sa culture du vivre-ensemble présente sur l’ile depuis des millénaires."(1)
En plus, Djerba est plus menacée en tant qu’ile par le changement climatique. Sa vision stratégique constitue donc le cadre de référence à présenter et à faire prévaloir suite à la récente COP 26(2) pour la réalisation des investissements qui vont découler de ses orientations notamment en mesures et projets d’adaptation, d’atténuation et de résilience de l’ile aux conséquences du dérèglement climatique.
I.1. Processus de concertation et de participation
La présente vision stratégique est une émanation du vaste processus de concertation et de participation conduit principalement dans le cadre du projet PNUD de Plan de Développement Durable Intégré de l’Ile de Djerba(3). Sept ateliers ont eu lieu réunissant près de quatre cents (400) participants. Ces ateliers ont constitué l’ossature du processus. Une soixantaine de personnes environ par atelier représentant l’ensemble des secteurs de l’activité économique, sociale, environnementale et culturelle de l’Ile ainsi que des représentants de la société civile, de la femme, des jeunes et des personnes d’expertise dans l’un des domaines de la vision stratégique ont participé activement à chaque atelier.
En plus, la vision stratégique intègre aussi dans ses huit (8) grandes orientations les cinq axes stratégiques d’interventions prioritaires du processus de validation (deux ateliers) lancé dans le cadre du projet Green Djerba par un collectif d’associations en partenariat avec la coopération allemande (GIZ).
La vision stratégique constitue donc une synthèse des résultats aussi bien de son propre processus de concertation et de participation que des précédents ou concomitants processus d’intérêt. Les orientations retenues par les participants pour les besoins de cette vision sont à même de combler par leur réalisation les déficits de développement constaté dans l’Ile, d’améliorer les conditions de vie de la population Djerbienne ainsi que de promouvoir davantage l’image et l’attractivité nationale et internationale de l’Ile notamment à l’occasion de grands évènements internationaux dans l’Ile tel le 18ème sommet mondial de la Francophonie de novembre 2022 et peut-être même la TICAD 8(4) d’août de la même année. Evènements qui devraient favoriser l’émergence d’un évènementiel fort à Djerba.
II. Une vision stratégique d’un futur souhaite(5)
«Une ville sans vision stratégique ne peut se développer» (Agenda 21 de Djerba)
Plus important encore qu’une ville, une ile sans vision stratégique ne peut ni se développer ni se préserver ! Conscient de cette réalité, les parties prenantes rencontrées et surtout participantes aux ateliers de concertation et de participation ont exprimé de façons diverses des idées pour la formulation d’une vision stratégique de l’Ile de Djerba et ont émis des souhaits au nom de tous les Djerbiens pour une planification stratégique englobant l’ensemble du territoire CAD "l’entité insulaire prise dans sa globalité" (agenda 21 de Djerba). Cette vision stratégique identifie de grandes orientations porteuses de grands thèmes. Les idées et attentes des participants sont synthétisées dans l’énoncé ci-après qui formule la conception globale et les visées de ce que les participants souhaitent accomplir à travers leur démarche collective de réflexion, de concertation et d’échanges:
II.1. Énoncé
Ainsi, les Djerbiens souhaitent faire de leur Ile, cette «terre d’accueil et du vivre ensemble», un pôle économique, touristique et technologique d’importance à l’échelle nationale (voire internationale) avec un développement intégré, durable et inclusif respectueux des principes de la bonne gouvernance et de la protection du patrimoine et de l’environnement.
De cet énoncé d’une vision d’un futur souhaité qui affirme et l’identité et les spécificités de l’Ile, il est retenu les huit (8) grandes orientations stratégiques suivantes (voir figure 1) avec les thèmes qui s’en dégagent et qu’il est recommandé qu’ils soient à la base du futur schéma d’aménagement et de développement de l’Ile et de tout effort et action de planification, de gestion et d’investissement concernant Djerba.
