Réformer ou mourir :(IV) la réforme de l'école, instrument de la mobilité sociale
Quatrième chantier à engager en Tunisie après les élections pour la Constituante, la réforme de l'école. "Que l’Ecole Centrale de Paris soit gentiment rebaptisée « annexe des tunisiens » ne signifie pas pour autant que tout va bien dans notre système éducatif, loin de là", note Habib Touhami (1). C'est que "Malgré des succès indéniables", l'école tunisienne souffre selon l'auteur de nombreuses faiblesses et pas seulement l'apprentissage des langues où les lacunes sont les plus criantes.
.jpg) Malgré  ses succès, et ils sont indéniables, le système éducatif tunisien pose à  l’heure actuelle toute une série de  problèmes. Après la massification  et ses résultats, l’heure est venue, me semble-t-il, de réfléchir  sur deux problèmes majeurs. Le premier concerne les interdépendances entre la baisse du niveau général de  l’enseignement et le mode de transmission du savoir. Le second problème  est plus crucial encore. La confusion entre deux concepts, massification  et démocratisation, a conduit à reconnaître au système éducatif un  caractère plus démocratique qu’il ne l’est  en réalité.
Malgré  ses succès, et ils sont indéniables, le système éducatif tunisien pose à  l’heure actuelle toute une série de  problèmes. Après la massification  et ses résultats, l’heure est venue, me semble-t-il, de réfléchir  sur deux problèmes majeurs. Le premier concerne les interdépendances entre la baisse du niveau général de  l’enseignement et le mode de transmission du savoir. Le second problème  est plus crucial encore. La confusion entre deux concepts, massification  et démocratisation, a conduit à reconnaître au système éducatif un  caractère plus démocratique qu’il ne l’est  en réalité.
  
  Pour dire vrai, on ne sait pas à quoi s’en tenir sur le système de  transmission de savoir actuellement en place: est-il du type structuré  ou du type déstructuré ? Est-il généraliste ou spécialisé ? Est-il  introverti et nombriliste ou ouvert sur la vie économique et marqué par  la citoyenneté ? Nul ne le sait vraiment, à commencer par les  enseignants eux-mêmes. Pour le profane et le parent d’élève que je suis  en tout cas, ce système semble avoir dérivé moins d’une réflexion  profonde sur le rôle multidimensionnel du système éducatif que d’une  espèce de « pédagogisme » forcené. Il semble d’ailleurs que ce mode  ait  été concocté en dehors des intéressés, des spécialistes et des acteurs  économiques. Jusqu’ici, le pouvoir politique a choisi de ne pas s’en  préoccuper pour mieux afficher, et de la façon la plus ostentatoire qui  soit, de forts taux de scolarisation comme si la massification de  l’enseignement était la panacée. Le résultat est que le système éducatif  tunisien a réussi cette insigne performance  de transformer une  population globalement illettrée au départ mais relativement cultivée en  une population relativement diplômée mais globalement inculte. Que  l’Ecole Centrale de Paris soit gentiment rebaptisée « annexe des  tunisiens » ne signifie pas pour autant que tout va bien dans notre  système éducatif, loin de là. 
  
  Toutes les études d’évaluation menées à ce jour ont montré  l’extrême  faiblesse des élèves tunisiens (et même des étudiants) en expression  écrite, aussi bien en arabe qu’en français. Ceci est d’autant plus  préoccupant que le système éducatif tunisien consacre  58% de l’horaire  global à l’apprentissage des langues dont 30% pour la langue arabe et  28% pour la langue française, soit une moyenne nettement supérieure par  rapport à ce qui existe dans les pays de l’Union européenne (30% seulement). Or la langue  structure la pensée, d’où la difficulté de nos élèves et de nos  étudiants à synthétiser et à réfléchir par eux-mêmes. Dans  l’enseignement supérieur, peu de filières échappent à la critique  (médecine et ingéniorat), et ce n’est pas du tout un hasard. En effet,  celles-ci accueillent les bacheliers les plus méritants et bénéficient  des conditions d’enseignement et de formation très supérieures à la  moyenne. 
  
