Hajer Gueldich: Le bilan de la 39e session ordinaire du conseil exécutif de l’union africaine des 14 et 15 octobre 2021
La 39e session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine a eu lieu au siège de l’organisation panafricaine à Addis-Abeba (Ethiopie) les 14 et 15 octobre 2021, toujours dans l’absence de toute couverture médiatique ou suivi politique de la part de notre pays.
La Tunisie continue de briller par son absence et son silence quand il s’agit de rendez-vous importants au sein de l’Union africaine. L’opinion publique continue d’ignorer des décisions charnières dans la vie du continent africain. Les cercles de décisions au niveau de notre Etat continuent d’ignorer les candidatures de Tunisiennes et de Tunisiens éligibles aux plus hautes positions au sein des organes de l’Union africaine. Pourtant la Tunisie a toutes les chances pour bien s’y immerger et remporter brillamment des postes clé au sein de ces organes.
A titre de rappel, le Conseil exécutif est l’un des organes politiques de l’Union africaine. Il assure la coordination et décide des politiques dans les domaines d’intérêt commun pour les États membres de l’UA. Il est responsable devant la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement (Conférence). Il examine les questions dont il est saisi et suit la mise en œuvre des politiques arrêtées par la Conférence. Le Conseil exécutif réunit les Ministres des Affaires étrangères ou tout autre Ministre ou autorité désigné par le gouvernement des États membres.
En outre, l'article 13 paragraphe 2 de l'Acte constitutif dispose également que « le Conseil exécutif est responsable devant la Conférence, il se réunit pour examiner les questions dont il est saisi et pour contrôler la mise en œuvre des politiques arrêtées par la Conférence ».
En dépit des enjeux importants au niveau des dossiers traités durant cette 39e session ordinaire des 14 et 15 octobre 2021, et bien qu’il s’agit de la première réunion de haut niveau en présentiel, au siège de l’Union à Addis abeba, après deux années difficiles consécutives à la pandémie de Covid-19 (le Sommet de l’UA de février 2021 s’étant déroulé en ligne), la Tunisie n’a pas été représentée par son Ministre des Affaires étrangères à l’occasion.
Pourtant, des pays limitrophes de la région du Nord, notamment le Maroc, l’Égypte, la Lybie et l’Algérie, ont été représentés par des délégations importantes.
Les enjeux sont d’autant plus importants qu’il s’agit de la session où se sont déroulées les élections des deux (2) Commissaires restants de la Commission de l’Union africaine, en sus de l’épineuse question de l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine.
Tous les pays africains suivent avec grand intérêt ces deux jours pour connaître les nouvelles déclarations, résolutions et décisions prises au niveau des plus hautes autorités de chaque Etat de l’Afrique.
Un événement de grande importance qui passe, comme les précédents RDV africains, toujours inaperçu en Tunisie.
Certes, lors de cette session, le Conseil exécutif a examiné le rapport de la 42e session ordinaire du Comité des Représentants permanents de l’UA, le rapport sur la mise en œuvre opérationnelle du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, ainsi que la note conceptuelle et de la feuille de route relative au thème de l’année 2022 sur « la nutrition et la sécurité alimentaire ».
Plus spécifiquement, étaient à l’ordre du jour les points suivants:
1. Élection et nomination des deux (2) commissaires de la Commission de l'UA après l'exposé du Groupe d'éminents Africains sur la présélection des candidatures des hauts responsables de la Commission de l'Union africaine.
2. Élection et nomination du Président et du Vice-président de l'Université panafricaine (PAU).
3. Élection et nomination de quatre (4) membres de la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples.
4. Élection et nomination de quatre (4) membres du Conseil consultatif de l'Union africaine sur la corruption.
5. Examen du Rapport de la session conjointe du Comité ministériel sur les contributions et le barème des contributions et le Comité des 15 ministres des Finances (F15).
6. Examen du Rapport du Comité ministériel sur les candidatures au sein du système international.
7. Examen du Rapport du Comité de suivi ministériel sur la mise en œuvre de l'Agenda 2063.
8. Examen du projet d'ordre du jour de la troisième (3e) Réunion annuelle de coordination.
9. Adoption des Décisions de la Trente-neuvième (39e) Session ordinaire du Conseil exécutif.
10. Informations sur l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africain.
1. La question de l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine
La 39ème session du Conseil a pris fin vendredi tard dans la nuit. C'était houleux surtout avec le débat sur la question de l'accréditation d'Israël comme observateur auprès de l'Union africaine. Après débat, le Conseil a décidé de se référer à la prochaine session de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement en février 2022.
Le débat était mené au niveau des sous-régions:
1. L'Afrique australe menée par l'Afrique du Sud n'était pas d’accord avec cette accréditation, sauf le Rwanda.
2. L'Afrique du Nord menée par l’Algérie n'était pas d’accord avec cette accréditation, sauf le Maroc.
3. L'Afrique de l'Ouest était divisée, mais le Togo, le Liberia, le Sénégal et le Bénin étaient d’accord.
4. Pour l'Afrique de l'Est, le Djibouti était d’accord.
5. Pour l'Afrique centrale: le Gabon, le Cameroun et le Tchad étaient d’accord.
Pour ceux qui rejetaient cette accréditation, la raison évoquée était l'occupation de la Palestine.