II.2. Vision d’un futur souhaité: Huit (8) Orientations
Orientation Stratégique 1: Ile jardin
«La ghaba qui fait de Djerba une ile-jardin»(6) (Bourgou & Kassah)
Ile jardin: La vision porte à redonner de l’avenir à l’agriculture ancestrale, à revitaliser et embellir son milieu rural et à mettre en valeur son patrimoine paysager. La bonne terre, les terres agricoles qui occupent encore et heureusement plus de 65% de la superficie de l’Ile, le climat dit des « cinq saisons », la pluviométrie la plus élevée de la région (248 mm/an) et les quantités d’eau épurée et à épurer sont là des atouts réels pour verdoyer davantage l’ile et refaire d’elle effectivement l’ile jardin et l’oasis marin telle qu’elle est souvent appelée. L’Agenda 21 de Djerba prévoit «une dizaine d’années à la transformation de Djerba en un immense jardin fleuri, enrichissant ainsi un patrimoine paysager fort utile pour l’activité touristique».
L’Île est appelée à réinvestir dans l’agriculture pour assurer sa prospérité (ou au moins sa légendaire autosuffisance agricole), son attractivité, sa compétitivité et son rayonnement. L’agriculture, les zones vertes, les parcs naturels de loisir, les jardins et les artères et avenues replantées et embellies par le couple historique de l’ile le "palmier & l’olivier" sont toutes des composantes de cette vision qui permet de refaire de Djerba ce qu’elle était ou comme l’appellent Bourgou et Kassah «faire de l’oasis djerbienne un véritable jardin, un paysage paradisiaque résultat de l’effort laborieux de toute une population (hommes et femmes, jeunes et âgés) qui a su, par l’adoption de modes originaux d’organisation spatiale et sociale, vivre en parfaite symbiose avec des ressources en eau et en sol limitées.»(7)
Orientation Stratégique 2: Ile de la bonne gouvernance
«De la légalité à la légitimité et à l’éthique universelle de la responsabilité» (EHM)
Ile de la bonne gouvernance : L’efficacité et la bonne réputation du système de gouvernance de l’Ile sont une condition sine qua none à la création d’une image de marque en Tunisie mais également à l’étranger. Pour cette raison, les Djerbiens souhaitent ériger un système unifié coordonnant et harmonisant les fonctions des communautés urbaines et rurales que regroupe le territoire de l’Ile. Ce système s’appuierait sur la modernisation d’une administration publique dont les fondamentaux seraient la transparence, la compétence, l’intégrité et l’inclusion pour une meilleure efficacité et efficience de l’action publique. «L’enjeu est de mettre en place une coordination efficace dans un contexte de multiplicité des sources d’autorité et de pouvoir» (Juillet, et al., 2001)(8).
Plus concrètement, cela se traduit par la création d’une plateforme de coordination et de décision commune aux trois municipalités sous la forme soit d’une mutuelle soit d’une centrale de services pour les trois délégations soit d’une commune des communes soit encore d’un conseil insulaire. Cette orientation reste valable même avec une nouvelle forme de gouvernance territoriale et la création éventuelle d’un gouvernorat de Djerba (demandé par les habitants) qui pour qu’il soit plus viable et plus cohésif devrait inclure les zones continentales d’entrée à l’ile du Jorf/Boughrara et de Zarzis, englobant ainsi l’ile de Djerba même et l’ensemble du territoire du Golfe de Boughrara.
Orientation Stratégique 3: Ile des traditions & du patrimoine culturel & architectural
«Des valeurs valorisantes à valoriser» (EHM)
Ile des traditions et du patrimoine culturel & architectural: Composante déterminante de son identité, le patrimoine culturel et historique, qu’il soit matériel ou immatériel, qu’il soit architectural, paysager ou cognitif, joue un rôle prépondérant et déterminant dans la vie sociale, culturelle, économique, cultuelle et touristique de l’Île. C’est un héritage collectif spécifique à l’Ile porteur de traditions agricoles, vestimentaires, culinaires, archéologique, architecturales, artistiques, religieuses, musicales et littéraires que tous s’accordent à protéger, à préserver et à mettre en valeur pour les générations présentes et à venir.
