À l’occasion de la fête du travail: Un hommage particulier aux ouvrières agricoles (Album photos)

Par Ridha Bergaoui - Le 1er mai, le monde célèbre la fête du travail, une journée symbolique rendant hommage aux luttes historiques des travailleurs pour leurs droits fondamentaux. Cette date évoque les sacrifices de générations entières pour obtenir de meilleures conditions de travail.
En Tunisie, bien que des avancées notables aient été réalisées en matière de couverture sociale et d’intégration de certaines catégories professionnelles – comme les ouvriers des chantiers – les ouvrières agricoles restent parmi les plus marginalisées, vivant souvent dans une extrême précarité.
Le calvaire des ouvrières agricoles
La population rurale représente environ 30 % de la population tunisienne, dont près de la moitié sont des femmes, soit environ 1,8 million de personnes. D’après le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche, 58 % des femmes rurales travaillent comme ouvrières agricoles – soit près d’un million.
Certaines sont actives au sein de l’exploitation familiale, souvent sans aucune rémunération, tandis que la majorité exerce dans des exploitations privées ou domaniales, comme journalières.
Ces femmes, symbole de courage et d’abnégation, se lèvent très tôt, avant l’aube pour aller travailler aux champs. Leur trajet est périlleux: elles doivent payer pour être transportées dans des véhicules inadaptés, entassées dans des camionnettes ou des remorques tirées par des tracteurs, dans des conditions inhumaines. Ces «camions de la mort» ont causé des dizaines d’accidents.
Le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux rapporte que, de 2015 à 2024, 84 accidents graves ont fait 60 morts et plus de 500 blessées. L’un des plus tragiques a eu lieu en avril 2019 à Sidi Bouzid, où douze personnes ont perdu la vie, dont sept ouvrières agricoles.
Malgré des lois réglementant le transport de ces ouvrières, les violations persistent. Les transporteurs, devenus des intermédiaires incontournables, fournissent la main-d’œuvre aux exploitants agricoles, renforçant ainsi leur emprise sur ces femmes. Le fameux foulard fleuri, qui les protège du soleil et du froid, est devenu l’emblème de ces ouvrières agricoles, le symbole de leur lutte et leur combat silencieux pour la dignité.
Ces femmes endurent des journées épuisantes, sous un froid glacial en hiver ou du sirocco étouffant en été. Elles participent aux principales campagnes agricoles – cueillette des olives, vendanges, moissons, ramassage du foin – mais aussi à l’entretien des bâtiments d’élevage ou à la transformation de produits agricoles.
Elles travaillent sans relâche. Même durant la révolution ou la pandémie de Covid-19, elles ont continué à travailler, assurant ainsi l’approvisionnement du pays en fruits et légumes indispensables pour l’alimentation des Tunisiens. D’un certain âge, jeunes, parfois mineures, elles sont exposées à toutes formes d’abus : harcèlement, violences verbales ou physiques, licenciements abusifs…
Après une journée exténuante, elles rentrent chez elles pour assumer les tâches domestiques et s’occuper de leur famille.
Des conditions de travail inacceptables
Bien qu’il existe un Salaire Minimum Agricole Garanti (SMAG), variant entre 20 et 23 dinars par jour, la réalité est toute autre. De nombreuses ouvrières agricoles sont payées bien en deçà de ce montant, souvent la moitié. À titre de comparaison, un simple ouvrier urbain peut toucher plus de 40 dinars par jour. Cette inégalité salariale explique en partie l’exode rural avec les campagnes qui se vident et les villes qui grossissent.
Face à la hausse des coûts de production et à la pression des intermédiaires, certains exploitants préfèrent comprimer les dépenses salariales en sous-payant les ouvrières, au détriment de toute équité et de la légalité. Pourtant, la solution réside dans la revalorisation de leur travail, l’amélioration des rendements agricoles et l’allégement des circuits de commercialisation.