  Selon les résultats de l’enquête diligentée par le  Programme  International pour le Suivi des Acquis des Elèves  (PISA) de l’OCDE, la  Tunisie a été partout classée parmi les dix derniers pays concernés par  l’enquête de 2009. Sur les 65 pays, la Tunisie a été classée 56ème avec  404 points en matière de compréhension de l’écrit, contre 493 points en  moyenne pour les pays de l’OCDE (dans l’enquête PISA, les performances  moyennes sont exprimées en points sur une échelle où la moyenne avait  été fixée à 500 points lors de la première enquête réalisée en 2000). 
  
  Performances en lecture, comparaison internationale, PISA 2009
| Pays | Moyenne | Rang | 
| Shanghai-Chine | 556 | 1 | 
| Corée | 539 | 2 | 
| Finlande | 536 | 3 | 
| France | 496 | 22 | 
| Turquie | 464 | 41 | 
| Dubaï | 459 | 42 | 
| Brésil | 412 | 53 | 
| Jordanie | 405 | 55 | 
| Tunisie | 404 | 56 | 
Les compétences en mathématiques peuvent se définir comme « l’aptitude d’un individu à identifier et à comprendre le rôle joué par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur propos, et à s’engager dans des activités mathématiques, en fonction des exigences de sa vie en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi » (OCDE 2007), La moyenne des pays de l’OCDE pour 2009 en ce qui concerne les mathématiques est de 496 points, légèrement inférieure à la moyenne de PISA 2003. Les élèves tunisiens ont obtenu une moyenne de 371 points, se classant à la 60ème place, ex æquo avec l’Indonésie, et ne laissant derrière eux que les Qataris avec 368 points, les Péruviens avec 365 points, etc.
Performances en mathématiques, comparaison internationale, PISA 2009
| Pays | Moyenne | Rang | 
| Shanghai-Chine | 600 | 1 | 
| Singapour | 562 | 2 | 
| Hong Kong- Chine | 555 | 3 | 
| France | 497 | 22 | 
| Dubaï | 453 | 41 | 
| Jordanie | 387 | 56 | 
| Brésil | 386 | 57 | 
| Tunisie | 371 | 60 | 
Le programme PISA définit la formation de base en sciences comme «  les connaissances scientifiques de l’individu et sa capacité d’utiliser  ses connaissances pour identifier les questions auxquelles les sciences  peuvent apporter une réponse, pour acquérir de nouvelles connaissances,  pour expliquer des phénomènes scientifiques et pour tirer des  conclusions fondées sur les faits à propos de questions à caractère  scientifique. La moyenne des pays de l’OCDE se situe à 501 points, loin  derrière Shanghai  la Finlande. Avec 401 points,  la Tunisie a été  classée 55ème , ex æquo avec le Monténégro et l’Argentine.
  
  Performances en sciences, comparaison internationale, PISA 2009
| Pays | Moyenne | Rang | 
| Shanghai-Chine | 575 | 1 | 
| Finlande | 554 | 2 | 
| Hong Kong- Chine | 549 | 3 | 
| France | 498 | 27 | 
| Dubaï | 466 | 41 | 
| Jordanie | 415 | 51 | 
| Brésil | 405 | 53 | 
| Tunisie | 401 | 55 | 
Venons-en maintenant au problème crucial du rôle du système éducatif  dans la mobilité sociale. Selon la même étude effectuée par l’OCDE citée  précédemment, la part en % de la différence de score selon le milieu  socio-économique qui diminuerait si l'indice des stratégies de synthèse  des élèves défavorisés était équivalent à celui des élèves favorisés  s’est située à 20 en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE, contre  27 pour la Corée du Sud, 23 pour l’Allemagne, 17 pour Singapour, 14 pour  le Qatar et 4 seulement pour la Tunisie.  En d’autres termes, le milieu  social en Tunisie joue énormément quant à la compréhension et la  maîtrise de l’écrit. Or, les élèves qui connaissent le mieux les  stratégies les plus efficaces à adopter pour résumer l’information  affichent des scores supérieurs à ceux des élèves qui les connaissent le  moins. De plus, « l’écart entre les élèves issus des milieux les plus  défavorisés et les plus favorisés pourrait diminuer si les premiers  connaissaient aussi bien que les seconds les stratégies de synthèse les  plus efficaces ».
  La même étude conclut, au demeurant, que  « les systèmes d’éducation les plus  performants, c’est-à-dire ceux dont les performances sont supérieures à  la moyenne et dont les inégalités socio-économiques sont inférieures à  la moyenne, assurent l’égalité des chances à l’ensemble des élèves, quel  que soit leur milieu socio-économique ». Certes, la performance  scolaire d’un élève dépend des efforts qu’il consent ou qu’il est  susceptible de consentir. Mais elle dépend incontestablement aussi de  son environnement socio-économique et plus encore de l’établissement  dans lequel il poursuit ses études, c'est-à-dire de la qualité des  enseignants, des conditions de travail, de la discipline, etc. 
  