Comme le décrit Bourgou & Kassah, «la personnalité djerbienne s’est forgée à travers les siècles. Elle est la résultante d’une longue confrontation avec les défis et potentialités du milieu insulaire, une imprégnation des expériences et savoirs transmis par les civilisations méditerranéennes, un attachement aux valeurs transmises d’une génération à une autre»(9). Cette orientation stratégique vise donc à porter haut cette signature et ce caractère distinctif du djerbien et de Djerba pour en garantir la sauvegarde et la perpétuation, et ce, par la planification, la réglementation, l’éducation, l’information, la sensibilisation, l’investissement, la mobilisation et l’action physique et concrète sur le terrain.
Orientation Stratégique 4: Ile du tourisme durable
«Le tourisme durable, équitable, solidaire, responsable, social…: un brin de compréhension» (Michèle Laliberté)
Ile du tourisme durable: Les prévisions pour le tourisme mondial sont plus que prometteuses. Le nombre de touristes internationaux devrait atteindre 1,8 milliard de touristes d’ici 2030 dont «43 millions de touristes internationaux supplémentaires feront leur entrée chaque année sur le marché du tourisme… une croissance qui offre d’immenses possibilités : le tourisme pourrait être amené à jouer un rôle de premier plan, tirant la croissance économique, le progrès social et la durabilité environnementale(10)».
Cependant, ces prévisions ne tiennent pas compte des aléas et coups que peut recevoir de temps à autre le secteur du tourisme international dans le monde entier suite par exemple à la pandémie du Covid-19, du terrorisme ou de catastrophes naturelles(11). Mais de l’opinion générale, Djerba devait continuer à miser sur ce secteur très porteur et pour très longtemps encore, mais à condition de changer de cap! Changer du mono-tourisme (tourisme hôtelier balnéaire de masse) pour celui de la diversité (y compris des structures d’accueil et des touristes tunisiens), de la qualité et de la durabilité. Du tourisme de la zone touristique à celui de l’Ile touristique. Du tourisme du all-inclusive et du buffet au tourisme du menu, de la dégustation culinaire et des visites de découverte. Du tourisme des tours opérateurs occidentaux (80% de la programmation) au e-tourisme et des professionnels nationaux. Du tourisme gros consommateur d’espace, d’eau et d’énergie (énergétivore) au tourisme économe des ressources naturelles. En d’autres termes, l’Ile souhaite passer du tourisme non durable au tourisme durable. Ce type de tourisme demande l’élaboration d’urgence d’un nouveau plan insulaire de développement touristique accompagné des mesures et des moyens à mettre en place pour son exécution.
Orientation Stratégique 5: Ile de la coexistence religieuse & de la tolérance
«Nos différences nous ressemblent et notre histoire nous rassemble» (EHM)
Ile de la coexistence religieuse et de la tolérance: Symbiose d’une diversité religieuse historique, Djerba a connu tout au long de son histoire (ancienne et contemporaine) un brassage des cultures, des civilisations et des cultes ce qui a forgé son caractère distinctif et sa réputation.
L’origine de la population Djerbienne «vient de pays différents, répartis sur trois continents : L’Afrique, l’Asie et l’Europe. Ce cocktail de cultures ne peut être que riche de valeurs. Le racisme n’existe presque pas, car chacun a appris à vivre en paix avec ses voisins...Ainsi, les différents groupes ethniques cohabitent fraternellement. Qui plus est, malgré l’existence des trois religions chrétienne, musulmane et juive, l’ile est légendaire pour sa diversité religieuse. À cet effet, on dénombre 338 mosquées, 39 synagogues et plusieurs églises catholiques. Djerba est considérée, à juste titre, comme une île de tolérance religieuse(12)».
Les Djerbiens souhaitent donc renforcer et mettre en valeur à travers cette vision stratégique ce caractère distinctif de Djerba (sa signature et son cachet) par l’investissement dans la préservation et la restauration des monuments historiques de toutes les communautés de l’Ile, par l’organisation d’événements inclusifs (telle la journée “Djerba Terre de Paix et de Tolérance” organisée annuellement au début du mois de juin depuis 2013 par l’Association Djerba Ulysse) et de circuits interculturels et intercultuels et par la célébration réciproque et en commun des fêtes communautaires telle les Eids, Noël, pèlerinage d’El Ghriba et bien d’autres encore.
