Ecoutons les «Confidences tunisiennes», de Marie Nimier
Par Slaheddine Dchicha
«La seule tribu dont je me revendique est celle dont les membres écoutent les histoires des autres et en les écoutant les font leurs» Sophie Bessis
Les livres écrits en français et qui prennent pour cadre la Tunisie ne se comptent plus. Après ceux de Didier Decoin, Michèle Fitoussi, Olivia Elkaim, Pauline Hillier… qui, en 2023, situaient leur narration dans une période passée, plus ou moins lointaine, de l’histoire du Pays, voilà que l’année 2024 s’ouvre sur «Confidences tunisiennes»* de Marie Nimier, un ouvrage qui nous gratifie d’ une émouvante mosaïque de la Tunisie et des Tunisien.nes d’aujourd’hui.
L’écoute
Marie Nimier est d’ailleurs rompue à ce genre d’exercice, puisqu’elle a déjà publié en 2019 «Confidences», en ayant recours au même procédé. Après un «appel à confidences», l’auteure est restée deux mois à Tunis et a recueilli les confidences d’anonymes en direct, mais aussi par téléphone et parfois par écrit: «…je me suis retrouvée à la fin de mon séjour avec une quantité impressionnante de notes et d’enregistrements…» (p.15), résultat qui n’étonne pas si on croit les propos d’un de ses confidents: « Ici en Tunisie il y a beaucoup à cacher. Et qui dit beaucoup à cacher dit beaucoup à raconter à quelqu’un qu’on ne reverra jamais. Quelqu’un qui sait à la fois garder les secrets et les délivrer.» (171)
Cependant, il ne s’agissait pas de publier ces confidences telles quelles,: «… mais de m’en inspirer pour écrire des nouvelles…» (p.13) et c’est ainsi que l’on se trouve en présence de 56 récits d’une longueur moyenne de 3-4 pages mais qui peut se réduire à un bref paragraphe ou bien, à deux reprises notables, prendre de l’ampleur et atteindre 14 pages pour l’un et 24 pages pour celui qui clôt le livre, comme s’il s’agissait de prolonger le plaisir en repoussant sans cesse la fin.
Des Tunisien.nes
Les récits, à l’image des confident.es, abordent les sujets les plus divers et variés; ils vont des plus communs et anodins comme: «la chasse aux mouches; le premier chéquier, les chiens errants, les effets hallucinatoires de la saupe, la nuisance sonore des hauts parleurs appelant à la prière…»; aux plus sérieux et graves comme: «la corruption, le chômage, la pénurie des denrées de base , l’émigration clandestine, la fuite des cerveaux, le départ des élites, les luttes féministes… » sans oublier les préoccupations les plus intimes comme: «l’homosexualité, le mariage orfi, le tabou de la virginité, le vaginisme…»
Sans pour autant donner dans l’exotisme et afin désigner au mieux les réalités spécifiquement tunisiennes, ces récits souvent émouvants, bienveillants et parfois drôles, recourent plus d’une fois à la Darja, le dialecte tunisien, au niveau des mots: adhan (l’appel à la prière), chméta (se réjouir du malheur d’autrui), harza (la masseuse); mais aussi au niveau des expressions: Brabbi (s’il te plaît), mlaïktou thqila (antipathique), hlib el ghoula (rare et précieux)…
Le dispositif narratif
«Ces objets littéraires» écrits à partir de témoignages oscillent entre fiction et réalité comme le «docufiction» ce genre cinématographique aujourd’hui très en vogue et très pratiqué. Ainsi parfois la réalité investit l’espace fictionnel comme lorsque une confidente rend hommage à Lina Ben Mhenni, la militante politique et féministe très connue ou lorsqu’une autre décrit sa passion obsessionnelle pour l’écrivaine française Marie NDiaye et c’est encore plus flagrant lorsque le confident n’est pas anonymisé et qu’il raconte son vécu comme le fait l’universitaire bien connu Mohamed Chérif Ferjani.
D’autres fois, Marie Nimier, comme pour ne pas s’approprier entièrement les récits qui lui sont confiés, laisse apparaître les «coutures» en reproduisant les interpellations des confident.es: «C’est vraiment très intime, et moi j’ai senti que tu avais besoin d’intime quand tu m’as parlé de ton projet» (P97) lui confie l’une et un autre lui demande: «Et toi, qu’est-ce que tu fais comme travail? Tu écris des livres, ou seulement des confidences?» (P112). Quant à l’ultime confident, une sorte de séducteur obsessionnel, il demande à l’auteur: «j’ai envie de te plaire… j’aimerais te séduire par ma sincérité. Est-ce que ça t’excite un peu, ce que je te raconte?»…
Le lecteur ignore la réponse de Marie Nimier à ce bonimenteur, mais il sort de ce livre ravi par sa drôlerie, sa bienveillance et sa beauté.
«Confidences tunisiennes», Marie Nimier, Gallimard, 2024, 256p. 20,50€
Slaheddine Dchicha
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