News - 23.10.2020

Ammar Mahjoubi: Mythologies proche-orientales et récits bibliques

Ammar Mahjoubi: Mythologies proche-orientales et récits bibliques

Par Ammar Mahjoubi - Dès le second millénaire avant le Christ, les Mésopotamiens avaient tenté de réfléchir aux grands problèmes et aux sujets angoissants qui n’ont cessé de hanter les humains. Le Poème de la création, une tentative pour expliquer le Cosmos, était ainsi récité en Babylonie, pendant les fêtes du Nouvel An, dans des moments d’exaltation intense, onze jours durant. La  pensée réflexive, encore enfouie dans la légende et le mythe, tentait de trouver des réponses à ces grandes questions. Il n’est donc pas étonnant que les auteurs de la Bible, le livre fondateur des trois grandes religions monothéistes, aient cherché source et inspiration dans ces mythologies ancestrales du Proche-Orient.

C'est de la création de la première humanité qu’il s’agit, à partir d’argile modelée par un dieu, dans le Poème d’Atrahasis (le «Supersage»). Cette première humanité est détruite par le Déluge. Le poème est daté des alentours de 1700 av. J.-C. et constitue le chef-d’œuvre majeur de la civilisation babylonienne. Il brosse, avec une technique parfaite dans la composition, un tableau ingénieux de l’histoire de l’humanité, depuis sa création et son ère mythique, jusqu’à l’âge «historique», à l’issue d’une longue gestation composée et retouchée par étapes. Donnant tout son sens à l’existence humaine, telle qu’on pouvait l’appréhender à l’époque, le mythe en souligne la nécessité et le rôle indispensable qu’elle assume dans l’énorme machine de l’Univers.

L’argile originelle de l’espèce humaine, tout comme le Déluge, sont encore présents dans l’Epopée de Gilgamesh. Les légendes qui sont à l’origine de cette épopée, la plus vieille des œuvres littéraires connues, sont datées des alentours de 2330-2000 : elles sont donc nettement antérieures à l’Iliade des Grecs et au Mahâbhârata des Hindous. Pleurant la mort d’Enkidu, son ancien serviteur, devenu son compagnon et son ami, Gilgamesh se lamente:

Comment me taire
Comment demeurer coi ?
Mon ami que je chérissais
Est redevenu argile

Agité, désemparé depuis cette « mort cruelle, qui brise les hommes », il n’arrive plus à se suffire de ces succédanés à l’immortalité que constituent le renom, les honneurs et le pouvoir, et décide de n’aspirer désormais qu’à la quête de la vie éternelle, qu’à la poursuite de «la vie -sans-fin ». Il hante le Désert et décide de consulter, hors des terres habitées, Utanapisti, le héros du Poème d’Atrahasis le «Super-sage», qui est ainsi nommé en Akkadien. Il avait accédé à l’immortalité en survivant au Déluge. Utanapisti (alias Atrahasis) le calme. Il lui explique et lui affirme que les exploits, les périls consentis pour arriver jusqu’à lui sont vains, car l’expérience qu’il a vécue, lui et lui seul, est un cas unique, qui ne souffre aucune récidive: il s’agit du récit, fameux, qui décrit le Déluge.

Perturbant  le sommeil du souverain des dieux, la trop grande multitude des hommes et leurs bruits assourdissants amènent cette divinité suprême à décider leur perte en provoquant le Déluge. Mais prévenu indirectement par son dieu protecteur, Utanapisti est déterminé à survivre au cataclysme et à assurer aussi la sauvegarde des êtres vivants. Il obéit donc aux injonctions de son dieu et suit ses instructions :

Démolis ta maison
Pour (te) faire un bateau !
Renonce à tes richesses
Pour te sauver la vie
Mais embarque avec toi
Des spécimens de tous les animaux

Survient alors le fléau fabuleusement décrit:

Six jours
Et sept nuits durant,
Bourrasques, Pluies battantes
Ouragans et Déluges
Continuèrent de saccager la terre
Le septième jour arrivé,
Tempêtes, Déluges et Hécatombes cessèrent
Comme une femme dans les douleurs.
La «Mer» se calma et s’immobilisa,
Ouragans et Déluges s’étant interrompus !
Le silence régnait !
Tous les hommes avaient été
Transformés en argile

Par l’intermédiaire du héros qui a survécu au Déluge, les dieux finissent par faire alliance avec les hommes, aussi bien dans le mythe d’Atrahasis que dans l’épopée de Gilgamesh.

Une autre légende, empruntée également au fonds commun des traditions proches-orientales, est aussi présente dans la Bible; il s’agit de la naissance de Moïse :

«Un homme de la maison de Lévi s’en alla prendre pour femme une fille de Lévi. Celle-ci conçut et enfanta un fils. Voyant combien il était beau, elle le dissimula pendant trois mois. Ne pouvant le dissimuler plus longtemps, elle prit pour lui une corbeille de papyrus qu’elle enduisit de bitume et de poix, y plaça l’enfant et la déposa dans les roseaux sur la rive du fleuve. La sœur de l’enfant se posta à distance pour voir ce qui lui adviendrait. Or la fille de Pharaon descendit au Fleuve pour s’y baigner (…) Elle  aperçut la corbeille parmi les roseaux et envoya sa servante la prendre.» (Exode 2, 1-5). Ce faisant, la mère espérait sauver son enfant  car « Pharaon avait donné ordre à tout son peuple : tout fils qui naîtra, jetez-le au Fleuve, mais laissez vivre toute fille.» (Exode 1, 22).

