Opinions - 04.03.2012
Du bon usage des recettes fiscales
La loi de finances rectificative sera bientôt discutée par l’Assemblée nationale constituante. Il est à espérer que les membres de la Constituante saisiront cette occasion pour soulever la question fort importante des exonérations multiples octroyées par la législation actuelle, exonérations qui érodent les recettes publiques depuis de longues années. Le sujet est d’autant plus crucial que l’Etat a besoin de vastes ressources pour mener un programme ambitieux d’investissements publics, surtout dans les infrastructures et le développement rural dans les régions défavorisées.
Ces exonérations sont octroyées aux niveaux douanier et fiscal sous différentes dispositions légales et/ou réglementaires, notamment dans le but d’« encourager » les investissements privés. Données à tort et à travers sous l’ancien régime, elles devraient être examinées munitieusement par une étude approfondie sur leur ampleur, leur efficacité et leur justification économique et sociale. Par l’érosion des recettes publiques, elles constituent en fait des dépenses budgétaires déguisées. Si le manque à gagner dû à ces dégrèvements était comptabilisé, c’est comme si l’Etat l’avait encaissé et décaissé des subventions aux entreprises et individus bénéficiaires. A ce titre, il convient de les considérer comme des dépenses budgétaires et devraient, en toute logique, être transparentes dans les comptes publics pour montrer aux responsables des finances publiques et au public, en général, leur caractère réel de subventions.
Trois aspects fondamentaux devraient être clarifiés à propos de ces exonérations. Le premier est leur ampleur qui devrait être saisie par le calcul du manque à gagner qui en résulte pour l’Etat. Dans certains pays, ce manque à gagner s’élève à des multiples des recettes elles-mêmes, i.e. trois ou quatre ou cinq fois les recettes douanières par exemple ; ce qui est énorme. En Tunisie, on peut considérer que les services douaniers ont des estimations assez précises du manque à gagner. Mais elles ne sont pas régulièrement publiées si jamais elles l’étaient. Quant aux services des impôts, il est fort probable que les estimations soient approximatives. Or, il est important pour l’Etat de savoir ce qu’il perd en octroyant ces exonérations. Non seulement cela, mais aussi déterminer les contreparties effectives fournies par les entreprises et les individus bénéficiaires.
Ces contreparties sont soit des produits et services ou des exportations et des gains en devises ou un emploi intensif ou un apport technologique significatif ou un désenclavement d’une zone ou la mise en œuvre de réalisations sociales en matière d’éducation et de santé. Or, très souvent, une fois les dégrèvements accordés à un projet, on ne suit plus, au niveau des ministères du plan et des finances, l’évolution du projet et la mise ne œuvre effective des engagements en contrepartie desquels les exonérations ont été initialement accordées. Si les engagements ont été des engagements bidon, il est normal que l’Etat retire les avantages indûment accordés. Ce suivi doit être rigoureux et sans état d’âme. Sinon, l’Etat se fait rouler par des « entrepreneurs » malhonnêtes, puisqu’on a affaire à un marché de dupes. C’est l’équivalent d’une fraude fiscale. Dans ces conditions, des redressements devraient être opérés. Si des dégrèvements fiscaux sont donnés (qui constituent un sacrifice public), il faut s’assurer qu’ils le sont contre des actions économiques et sociales effectives pour le bien-être collectif, en même temps que les bénéfices générés au profit de l’entrepreneur.
Il est également important que les avantages fiscaux soient gradués à la mesure de la sophistication technologique de l’investissement. Edifier une usine pour fabriquer des clous ou des chaussettes n’est pas la même chose que construire une usine de composants informatiques ou de médicaments. La Tunisie a besoin de faire un saut industriel technologique pour employer ses chômeurs diplômés, bénéficier de plus-value significative et valoriser ses exportations. Donner les avantages fiscaux en vrac à tout investisseur est contreproductif. Les activités à faible niveau technologique ne devraient recevoir que le minimum. En contrepartie, à mesure que l’investissement apporte un degré technologique supérieur, il devrait bénéficier d’exonérations plus substantielles. En achetant les rafales à la France, l’Inde a exigé qu’une bonne partie soit fabriquée en Inde. La Chine a utilisé cette méthode depuis longtemps, ce qui a contribué à son essor technologique actuel.
La révision de notre législation d’encouragement aux investissements s’impose. La nouvelle législation devrait être au service du développement technologique de notre pays. Elle devrait être appliquée avec parcimonie et en s’assurant que les contreparties de ces dépenses publiques soient véritablement réalisées et que les engagements pris soient effectivement tenus. Des fortunes colossales ont été faites sous l’ancien régime en utilisant abusivement ces dépenses fiscales avec un accès sans limite au crédit bancaire (l’argent des déposants y compris celui des entités publiques) et en payant le minimum d’impôt. Il est temps, après le 14 Janvier, que de telles situations soient assainies.
Dr. Moncef Guen
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Les Commentaires
haouel - 05-03-2012 10:32
Il est effectivement temps après 40 ans depuis la loi 1972 de faire le bilan des avantages fiscaux et subventions de nature diverses accordées au nom de l'incitation à l'exportation et à l'emploi. Par ailleurs ce qui était vrai à cette période ne l'est plus aujourd'hui. Ajoutez à cela les dépenses engagées sous le chapitre "mise à niveau", de dépenses pour l'environnement. Ces budgets trop importants doivent être analysées comme dépenses publiques et leur affectation doit être contrôlée comme toutes dépenses et ne pas traitée comme avantage tout court.
Tarak MBAREK - 05-03-2012 11:58
Analyse vide.Mr Moncef Guen ne semble pas disposer d'informations à jour.
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