  Il s’avère donc que les observations fragmentaires que nous avons  recueillies rejoignent les conclusions du rapport PISA 2009 pour  soutenir que :  
  
  1. Nonobstant l’impact du milieu socioéconomique, les élèves qui  fréquentent un établissement dont l’effectif d’élèves est plus favorisé  tendent à obtenir des scores plus élevés que les élèves inscrits dans un  établissement dont l’effectif est plus défavorisé.
  2. Les élèves qui fréquentent un établissement urbain affichent de  meilleurs scores que les autres élèves, même après contrôle du milieu  socio-économique.
  3. Les établissements qui affichent un climat de discipline  satisfaisant, des comportements positifs chez les enseignants et des  relations positives entre élèves et enseignants tendent à être plus  performants en compréhension de l’écrit.
  4. Les systèmes d’éducation les plus performants tendent à donner la  priorité au salaire des enseignants et non à la réduction de la taille  des classes.
  
  L’implication spatiale, sociale et administrative quant à la réussite  scolaire (universitaire aussi par le jeu des scores et des filières)  constitue donc une réalité que ne peut masquer la massification de  l’enseignement. On peut même affirmer que la massification s’est faite  au détriment de la démocratisation de l’enseignement. En effet, la  massification (ou démocratisation quantitative) du système scolaire  désigne un phénomène de diffusion de l’instruction mesurée par  l’accroissement des taux de scolarisation alors que la démocratisation  (démocratisation qualitative) désigne l’égalité des chances scolaires  mesurée par l’indépendance entre niveau de diplôme et variables sociales  (milieu social, sexe, lieu de résidence, etc.). De ce point de vue, la  massification qui perdure est beaucoup moins démocratique qu’on ne le  croit.  Qu’a fait la Tunisie pour corriger le tir ? Rien ou presque  rien. 
  
  Ceci est d’autant plus choquant que les inégalités du revenu et du  patrimoine ne traduisent que partiellement l’ensemble des inégalités qui  frappent certains groupes sociaux. Les inégalités d’éducation sont en  fait encore plus cruelles dans la mesure où elles pérennisent la  reproduction sociale. De plus en plus, les parents diplômés donnent  naissance à des enfants diplômés. Le « capital culturel » finit par  générer une concentration de privilèges et d’avantages que ne renierait  pas le capital économique.  Les inégalités économiques ne peuvent donc  pas rendre compte à elles seules de la somme des inégalités sociales  même si celles-ci découlent le plus souvent des inégalités de revenu. Au  surplus, les inégalités sociales sont multiples : inégalités face à la  mort, inégalités d'accès à la culture, inégalités face à l’accès aux  filières les plus rémunératrices, inégalités face au marché du travail,  etc. Ces inégalités  entretiennent entre-elles des relations étroites et  complexes. Les inégalités de revenu engendrent les inégalités de  patrimoine; ces dernières contribuant aux premières par le biais des  revenus patrimoniaux.  Les inégalités de conditions de travail  engendrent les inégalités face à la maladie et à la mort. Les inégalités  de logement contribuent aux inégalités sanitaires et scolaires. Bref,  les inégalités économiques, sociales et culturelles forment un tout  interactif.  Elles contribuent ainsi à former un processus  cumulatif au terme duquel les privilèges se regroupent à l'un des pôles  de l'échelle sociale tandis qu'à l'autre pôle se multiplient les  handicaps et les rancoeurs
  
