Questions à ... - 13.12.2012

Imad Daïmi : l'interface de Carthage

Imad Daïmi est sans doute une pièce maîtresse dans le dispositif du Dr Marzouki à la Présidence de la République. De par ses fonctions de directeur de cabinet, mais aussi de par son rôle «historique» dans la fondation, avec les autres militants, du CPR et la réussite de la campagne électorale. On lui attribue rarement le mérite des actions réussies, mais on l’accable au moindre faux pas commis par lui-même ou son équipe. Ses détracteurs l’accusent de s'accaparer le Président et de l’isoler de ses camarades d’hier. Ils lui reprochent même de tenir en poigne, même si en apparence dans un gant de velours, les rouages de la Présidence. Quant à ceux qui le côtoient, ils lui reconnaissent un talent de chef d’équipe qui sait mobiliser les énergies et les mettre en synergie pour conduire des stratégies minutieusement réfléchies.

Ce qui est certain, disent-ils, c’est qu’il jouit de la totale confiance du Président, se fixe ses propres limites et favorise le travail en équipe et impose le respect de l’Institution présidentielle. « Je ne suis qu’un proche collaborateur du chef de l’Etat, je travaille sous son autorité et je ne fais qu’assurer la coordination de l’équipe », nous dit-il comme pour relativiser son propre statut. Pourtant, il joue en fait, notamment avec Aziz Krichen, le conseiller politique, un rôle de tout premier plan.

« Gérer Moncef Marzouki, ce n’est déjà guère une mince affaire, souligne un habitué du sérail. Dans ses nouvelles fonctions de président de la République, au sein de la Troïka et en pleine transition, cela devient encore plus délicat. Rien qu’à voir Daïmi encore en poste et avec la même ardeur depuis bientôt un an, c’est un signe de réussite ».

A 42 ans, Imad Daïmi, économiste du développement reconverti en technologies de l’information, était rentré en Tunisie, dès janvier 2011, après près de 20 ans d’exil en Mauritanie, au Sénégal et surtout en France. Dès l’accord de la Troïka pour confier la présidence de la République au Dr Marzouki, il a constitué la toute première équipe devant prendre contact avec le cabinet du président par intérim, Foued Mebazaa, pour préparer la passation des pouvoirs, le 12 décembre 2011. Ce jour-là, à peine Mebazaa salué, il fera discrètement son entrée avec son équipe, et c’est parti !

Comment a-t-il vécu cette année à Carthage ? Quels sont ses rapports avec le Président, les autres membres du cabinet et les services de la Présidence ? Comment procède-t-il ? Et quels sont les moments difficiles endurés ? Interview.

Quel bilan personnel tirez-vous de cette année à la Présidence ?

Ce fut pour moi comme si c’était dix ans, tant tout est intense, avec toute la fierté d’être là et l’exaltation de pouvoir servir. Nous étions arrivés dans un milieu miné ou, du moins, méfiant, pour ne pas dire hostile, mais nous avons rapidement construit une confiance mutuelle et converti toutes les énergies vers le travail.

D’emblée, trois décisions nous paraissaient urgentes : maintenir en poste ceux qui l’ont souhaité parmi les collaborateurs du président Mebazaa, préserver l’institution et ses acquis et  nous imposer à nous-mêmes qui avons des liens de longue date et de proximité avec le Président Marzouki de nouvelles règles dans nos rapports avec lui, en tant que Président de la République.

Je m’adresse à lui, comme d’ailleurs à tous mes collègues, en utilisant toujours Monsieur le Président. Le port de la veste est obligatoire, le respect du protocole est rigoureux. Même si c’est notre ami de longue date, nous respectons la fonction et gardons toujours une distance en lui laissant à lui seul l’initiative de nous appeler près de lui.

J’essaye de comprendre très vite ses attentes et d’y répondre, mais je m’en tiens toujours à mes limites. Je ne prends pas de grandes décisions sans le consulter auparavant et recueillir ses instructions. Même s’il me donne carte blanche pour la gestion quotidienne des affaires, j’essaye toujours de lui soumettre les décisions en lui proposant plus d’une option possible. (Voir en encadré: «Le staff présidentiel»)

Au fur et à mesure, nous avons amélioré le travail dans le sens d’une plus grande professionnalisation. Le Président a des idées très précises sur l’organisation du cabinet et son fonctionnement et il suit notre action, à travers les notes que nous lui adressons mais surtout les réunions périodiques qu’il préside. (Voir en encadré: «Comment travaille Marzouki»)

Nous avons démarré avec un handicap majeur : une équipe réduite avec des jeunes sans grande expérience de l’Administration et de la Présidence. Et nous nous sommes donné pour objectif à la fois de réussir le rôle important qui revient à la Présidence et de transformer cette institution pour la rendre plus proche de l’esprit de la révolution. (Voir en encadré : «Une nouvelle restructuration»)

Beaucoup se demandaient pourquoi Dr Marzouki avait accepté la Présidence avec des pouvoirs si réduits ?