Exposées aux produits chimiques, aux intempéries et à des animaux parfois violents, ces femmes accomplissent des tâches que les hommes refusent, considérant ce travail comme « indigne ». Ils préfèrent, à la limite, des tâches valorisantes comme gardien ou caporal responsable d’un groupe d’ouvrières. Les ouvrières, elles, acceptent par pragmatisme, car elles n'ont pas le luxe du choix.
Une situation à l’image de celle du secteur agricole
Les ouvrières agricoles sont bien plus que de simples exécutantes: elles sont des piliers essentiels de l’économie rurale et de la sécurité alimentaire nationale. En plus de leur contribution à la production agricole, elles soutiennent souvent seules leur foyer, gèrent le budget familial, l’éducation des enfants, et perpétuent les traditions locales.
Elles luttent au quotidien contre la faim, la pauvreté, la désertification des campagnes, et sont les garantes d’un mode de vie rural qui tend à disparaître. Elles paient parfois de leur vie le prix de leur engagement.
La condition de la femme rurale reflète les faiblesses structurelles du secteur agricole tunisien : un secteur longtemps marginalisé, archaïque, peu mécanisé, et concentré dans les régions de l’intérieur, délaissées par les politiques de développement. Les inégalités territoriales en matière d’infrastructures, d’éducation, de santé ou d’accès aux services publics contribuent à cet abandon.
Le modèle économique basé sur le blocage et le contrôle des prix alimentaires et la compression des salaires a atteint ses limites. Il faut aujourd’hui repenser la valeur de la main-d’œuvre agricole et offrir aux travailleuses rurales les conditions de dignité qu’elles méritent.
Ces ouvrières sont également confrontées au changement climatique et à la sécheresse. Sans pluie, pas d’agriculture, pas d’emplois pour ces femmes et leurs familles, qui sont ainsi à la merci des caprices de l’homme et de la nature. Il est nécessaire de trouver les solutions adéquate au dérèglement climatique et opter pour une agriculture résiliente et durable qui puise garantir la sécurité alimentaire pour le pays et assurer l’emploi pour les ouvrières agricoles.
Quoique l’aspect social a été une préoccupation permanente du pouvoir en place et que le Président de la République n’a cessé de donner ses directives et ses recommandations aux Ministres pour trouver les solutions adéquates à des problématiques, parfois très anciennes (ouvriers des chantiers, les diplômés du supérieur et docteurs en chômage, les ouvriers de la sous-traitance, les enseignants suppléants…), le problème des ouvrières agricoles demeure encore presque entier. C’est que la solution passe en réalité par une revalorisation de l’espace rural en général et une attention particulière à tout le secteur agricole.
Conclusion
Des efforts ont certes été consentis pour rapprocher ville et campagne – accès à l’eau potable, électricité, routes, Internet – mais beaucoup reste à faire. Il est urgent de créer des opportunités de développement et d’emploi dans les zones rurales pour limiter l’exode rural. La situation des ouvrières agricoles incarne celle de tout le secteur agricole : vulnérable, sous-évalué, mais essentiel.
Il est temps que leur rôle des ouvrières agricoles soit reconnu, respecté et valorisé à sa juste mesure.
Il est nécessaire de veiller à leur assurer un transport sûr, un salaire juste, une couverture sociale adéquate et une retraite décente pour vivre dignement. Il faut également leur assurer l’égalité économique avec les hommes et une protection contre les abus divers auxquels elles sont exposées.
Dans de nombreux pays, on célèbre le 15 octobre la« Journée internationale des femmes rurales ». Cette fête permet de souligner leur rôle crucial de la femme rurale et de sensibiliser le public à sa situation et ses difficultés.
Faute d'une journée entière, ayons au moins une pensée sincère pour elles en cette fête du travail. A toutes ces héroïnes de l’ombre, ces combattantes et travailleuses silencieuses : respect, reconnaissance et gratitude.
Ridha Bergaoui
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