  En fait, les inégalités économiques pourraient être tolérées jusqu’à  un certain point à la seule condition qu'elles se fondent sur la  récompense de l'effort et du talent dans un contexte institutionnel  garantissant l'accès de chacun aux mêmes possibilités d'épanouissement  social et culturel. Autrement dit, les inégalités les plus  insupportables sont celles qui suscitent les inégalités des « chances »  en mettant des barrières à l'entrée et en  multipliant les passe-droits  en faveur du plus petit nombre comme c’est le cas actuellement au niveau  des filières et de l’accès à l’emploi. Or l’égalité des chances signifie  justement la possibilité donnée à chacun d'acquérir les mêmes moyens  pouvant le conduire au succès économique et à espérer le même rendement  que tout un chacun pour un effort comparable. Ce problème, crucial  pourtant, n’a jamais été posé comme il convient. Outre l’indifférence  des pouvoirs publics, il me semble que l’on décèle ici et là des  rigidités sociologiques très prononcées. A cela, s’ajoutent le rôle  pernicieux du mode de répartition des maîtres et professeurs, le manque  inégal et inexpliqué de la discipline  à l’intérieur de l’institution  éducative et l’effet calamiteux des cours particuliers. Autant dire que  c’est sur ces trois derniers points qu’il faut agir au plus tôt.
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L'organisation d'un large débat sur la question est indispensable et urgente afin d'élaborer un ambitieux et rigoureux programme de réformes qui serait soumis pour examen aux Institutions Républicaines avant d'être présenté par référendum à l'agrément des électeurs tunisiens

je vous remercie monsieur de vous être penché sur un secteur aussi crucial, le pilier du progrés de toute société, jusque là complètement négligé. la révolution tunisienne resterait inachevée , à mon avis, si des réformes profondes ne se faisaient dans le domaine éducatif. Vous avez évoqué de sérieux problèmes importants qui ont fait que notre système éducatif soit défaillant , d où la masse des "des diplomés incultes"; mais il reste maintenant à entrer plus en détail , repérer d autres défaillances non moins importantes, concernant l environnement ds lequel évolue l élève ; le type de relations avec son enseignant, avec l administration ( l évoquer en présentant des exemples concrets) est il un environnement démocratique qui favorise l apprentissage, et l évolution positive de la personnalité de l élève ? L enseignant et le surveillant ont il une formation psycho pédagogique qui leur permet d aider l élève à s épanouir et être receptif aux enseignements ? l horaire scolaire est il adapté aux capacités intellectuelles de l élève? les manuels scolaires (le contenu) suivent ils l évolution intellectuelle ou sont au dessus ? L école offre t- elle des activités para- scolaires (sportives, culturelles, comme au temps de Bourguiba) qui aident à son épanuoissement ? L enseignant a t-il la volonté et le temps de mettre en valeur les compétences linguistiques expression écrite, orale, compréhension, lecture ? Y a t-il un vrai contrôle sur l enseignant qui n est pas encore conscient que son rôle est crucial? y a t il un soutient, ou une cellule d écoute pour les élèves avec des problèmes de famille ou ceux qui subissent "la représailles et l oppression des enseignants trop autoritaires et je dirai même corrompus !! bien des victimes ! des élèves quittent l école et se désinteressent des études à cause d un environnement mal sain !!! l école tunisienne est -elle bien équipée , pour un enseignement pratique et efficace, je doute que les écoles possèdent même des cartes géographiques sans parler du matériel de laboratoire en bon état ?!! Beaucoup de réformes devraient être envisagées et c est urgent; on sacrifié assez de promotions comme cela !! Monsieur excusez-moi j ai mis tout cela en vrac , je crois que j ai tellement envie de dire des choses que je n ai pas réfléchie sur le comment !!! Mercie encore pour cet article.

La lecture de cette étude: « Amélioration des performances :et si la réussite venait d’en bas ? » (disponible à l’adresse http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/16/34/47468770.pdf) laisse penser qu’il faut au plus vite re-réfléchir tout ce qui est « Pilote » au sens élitiste du terme. Il semble que la mise en place de Collèges Pilotes, Lycées Pilotes, (à quand des maternités Pilotes ?) ne soit pas le bon angle d’attaque pour améliorer les performances de l’enseignement. Paradoxe: les succès indéniables d’une partie du système éducatif ne sont-ils pas l’origine du mal ? Saura-t-on seulement remettre en cause nos choix politiques passés ?
 
 
							 
 
							 
 
							 
  
  
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
           	 
           	 
           	 
           	 
				 
				 
				 
				 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			