Orientation Stratégique 6: Ile de l’économie sociale intégrée & compétitive
«Small is beautiful» (E. F. Schumacher)
Ile de l’économie sociale intégrée et compétitive: Pour le développement de l’économie de l’Ile, les participants souhaitent par cette orientation le développement de nouveaux plans de développement socio-économiques prônant (a) une économie compétitive à haute capacité de création d’emplois, (b) la formation de ressources humaines compétentes répondant aux besoins présents et futurs du de l’ile, (c) une politique d’intégration et d’inclusion sociale (d) un développement durable et (e) un aménagement du territoire global et efficace basé sur "l’entité insulaire prise dans sa globalité" (agenda 21).
De même et aux yeux de la majorité des intervenants, l’économie et le développement de l’Ile doivent continuer à se baser sur la petite et moyenne entreprise (PME) et sur la toute petite entreprise (TPE) qu’elle soit agricole, touristique, commerciale (l’épicier de confiance), industrielle ou de service. L’industrie doit être maintenue à l’échelle de la petite entreprise avec des filières de spécialisation. Elle doit établir des liens préférentiels pour plus d’intégration avec les activités agricoles de manière à encourager une transformation (agro-industries) sur place des produits du terroir de façon à en faciliter l’insertion dans le circuit touristique, du commerce et même dans le paysage architectural et patrimonial de l’Île. Et elle doit, notamment, s’investir dans les «startups» des technologies en général et de la technologie de communication numérique en particulier pour en faire un atout majeur et une spécialité de l’Ile (une filière de spécialisation) tout en sachant que «la proximité géographique reste une opportunité toujours singulière d’impulser un développement local particulier(13)». Le sommet de la francophonie de Djerba va donner à point nommé une impulsion nécessaire à cette orientation avec son thème principal «La connectivité dans la diversité : Le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone».
Cette orientation renforce donc la vision d’une économie des PME/TPE, des artisans, des agriculteurs, du petit commerce, de la petite industrie(14)(small is beautiful) notamment des technologies de communication et du tourisme culturel, naturel et agro-culinaire . Elle encourage la promotion d’une économie compétitive à haute capacité de création d’emplois basée sur une politique d’intégration sociale et sectorielle et sur des ressources humaines formées, compétentes et travailleuses.
Orientation Stratégique 7: Ile de l’environnement & de la résilience au changement climatique
«L’environnement, c’est nous !» (EHM)
Ile de l’environnement & de la résilience au changement climatique: Enfin, les participants sont conscients qu’aucune des sept autres orientations ne serait possible et durable sans un environnement saint de l’Ile ! Or il se trouve que l’environnement de l’Ile est « meurtri » comme le qualifie Bourgou et Kassah ! Il est malade des déchets (avant même Sfax), de l’insuffisance d’assainissement, de la dégradation et de l’érosion du littoral, des rejets de phosphogypse provenant de la zone industrielle de Gabès, de l’urbanisme à bric-à-brac incontrôlé, du mitage du paysage, de la dégradation de l’agriculture et de la biodiversité tant terrestre que marine, de la perte des terres agricoles les plus fertiles, de la surexploitation des ressources naturelles, de la déficience de l’aménagement du territoire, de l’ensablement du milieu (port d’Aghir et zones agricoles) et enfin de l’insouciance et du manque d’actions face aux menaces et risques liés au changement climatique.
Pour ce dernier, il est important de rappeler et de reprendre ici la pertinente analyse du PREDD : «La vulnérabilité aux changements climatiques est grandement influencée par des aménagements côtiers déficients. La minéralisation croissante du littoral et l’utilisation effrénée du sol dans et à la périphérie des zones touristiques, souvent au dépend du respect des servitudes du DPM (domaine public maritime), défigurent le paysage et perturbent l’équilibre sédimentaire des plages. Les constructions ainsi érigées sont vouées à terme à la disparition sous l’effet de l’avancée de l’érosion marine. La révision de la règlementation régissant le DPM est à l’ordre du jour. Dans l’attente de travaux de protection d’envergure à réaliser par les agences publiques concernées, certains promoteurs érigent sans autorisations des épis, afin de lutter contre la disparition des plages attenantes à leurs hôtels. Les impacts sont également à attendre sur les installations portuaires et sur les infrastructures d’évacuation des EU (eaux usées) et des EP (eaux de pluie). En matière d’évacuation des eaux, une remontée du niveau moyen de la mer de 50 cm pourrait perturber, le drainage des eaux usées et des eaux pluviales (retour des eaux de mer vers les réseaux des eaux usées et stations de pompage et d’épuration)».
