Riadh Ben Sliman: Le monde qui vient aura la question palestinienne comme épicentre

L’accélération des multiples crises et la déstabilisation de plus d’une région dans le monde ne sont pas des faits isolés ou fortuits. Elles participent d'une logique inaugurant une ère de confrontations et de guerres, symptômes d’un système international devenu obsolète et dépassé.
L'exaltation de la puissance, l’imbrication des crises et des défis, l’effritement de l’idée de progrès, l’impasse de la modernité, les ravages d’un néolibéralisme aveugle, le triomphe de l’industrie de l’abrutissement à travers la prolifération de plateformes constituant un affront à l’intelligence humaine, l’expansion de la logique marchande dans les espaces les plus privés de la vie des gens, le recul de la spiritualité dans certaines contrées… tous participent à la forte dégradation de la situation. On avance vers ce monde dangereux qui se dresse comme des somnambules (sleepwalkers). La paix internationale n’a jamais été aussi menacée.
Ces éléments qui s’imbriquent et s’enchevêtrent couvaient depuis des décennies. Seulement on les voit à l’œuvre maintenant.
La démolition devenue plus qu’apparente du cadre juridique régissant la paix et prohibant la guerre, la mise à l’écart de toute coopération internationale multilatérale au profit de politiques unilatérales peu soucieuses de l’intérêt des nations et des peuples ont permis davantage de lever le voile sur ces mutations profondes à l’œuvre dans le monde.
Le 7- Octobre vient bouleverser un système injuste
L’opération du 7 octobre 2023 est un véritable sursaut face aux dérives du système international. C’est un véritable mouvement tectonique qui a bouleversé et secoué davantage ce système porteur d’injustices. Cette opération avait pour but de remettre la plus grande injustice de notre temps au centre de l’attention et de l’agenda international après des années de manœuvres visant à réduire au silence le peuple palestinien déjà en proie à une visibilité sélective «qui le rend inaudible, ou ne le montre et ne l’écoute que dans l’unique cadre de certains points de vue ou registres perceptuels : terroristes, manifestants, meurtriers, sujets humanitaires, tout en privant les Palestiniens de leurs qualités les plus humaines».
Les deux dernières années ont mis en avant la résistance héroïque des Gazaouis et de l’ensemble du peuple palestinien, l’attachement à leur terre face aux tentatives vaines de les déposséder de leur territoire, les valeurs morales devenus légendaires dont ils sont pourvus, leur inébranlable conviction de la justesse et de la légitimité de leur lutte contre les politiques et pratiques cruelles de l’occupant, auteur du génocide le plus abject de l’histoire.
L’impunité dont jouissent les dirigeants de l’entité sioniste qui sont davantage encouragés à aller de l’avant dans leur entreprise meurtrière par les protestations platoniques de nombreuses puissances, et par une complicité manifeste masquée derrière une apparente passivité, constitue un affront à la conscience humaine. Cet accompagnement docile de l’entité génocidaire est confronté au sursaut international actuel, les opinions publiques étant déterminées à en découdre avec l’impunité et ces crimes atroces. Le temps de la compassion narcissique avec l’entité sioniste pourrait vivre ses dernières heures. L’opinion publique, notamment occidentale, se retrouve en face d’images de massacres qui reflètent la nature démoniaque de ceux qui l’ont commis.
Ces massacres, ce génocide, ces meurtres barbares, cette famine, vu leur ampleur et portée, ne seront pas limités dans le temps mais interagiront avec les dynamiques internationales en cours et futures. Le crime est d’une telle ampleur qu’il fera partie des facteurs influant sur le cours des relations internationales tout au long des prochaines décennies.
Et c’est ainsi que la question palestinienne s’imposera plus que jamais comme un déterminant central des futures relations internationales. Le génocide en cours, par son ampleur et sa nature extrême, ne pourra plus être effacé ni du récit historique ni de la conscience collective de l’humanité. Il imprégnera profondément le narratif global tout au long des prochaines décennies. Plus que les autres crimes de masses qui ont marqué le 20e siècle, le génocide à Gaza déterminera les textes normatifs et conditionnera la légitimité future du droit international et des institutions internationales censées incarner la paix et la justice universelle.