On savait d’avance que ce poste resterait le plus important. De par sa perception par l’opinion publique qui a toujours attribué à Carthage un grand pouvoir, mais aussi et beaucoup en sont désormais convaincus avec le recul du temps, parce que la Présidence est capable de constituer une force de proposition et de s’imposer en garante de l’union nationale, de la souveraineté et du respect des droits de l’Homme. Et, cela s’est confirmé. Il avait deux attributions très claires: les affaires étrangères et la défense nationale. Et il n’a guère tardé à les assumer.

Dans une toute première phase, nous nous sommes focalisés sur les relations internationales pour améliorer l’image du pays et donner à la Tunisie des ailes en tant que porte-flambeau du Printemps arabe. Puis, nous avons pris à bras-le- corps les différentes questions fondamentales dans le pays, en répondant rapidement aux urgences tout en réfléchissant en profondeur aux réformes indispensables.

Le Président s’implique de plus en plus dans les questions de défense nationale

En tant que chef suprême des armées, il a hautement apprécié le rôle joué par l’armée nationale dès les premières heures de la révolution et exprimé sa satisfaction pour l’accomplissement de sa mission.

Au fil des mois, ayant constaté que l’armée a été encore plus fortement sollicitée et s’en acquitte parfaitement, malgré la modestie des ressources, il a voulu se familiariser davantage avec son fonctionnement, lui témoigner de son soutien et voir comment elle pourra contribuer davantage à la stabilisation du pays et au développement.

C’est pourquoi il a multiplié les réunions et visites, tenant particulièrement à réitérer son soutien moral aux troupes et aux commandements. C’est là une réponse à une vraie demande de voir la direction politique plus présente et plus soucieuse de satisfaire les attentes.

Comment sont vos relations avec le gouvernement ?

A un certain moment, elles étaient très tendues. Chacun cherchait à délimiter son territoire et s’offusquait du mode opératoire, pour adresser un courrier, appeler un haut responsable ou autres. On ne peut pas dire que tous les problèmes sont aujourd’hui résolus, mais l’essentiel, c’est qu’une procédure a été arrêtée d’un commun accord et elle fonctionne bien.  Aussi, nous nous sommes attachés à préserver les institutions relevant de la Présidence, tout en apportant notre totale collaboration. C’est le cas par exemple de la Sécurité présidentielle, lorsque certains voulaient la rattacher au ministère de l’Intérieur, ou de la Société nationale des résidences «Montazah Gammarth», en charge notamment du pèlerinage, qu’on voulait placer sous la tutelle du ministère des Affaires religieuses, etc.

Pour d’autres questions, nous avons toujours suscité une réflexion en commun afin de trouver des solutions radicales et d’ensemble. Alors des réunions avec les représentants du chef du gouvernement et des ministères concernés se tiennent à cet effet à l’initiative de la Présidence et permettent souvent d’aboutir au consensus souhaité.

Le Président a-t-il changé ?

Mais bien sûr ! Il a très rapidement endossé la fonction. Il se sent responsable de tout ce qui se passe et en devient parfois très tendu. Lorsqu’il avait appris le décès des deux jeunes grévistes de la faim, il en a porté le deuil et en a été consterné pendant plusieurs jours.

Il a pris beaucoup de recul par rapport à ce qui est personnel et quotidien, se détachant de la gestion de ses propres affaires, pour se consacrer à sa mission. Et puis, il fait un travail continu sur lui-même, pour ne pas réagir immédiatement à l’actualité, prendre du recul.

Il fait preuve de plus de retenue et réfléchit beaucoup à l’intérêt global de chaque question qui se pose. On voit aussi qu’il se détache de l’esprit du CPR… Il fait toujours la part des choses, séparant nettement la Présidence de tout le reste. Même quand il s’agit de réunions de la Troïka, il préfère toujours qu’elles se déroulent en dehors du palais présidentiel.

Ou encore, il est très attentif à toutes les dépenses qui sont engagées, appelant sans cesse à l’économie et imposant des restrictions rigoureuses. Quant à ses dépenses personnelles, il veille scrupuleusement à ce qu’elles soient imputées, au millime près, à son propre compte bancaire. D’ailleurs, vous l’avez sans doute constaté : pour aller à Londres recevoir le Prix de Chattham House, il a refusé d’emprunter l’avion présidentiel et tenu à voyager sur les lignes régulières de Tunisair en payant son propre billet.

Quand  a-t-il switché pour la première fois ?

Immédiatement ! Deux ou trois jours seulement après son installation à Carthage, il a commencé sa mue. Puis, tout cela s’est accéléré au fil des semaines et à l’épreuve du temps.

Personnellement, quel a été pour vous le moment le plus difficile à vivre parmi toutes les crises survenues ?

Sans aucun doute l’affaire d’Ayoub Messoudi. J’entretenais avec lui une relation très forte d’amitié et de respect mutuel. Il avait tant sacrifié avant la révolution déjà, puis après, pour le CPR et il a été d’un précieux soutien pendant la campagne électorale, renonçant à son travail, payant de sa poche autant que possible et dépensant toutes ses énergies pour faire réussir nos candidats.

S’investissant totalement avec l’équipe dès le premier jour à Carthage, il avait accompli un bon travail jusqu’à ce qu’il nous surprenne par sa démission puis ses déclarations. Ce fut pour moi, à titre personnel, très pénible à croire et à endurer. Mais, je ne lui souhaite que du bien.

Lire aussi :

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