Les défis et menaces d’ordre environnemental constituent pour l’ile de Djerba des freins majeurs au développement du secteur productif. En effet, dans le but d’atteindre un développement local durable, il est important que les projets économiques programmés et à venir correspondent aux intersections entres les trois composantes du développement durable qui sont l’environnement, l’économie et le social.
Orientation Stratégique 8: Ile de l’ouverture au monde & aux technologies
«Insulaire, ouvert et fier de l’être !» (EHM)
Ile de l’ouverture au monde & aux technologies: Ouverte sur le monde et sur elle-même, Djerba est aujourd’hui dépendante aussi bien de son environnement externe qu’interne pour sa survie ! Pour améliorer leurs conditions économiques, les Djerbiens ont choisi dès le XVIIIe siècle (voire même avant) le chemin de l’émigration qui les a menés soit par mer soit par terre et plus tard par air à des pays tels que la Turquie, la Libye, l’Egypte et l’Algérie puis après l’indépendance notamment la France pour s’adonner généralement au commerce. Beaucoup ont choisi toutefois l’émigration au continent national (notamment Tunis) pour s’y installer et y détenir après quelques années le quasi-monopole du commerce de détail tout en développant une réputation légendaire du «Djerbien, l’épicier de confiance».
Après l’ouverture au tourisme international au lendemain de l’indépendance, Djerba a redécouvert son environnement interne pour y accueillir des vagues successives de touristes internationaux et d’immigrants nationaux. Ces flux se sont accompagnés par des changements importants de l’économie, de l’infrastructure et de la technologie insulaire. «L’île qui était enclavée est désormais bien reliée au monde extérieur. Tout d’abord par l’intermédiaire de l’aéroport international de Djerba-Mellita (appelé maintenant Djerba-Zarzis) dont la capacité ne cesse de croître… De plus, la route d’el Kantara ainsi que des bacs modernes dont le nombre ne cesse d’augmenter, relient Djerba au continent... D’autre part, le réseau de télécommunications devient plus important, permettant à Djerba d’être mieux reliée au continent et à l’étranger(16)». En plus, "les technologies de la communication offrent dorénavant la possibilité d’être présent ici et ailleurs, et donc d’être « proche » de quelqu’un géographiquement éloigné"(17).
C’est cette technologie que Djerba a endossée dans le passé pour faciliter son ouverture au monde et qu’elle revendique aujourd’hui pour en faire par cette vision stratégique d’ouverture aux technologies une activité économique propre et un créneau d’avenir innovant notamment pour ses jeunes.
Faire de Djerba un hub technologique: Au moins deux éléments pourraient faire de Djerba un vrai hub des technologies en général et des technologies de communication numérique en particulier. Le premier est l’investissement dans le «très haut débit» pour un accès internet ultra performant, un élément d’une grande importance pour les hôteliers, les hommes d’affaires, les touristes, l’administration et les visiteurs. Le deuxième est la création d’un mini Silicon Valley de startups et de petites industries spécialisées dans les technologies de la communication numérique et autres. Cette orientation pourrait être pilotée par l’ISET-Djerba (Institut Supérieur des Etudes Technologiques) en association par exemple avec le collectif Green Djerba et en collaboration avec l’Organisation Internationale Francophone (OIF) en profitant de son prochain sommet de Djerba et/ou avec les mécanismes possibles de la TICAD 8.