Le système international, la pertinence et la crédibilité des normes internationales, la justice universelle comme la solidarité internationale se mesureront à l’aune du génocide à Gaza. Celui-ci évoluera au-delà des contingences politiques immédiates pour s’inscrire dans la durée.
Impuissance de l’ONU alors qu’il est possible de mettre fin aux massacres
Un fait important restera gravé dans les annales : hormis le déploiement humanitaire de l’ONU dont les agents ont payé un lourd tribut, le département politique a échoué lamentablement. Le Secrétaire général M. Guterres, ses principaux conseillers (des affaires politiques, conseillers sur le génocide, les enfants dans les conflits, la violence sexuelle dans les conflits) le haut-commissaire aux droits de l’homme et d’autres responsables politiques onusiens ont brillé par leur inaction non pas parce qu’ils ont été incapables d’agir mais parce qu’ils ont tout simplement choisi de ne rien faire.
Pourtant, les moyens de mettre un terme au génocide à Gaza existent et n’attendent qu’à être appliqués mais on feint de les ignorer et on s’efforce de ne pas les voir.
Comme le cas de l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, il s’agit d’un combat de longue haleine. Mais même face à l’obstruction de certains gouvernements alliés de l’entité génocidaire, il existe des leviers d’action comme le boycott, les sanctions, les poursuites fondées sur la compétence universelle et les recours civils contre les auteurs de crimes à Gaza et leurs complices.
Aussi, une véritable intervention et une protection effective du peuple palestinien peuvent être mises sur pied.
Institué par la Résolution 377 à l’initiative du Secrétaire d’Etat américain Dean Acheson lors de la guerre de Corée en 1950, le mécanisme intitulé « Uniting for Peace » confère à l’Assemblée générale le pouvoir d’agir en cas de blocage du Conseil de sécurité en raison de l’utilisation du veto par l’un des membres permanents. Grâce à ce dispositif, l’épicentre du pouvoir aux Nations unies se déplace du Conseil de sécurité à l’Assemblée générale. Celle-ci pourrait décider d’une intervention rapide au moyen d’un déploiement d’une force de protection de la population civile à Gaza et en Cisjordanie, de l’acheminement de l’aide humanitaire, de la préservation des preuves des auteurs de crimes israéliens et de soutien aux efforts de reconstruction. Mais l’ONU est-elle capable de mettre fin à la passivité dont elle fait preuve même si elle est continuellement soumise aux pressions des alliés de l’entité sioniste?
L’ONU dépassée et supplantée par d’autres formes d’interaction?
L’on se retrouve face à une situation où le rétablissement de la paix est de plus en plus compliqué par la fragmentation de l’ONU, conséquence des divisions géopolitiques, par le recentrage des priorités des Etats autour de leurs intérêts nationaux ainsi que par la complexité des facteurs à l’origine des conflits contemporains, ce qui accroît la perte de confiance dans cette organisation et dans les institutions multilatérales en général.
D’où la tendance actuelle de recourir à l’unilatéralisme au détriment d’un multilatéralisme universel tel qu’incarné par les Nations unies. Au cours de la dernière décennie, à mesure que la fragmentation internationale s’est accélérée et que l’accord dans les forums multilatéraux est devenu plus difficile à obtenir, la tendance s’est visiblement inversée pour privilégier des mécanismes restreints destinés à gérer la paix et le développement comme le G7, le G20, etc.
Toutefois, ce morcellement de l’universel ne sert pas la paix, l’action collective et la solidarité internationale, en témoigne la tendance actuelle à privilégier les intérêts restreints aux dépens du bien commun.
Riadh Ben Sliman
Ancien ambassadeur
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