Ainsi racontés par la Bible, les détails de cette aventure attribuée à Moïse, nourrisson, avait été portés, des millénaires auparavant, par les traditions légendaires moyens-orientales, au crédit d’autres naissances, aussi bien divines, comme celles de Bacchus, que héroïques ou royales. A l’exemple de la naissance de Sargon d’Akkad, qui régna vers le milieu du IIIe millénaire avant le Christ :

«Je suis Sargon, le puissant roi d’Agadé. Ma mère était vestale …La vestale ma mère  me conçut, elle me mit au monde dans le secret. Elle me mit dans un panier de jonc, ferma ma porte avec du bitume, me mit dans le Fleuve …» (A. Lods, Israël, Des  origines au milieu du VIIIe siècle avant notre ère, Albin Michel, p.170).

Un autre mythe du Proche-Orient, repris par la Bible, est emprunté cette fois à la littérature égyptienne du Moyen Empire. C’est le Conte de Sinouhé l’Egyptien, qui date du XXe siècle av. J.-C. En disgrâce à la cour, Sinouhé trahit son pharaon, fuit l’Egypte et se réfugie chez des nomades en Syrie où il se marie, devient prince et chef de tribu. Mais la vieillesse et la nostalgie le ramènent au souvenir de son pays. Grâce à la providence et à la miséricorde divine, il reçoit l’autorisation du nouveau pharaon, abandonne ses biens à son fils aîné et se précipite en Egypte où il est reçu avec honneur. On lui fait même construire une pyramide. Le conte n’est pas sans rappeler l’histoire de Joseph dans la Bible. D’origine syro-cananéenne, celui-ci, à l’inverse, fuit en Egypte, y fonde une famille au sein de l’élite locale, et sur le tard, avec la vieillesse, revient à son pays.

Il en est de même pour le Cantique des Cantiques, le chant d’amour célèbre dans la Bible. Utilisant des mots grecs, il est daté de l’époque où les Hébreux étaient entrés en contact suivi avec le monde hellénistique, à la suite des conquêtes d’Alexandre. Ce chant a été très probablement inspiré par certains hymnes sumériens à Inanna (en Sumérien «Dame du ciel» ?), compagne favorite de An, dieu du Ciel, et patronne de l’amour physique, vénérée sous le nom d’Ishtar par les Akkadiens.

L’archéologie, par ailleurs, a fourni nombre de documents qui montrent que le caractère extatique du prophétisme, dans la Bible, où les prophètes tiennent lieu de porte-parole de Dieu, était longtemps auparavant au cœur de la vie religieuse du Proche-Orient, aussi bien au royaume de Mari, dans le Moyen-Euphrate, qu’à Alep, à Byblos et à Babylone. C’est ce que révèlent aussi bien les archives cunéiformes du palais de Mari, datées du XVIIIe siècle av. J.-C., que le récit de voyage de Ounamon, ce scribe égyptien qui fit, au XIe siècle av. J.-C., un voyage en Phénicie et raconta, de façon détaillée, une scène d’inspiration prophétique à Byblos :

«Comme il (le roi de Byblos) sacrifiait à ses dieux, le dieu saisit un des nobles pages, il  le fit tomber en convulsions; il dit : «Apporte le dieu ici. Amène le message d’Amon qui le possède. Renvoie-le, fais le partir !» (A. Lods, Op. cit. p.105). Le récit d’Ounamon continue, en indiquant que la crise du page s’est prolongée pendant la nuit. On constate, en conséquence, que la crise extatique, l’inspiration des prophètes israélites pouvait saisir, compte tenu de ces antécédents proche-orientaux, l’un des assistants aux cérémonies religieuses. Il y avait toutefois, comme l’indique à maintes reprises la Bible, des professionnels du prophétisme :
«Comme la famine s’était aggravée à Samarie, Achab fit appeler Obadyahu, le maître du palais – cet Obadyahu craignait beaucoup Yahvé : lorsque Jézabel massacra les Prophètes de Yahvé, il prit cent prophètes et les cacha, cinquante à la fois dans une grotte, où il les ravitaillait de pain et d’eau.» (Rois, 1, 18, 3-4).

Par ailleurs, et bien avant, la rédaction de la Bible s’est aussi développée au Proche - Orient, pendant longtemps, un courant de pensée qu’on retrouve dans les cinq livres de l’Ancien Testament qu’on appelle les Livres Sapientiaux. Il s’agit de ces écrits de sagesse, produits aussi bien en Egypte, tout au long de son histoire, qu’à Sumer et Akkad, en Mésopotamie : poèmes, fables, proverbes, qui ciblent les travers des humains, et s’étendent sur le sujet de la souffrance humaine ; avec, en particulier, le thème du « Juste souffrant » qui préfigure sans doute, dans la Bible, le livre de Job.

Rien d’étonnant, en effet, dans la pénétration de cette sagesse, essentiellement mésopotamienne, au pays de Canaan : à Ras-Shamra notamment, on a mis au jour des textes sapientiaux, écrits en akkadien, et dispensant une sagesse profane universelle, dont les préoccupations religieuses sont minimes. Différente de la réflexion philosophique des Grecs, elle expose un art de vivre, une éducation et une expérience qui sollicitent la conformité à l’ordre de l’Univers et explorent les voies d’accès au bonheur. Félicité, qui est loin d’être acquise à l’homme, ce qui justifie le pessimisme d’autres écrits, en Egypte autant qu’en Mésopotamie.

En langue araméenne enfin, et en pays sémite, on peut relever, pour conclure, l’histoire d’Ahiqar, ce scribe et membre de la cour assyrienne, qui vécut au VIIe siècle avant le Christ. Elle a été traduite en plusieurs langues, en syriaque notamment et en arabe, et elle n’est pas sans ressemblance avec l’histoire du sage Loqman (Sourate 31 du Coran سورة لقمان )

Ammar Mahjoubi

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