En effet et comme mentionné avant, le sommet mondial de la Francophonie offre à Djerba avec son thème principal «La connectivité dans la diversité : Le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone» une opportunité de s’ouvrir davantage aux technologies en créant, comme résultat tangible du sommet, un hub et une dynamique des startups de la connectivité et du numérique. Une dynamique qui «s’apparente à celle des clusters, définis par l’américain Michael Porter comme "un groupe d’entreprises et d’institutions associées, géographiquement proches et entretenant des relations de complémentarité entre elles"(18)». Une dynamique d’essaimage et d’entrainement qui pourrait par l’exemple, l’encouragement et l’encadrement propulser les jeunes à faire de même et mieux en créant sur la base de l’héritage Djerbien d’ingénuité «une culture d’entrepreneurs qui s’appuient sur un milieu économique historiquement fidèle à ses traditions, marqué par un tissu socioculturel homogène et une représentation de l’appartenance très forte»(19).
L’accueil en 2022 du sommet mondial de la Francophonie (et peut-être même de la TICAD 8) est un gage d’ouverture au monde, mais Djerba est consciente que sa vision d’ouverture ne peut se réaliser complètement sans la résolution du goulot d’étranglement que représente actuellement l’accès à l’Ile par bac d’El-Jorf à Ajim. Un vrai calvaire qui demande souvent entre deux et sept heures d’attente dans les deux directions et qui cause des pertes économiques et sociales incalculables. Une situation que Djerba entend résoudre soit (i) par l’amélioration du système actuel de traversée par bac, soit (ii) par la construction d’un pont fixe. Les participants au processus indiqué se sont partagés entre deux écoles, une école BAC(20) et une école PONT !
Amélioration du système actuel de la traversée par bac: Cette solution demande une reprise complète du système actuel d’accostage par bacs (équipement et gestion) en modernisant aussi bien les bacs que les quais d’embarquement et en équipant la station par un atelier de maintenance des bacs qui semble faire défaut maintenant. Cette solution demande le recours du coté équipement à l’acquisition de nouveaux bacs non-polluants (à l’énergie solaire par exemple) et plus agiles et du coté gestion à la possibilité de privatisation du système pour une plus grande efficacité et un meilleur service et à la revue des fréquences et des tarifs. Une réévaluation de la situation reste donc plus que nécessaire notamment suite à la triste chute du ferry/bac de Djerba d’une voiture qui a fait deux morts et qui a été repêchée le lundi 13 janvier 2020 par les unités de la protection civile !
La traversée par bac a certes un charme particulier et contribue à conserver l’insularité de l’ile et à donner une image de marque pittoresque et spécifique à l’Ile et à aider davantage le dossier d’inscription de l’Ile de Djerba sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. C’est une vision de l’avenir réaliste qui accroche mais à condition d’améliorer profondément les conditions actuelles de la traversée.
Construction d’un pont: La réalisation d’un pont entre El-Jorf et Ajim ouvrirait effectivement et définitivement l’Ile au continent et au monde. Cette option a ses adhérents et ses opposants. Elle risque d’altérer définitivement le caractère même de l’ile d’où la nécessité de préparer sérieusement au préalable les études nécessaires non seulement de faisabilité et d’évaluation économique et financière mais aussi et surtout d’impact sur l’environnement, sur l’aménagement et l’urbanisme de l’ile et sur la société Djerbienne. Des mesures de protection seront à prendre et à mettre en place avant la réalisation même du pont. Ces mesures devraient inclure la protection de l’agriculture ; de la pêche ; du patrimoine historique, architectural et urbain ; des spécificités de l’Île et du mode de vie du Djerbien.
Le mémorandum d’entente avec la Chine sur la construction d’un pont fixe signé en 2018 dans le cadre du mégaprojet planétaire chinois de la Nouvelle Route de la Soie (NRS) a donné vie et élan à cette option mais des retards et des désaccords semblent avoir conduit à l’annulation du mémorandum en juin 2019 !
Entretemps, un effort louable d’amélioration de l’entrée sud-est de l’ile a déjà commencé où «les travaux de renforcement de la route régionale numéro 117 reliant Zarzis à Djerba, sur 7KM, se poursuivent à travers la construction d’un deuxième pont de 1,6m et la réalisation de deux ouvertures au niveau de Lac Boughrara»(21). Ce projet devrait permettre à son achèvement prévu en 2023 de doubler la Chaussée Romaine ce qui va largement faciliter la circulation par voie routière et ouvrir et désenclaver davantage l’ile.