Pour ceux qui étaient d’accord, ils ont évoqué la raison d’ouverture de l’Afrique et la participation de l’Afrique dans la réconciliation et son impartialité dans les relations multilatérales.
Il est à rappeler que sept (7) Etats arabes avaient fortement contesté, le 25 juillet 2021, la décision du Président de la Commission d’avoir accrédité Israël comme Observateur à l’UA. Il s’agit de l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie, les Iles Comores, Djibouti, la Mauritanie et la Libye.
Après débat, il a été décidé que le dossier sera porté au niveau de la prochaine session de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement en février 2022.
En outre, la question de la procédure d'accréditation a été aussi évoquée. Il a été reproché au Président de la Commission de ne pas avoir respecté la procédure d'accréditation. Les États qui s'y opposaient estimaient que cette accréditation violait l'esprit des principes et les objectifs de l'Acte constitutif de l'Union africaine.
Voilà une question qui divise les Etats africains, pourtant les principes de base sur lesquels est bâtie l’Union africaine- UA (et la défunte Organisation de l’Unité africaine- OUA) rappellent, sans équivoque, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le respect des principes démocratiques, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et la condamnation et le rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des acticités subversives. Ce sont certes des principes qui sont loin d’être respectés par Israël, dont les crimes internationaux vis-à-vis du peuple palestinien, depuis des années et des décennies, se passent de tout commentaire.
Comme quoi, l’Etat n’a pas d’amis. Il a des intérêts.
2. Récapitulatif relatif aux élections tenues lors de la 39ème session du Conseil exécutif de l'Union africaine
• Pour les élections au niveau de la Commission de l’Union africaine:
1. Commissaire à la santé, affaires humanitaires et développement social: Mme Minata SAMATE CESSOUMA (Burkina Faso).
2. Commissaire à l'éducation, sciences, technologies et innovation : Professeur Mohamed BELHOCINE (Algérie).
• Pour les élections au niveau de la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples :
1. Ourveena Geereesha TOPSY – SONOO (Île Maurice)
2. Solomon AYELE DERSO (Ethiopie)
3. Janet Ramatoulie SALLAH-NJIE (Gambie)
4. Idrissa SOW (Sénégal).
• Pour les élections au niveau du Conseil consultatif de l'Union africaine sur la corruption :
1. Marthe Dorkagoum BOULANGAR (Tchad)
2. Nadita Devi Suneechur (Île Maurice)
3. Terek Mustafa M. ELHATAB (Lybie)
4. Samuel Mbithi KIMEU (Kenya).
• Pour les élections au niveau de l’Université Panafricaine:
1. Professeur Kenneth KAMZI MATENGU élu Président de l'Université Panafricaine.
2. L'élection du vice-président de l'Université Panafricaine aura lieu lors de la prochaine session du Conseil exécutif.
3. Les questions relatives au barème des contributions et questions budgétaires
Le Conseil exécutif a adopté le budget de l'UA de 2022 qui s'élève à 651.110.573 dollars. Ce budget sera financé à 31% par les États membres et 66% par les partenaires internationaux respectivement 204.784.571 dollars par les États membres et 428.906.289 dollars par les partenaires internationaux.
C'est un budget d'austérité comme celui de cette année en cours (2021) qui s'élève à 663 millions des dollars.
Les opérations de maintien à la paix avec un budget de 279.223.285 dollars à solliciter entièrement auprès des partenaires internationaux.
En conclusion
Nous l’avons signalé, à plusieurs reprises, la politique étrangère tunisienne, jadis pionnière et inspirante pour les autres pays de l’Afrique, devient aujourd’hui marquée par une myopie intellectuelle avérée et décevante, laissant ainsi l’Etat tunisien et le peuple tunisien en véritable décalage avec l’actualité africaine et en déphasage latent avec des décisions qui peuvent changer le visage de l’Afrique à moyen et à long terme.
Certes, les thèmes de l’année : celui de cette année 2021 « Arts, culture et patrimoine: les leviers pour construire l'Afrique que nous voulons » et celui de l’année 2022 « la nutrition et la sécurité alimentaire» peuvent inspirer nos Ministères, notre jeunesse et autres parties prenantes, pour mener des actions et organiser des manifestations propulsant à nouveau notre pays dans l’échiquier des relations multilatérales au niveau du continent africain et redorer le blason déjà terni de nos relations avec les autres Etats Africains voisins, surtout ceux de l’Afrique subsaharienne.
Notre gouvernement devrait assumer ses responsabilités vis-à-vis de ces occasions périodiques de haute importance, saisir au mieux les opportunités de coopération qui peuvent s’offrir à notre pays et, surtout, mieux se positionner dans la plaque tournante de l’Afrique, là où notre avenir sera mieux bâti.
Hajer Gueldich
Professeure agrégée des Universités à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis- Université de Carthage,
Directrice du Master de recherche en droit et politiques de l’Union africaine et Responsable de la Chaire des études africaines
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