Amélioration des entrées de l’Île: Lié à l’accès de l’Ile, les participants souhaitent aussi dans le cadre de cette orientation stratégique améliorer considérablement les entrées ouest et sud de l’Île. Des entrées qui présentent actuellement des déficiences majeures des deux côtés (entrée et sortie) en termes d’organisation spatiale, d’architecture, de services, de signalisation et de lisibilité. Les améliorations à réaliser pourraient inclure notamment à l’entrée ouest d’El-Jorf/Ajim entre autres une meilleure signalisation, une jolie halte routière, un parc d’observation et de loisir, un centre communautaire de portée régionale le tout avec une architecture et un urbanisme qui s’harmonisent avec le caractère patrimonial insulaire de Djerba, un aquarium marin et surtout une artère (un boulevard) reliant Ajim à Houmt Souk plantée sur les deux cotés par le couple historique Djerbien le palmier et l’olivier. L’entrée par bac de l’île constitue par son importance la carte de visite qui forme la première impression (à l’entrée) et la dernière impression (à la sortie) que gardent le plus les voyageurs et les touristes de leur visite de Djerba.
III. Conclusion
Les huit (8) grandes orientations de cette vision stratégique de Djerba telles que décrites brièvement ci-avant sont conçues par les acteurs locaux pour être complémentaires et interdépendantes, et ce, afin de permettre un développement durable intégré et inclusif de l’Ile. Ces orientations sont liées à l’attractivité de l’Ile, à son économie, à l’esprit de solidarité, de concorde et d’ouverture et à la volonté de mettre en commun les ressources, les compétences et les leviers appropriés pour agir enfin à l’échelle de l’ensemble de l’Île de Djerba. Effectivement, "l’Ile doit toujours être considérée comme un ensemble ou une unité dont la spécificité a résulté d’un équilibre harmonieux entre le milieu naturel et les activités humaines … L’effort lent et persévérant de l’homme et le milieu naturel ont abouti à une synthèse architecturale et paysagère considérée comme une richesse esthétique et culturelle exceptionnelle"(22).
La vision stratégique telle qu’elle s’est dégagée des processus de concertation et de participation vient donc pour constituer le cadre de référence à toute action de développement futur dans l’ile de Djerba dont notamment le schéma de développent et d’aménagement du territoire insulaire de Djerba proposé par les participants.
Le sommet mondial de la Francophonie de Djerba du mois de novembre 2022 présente une opportunité particulière à ne pas rater pour l’organisation de cercles de partenaires nationaux et internationaux autour de chaque Orientation de la vision stratégique décrite ci-avant, et ce, «pour une croissance partagée dans l’espace insulaire francophone de Djerba», en adoptant et en adaptant ainsi et pleinement le thème central du Forum Economique Francophone (FEF) du sommet.
Djerba a maintenant un peu plus de temps pour mieux se préparer au sommet et pour promouvoir et faire valoir sa vision stratégique de développement durable, intégré et inclusif qui va, avec une mobilisation intelligente et dynamique, la positionner dans le peloton de tête des iles et villes du pays voire de la Méditerranée.
Ezedine Hadj-Mabrouk (EHM)
(1) Business news du 9/1/2020
(2) La COP - "Conference Of Parties - Conférence des parties" - est un sommet annuel qui réunit 197 nations pour discuter du changement climatique et de la manière dont les pays prévoient de le combattre. La COP 26 s’est tenue à Glasgow, Ecosse du 31 octobre au 12 novembre 2021.
(3) Voir rapport titré : « Les priorités de développement à Djerba vues par les acteurs locaux : Vers un développement intégré, durable et inclusif à l’ile de Djerba », élaboré par Ezedine Hadj-Mabrouk (EHM), PNUD, mars 2018.
(4) TICAD 8 est la huitième édition de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique qui se tiendrait à la fin du mois d’août 2022 en Tunisie.
(5) « La vision stratégique est une image globale de ce que souhaite devenir une collectivité au terme d'un horizon de planification qui a été préalablement retenu. Celle-ci guide l'organisation dans la gestion du changement souhaité. » Source : La prise de décision en urbanisme, Vision stratégique, Ministère des affaires municipales et de l’habitation du Québec, Canada.
(6) Bourgou et Kassah,2008 - Tourisme, Environnement, Patrimoine, Cérès Editions, p58
(7) Bourgou et Kassah, op. cit. p. 61
(8) In Damien Talbot, 2006 - « La gouvernance locale, une forme de développement local et durable ? Une illustration par les pays », Développement durable et territoires, point 19.
(9) M. Bourgou et A. Kassah, 2008 : L’Ile de Djerba, Tourisme, Environnement, Patrimoine, Cérès Edition, P.193
(10) Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), Communiqué de presse PR No. PR11079 du 11 octobre 2011.
(11) D’après les dernières statistiques officielles publiées par le ministère du Tourisme, jusqu’au 10 juillet 2021, une nette baisse est enregistrée de 19,4% des entrées par rapport à l’année dernière, et, de l’ordre de -73,4% par rapport à 2019. La Presse du 20/08/21 – Crise sanitaire : Le tourisme frappé de plein fouet, par Mohamed Khalil Jlassi.
(12) Vers un tourisme durable en Tunisie : le cas de l’Ile de Djerba, par Abderraouf Dribek, Economies et finances. Université de Bretagne Occidentale - p198, Brest, 2012.
(13) Damien Talbot, 2006 - « La gouvernance locale, une forme de développement local et durable ? Une illustration par les pays », Développement durable et territoires.
(14) « Promouvoir des structures industrielles de petites tailles car assez flexibles pouvant ainsi s'adapter aux évolutions de leurs marchés. Leurs montants d'investissement ne sont pas très importants de sorte que leurs risques sont gérables particulièrement pour les institutions financières. Par ailleurs et en cas d'échec, la petitesse de leurs tailles limite le risque des répercussions sociales dans la région ». (PREDD, p165)
(15) Voir concept du tourisme agro-culinaire par Ezedine Hadj-Mabrouk (EHM) in Revue No1 du Festival des Saveurs du Patrimoine Culinaire, Boumerdès, Tunisie 2009.
(16) Élise Bernard, 2002 - « Djerba, tourisme international et nouvelles logiques migratoires », Revue européenne des migrations internationales [Online], vol. 18 - n°1 | 2002, URL : http://remi.revues.org/2629
(17) Damien Talbot, 2006 - « La gouvernance locale, une forme de développement local et durable ? Une illustration par les pays », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 7 | 2006, URL : http://developpementdurable.revues.org/2666 ; DOI : 10.4000/développement durable.2666*
(18) Tizaoui Hamadi, 2013 - Le Décrochage Industriel des régions intérieures en Tunisie, Arabesque, p 283
(19) Tizaoui Hamadi, op.cit. p 304
(20) « En vue de réduire les contraintes de l’insularité et afin de renouer avec un glorieux passé de peuple marin, les Djerbiens sont appelés à regarder plus vers l’horizon marin et à développer des liaisons maritimes avec les civilisations et les marchés d’outre-mer proches et lointains (méditerranéens, européens et asiatiques) », Agenda21, ASSIDJE 2002, Désenclaver sans nuisances, p7.
(21) Webmanagercenter du 27 septembre 2021
(22) Pour la sauvegarde de l’architecture et de l’environnement de Djerba, séminaire ASIDJ 23-26 janvier 1975, p11
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Destin et vision ambitieux pour une île qui ne saurait soutenir et supporter un développement démesuré et susceptible de fragiliser encore plus les équilibres sociaux, culturels, urbanistiques, environnementaux etc, impactant négativement l'imagerie d'Épinal de l'île d'Ulysse où l'air est si doux, qu'il empêche de mourir. Djerba, à l'instar du reste du pays est victime des mauvais choix de développement et décisions iniques, à l'origine des ses problèmes actuels, énumérés par l'article, qui doivent être resolus avant toute planification d'un développement quelconque et surtout touristique, qui ne saurait s'accommoder de la fragilité du milieu naturel, stress hydrique, afflux migratoire et banalisation de l'image de Djerba, en tant que destination insulaire exclusive et qui doit le rester. Un débat sur la thématique des perspectives et limites du développement de Djerba, devrait être programmé, en marge du sommet de la francophonie, eu égard aux opportunités offertes par cette manifestation.