News - 27.01.2025

Olivaison 2024: Une aubaine mêlée d’amertume et d’inquiétude

Olivaison 2024: Une aubaine mêlée d’amertume et d’inquiétude

Par Abdellaziz Ben-Jebria - J’accueille habituellement l’hiver avec un enthousiasme chaleureux, car il m’évoque souvent d’heureux souvenirs de mon enfance, en compagnie de ma grand-mère maternelle, et de mémorables journées de bonheur familial partagé avec nos bons voisins d’antan, grâce à la joyeuse ambiance d’olivaison qui entourait les traditionnelles journées de cueillettes à la campagne environnante de mon village natal.

Et c’est donc avec cet engouement hospitalier que j’aime aussi exalter les mérites de la saison hivernale pour ses longues nuits de veilles familiales et reposantes, pour ses courtes journées intensément occupantes mais légèrement fatigantes, pour la générosité de ses agrumes acidulés et énergisants avec ses délicieuses clémentines et mandarines richement vitaminées, pour la profusion de ses légumes verts de fibres abondantes, et pour ses plats chauds aussi fibreux de choux et de feuilles de navets qui chauffent le corps complaignant et qui calment l’estomac ronronnant. Mais, j’aime surtout l’hiver pour la joliesse de ses oliveraies chaleureusement accueillantes et bellement verdoyantes qui annoncent joyeusement la bienvenue de la saison fêtarde de l’olivaison et l’ouverture de la cueillette que j’adore contempler avidement et que je me réjouis d’y participer activement.

Voilà pourquoi je déclare sans pudeur que je suis platoniquement un amoureux de l’olivier. J’admets sans hésitation que je suis fidèlement un addicté de la cueillette des olives. Et je confesse sans hantise que je suis gourmandement un consommateur optimal de l’huile d’olive ; je pourrais même, sincèrement, me contenter de vivre humblement avec du bon pain, bien cuit-croquant, trempé dans l’huile, et accompagné d’olives, noires ou vertes, légèrement salées. Quoi de plus simple pour le plaisir gustatif, et quoi de meilleur pour le bon soin de la santé ? Je vous le demande honnêtement ?

Après ce long préambule de bonheur qui me tient à cœur pour me remonter le moral et m’apaiser l’esprit préoccupant, je peux à présent entrer en matière pour aborder le fond du sujet en question, celui de l’inconscience, de l’insouciance, et de l’irréflexion humaine de certains de nos concitoyens qui maltraitent, de nos jours, notre irremplaçable trésor agricole, l’olivier, et son inégalable valeur patrimoniale. Mais, avant d’expliciter les perspectives préoccupantes, inquiétantes et même alarmantes de nos oliveraies et son oléiculture, abordons d’abord l’aspect agréablement positif de cette saison d’olivaison.

Quelle providence pour une saison de bonheur!

Voilà qu’après plus de trois ans de sécheresse, avec une pluie qui boudait la Tunisie, et surtout la régionSahélienne de Sousse où l’olivier semblait souffrir d’une exceptionnelle déshydratation, nous sommes enfin comblés de bonheur et bien heureux de retrouver une particulière saison-2024 prospèrement propice pour le pays et ses bons citoyens.   

Mais une fois encore, mon amour pour l’olivier mérite honnêtement une confession plus actuelle sur l’olivaison de la saison 2024. Après tout, comment pourrais-je ne pas partager le bonheur des trois agréables semaines campagnardes que j’ai passées en compagnie de bons amis et d’excellents cueilleurs d’olives ("Jêmmaâ", ﺍﻟﺠﻤﺎﻋﺔ)? Il s’agit de mes deux co-contractants villageois, Karim et Krayem, qui étaient aidés de temps à autres par leurs femmes, leurs enfants, et quelques fois leurs bons copains. Je regrette cependant l’absence, cette année, de l’irremplaçable sœurette, pour ses habituels délicieux repas en pleine nature verdoyante, et surtout pour ses appréciables trois tournées du fameux Thé-Rouge traditionnel lentement mijoté sur la braise dormante et délicatement servi avec de petites cacahouètes ou d’amandes grillées, rien que pour le plaisir gustatif de nos palets.

En effet, pour la première fois depuis plusieurs années, j’ai décidé de contracter notre olivaison, de cette saison-2024, avec mes deux villageois en partageant équitablement la récolte avec eux (moitié-moitié); et ceci pour deux raisons essentielles:

1) D’abord, il est devenu de plus en plus difficile de recruter des ouvriers pour la cueillette, qu’ils soient issus de l’exode rural qui préfèrent retourner légitimement à leurs régions pour s’occuper de leurs propres olivaisons, quand la récolte est bonne, ou même ceux dont les aïeux sont natifs du village, sur tout les jeunes garçons qui malheureusement paressent et prélassent en se permettent le luxe de fainéanter sur les terrasses des cafés en fumant des cigarettes et des narguilés, pendant que les jeunes épouses travaillent et les filles étudient.A ce propos, combien de fois, j’avais eu, dans le passé, les promesses non-tenues de Ksibiens (villageois de Ksibet-Sousse) pour m’assister à la cueillette des olives ; ce qui n’était pas surprenant, connaissant les comportements pompeusement pseudo-bourgeois de certains sahéliens imprégnés de paresse par des gâteries sociétales. Pourtant, je remarquais, autour de nous, à la campagne environnante, que la plupart de nos voisines étaient des villageoises de Ksibet-Sousse et surtout de Zaouiet-Sousse qui cueillaient leurs propres olives ; oui des femmes, encore des femmes, rien que des femmes dévouées qui travaillent aussi bien à la campagne qu’à la maison (ménage, cuisine, éducation des enfants, et j’en passe…) en plus de leurs métiers professionnels auxquels elles s’adaptent, en prenant quelques jours de vacances, juste le temps de cueillir leurs olives pour la consommation de leurs familles.

Mais quand il s’agit de leurs héritages, ces pauvres femmes méritantes n’ont droit qu’au huitième des parts des maris et qu’à la moitié des parts des frères qui, par ailleurs, abandonnent souvent leurs parents vieillissants qui ne trouvent que l’amour et la dévotion de leurs filles, en dépit de cette grosse injustice sociale de l’héritage. Alors, merci les sœurs pour vos généreuses servitudes, et vive les femmes tout court ! Car, sans vous que peuvent faire les minuscules-messieurs ? C’est peut-être pour ça que vous êtes suffisamment robustes pour avoir une espérance de vie plus longue que les hommes ? D’ailleurs, n’a-t-il pas raison, Jacques Brel quand il chantait le fameux poème d’Aragon "La femme est l’avenir de l’homme" ?

2) Puis avec le temps, les vicissitudes de la vie, mêlant les caprices de l’âge et ses aléas mécaniques articulaires, obligent sagesse, prudence, et quelques fois abnégation, de sorte qu’il est raisonnable de reconnaitre, à un certain moment, ses limites physiques pour décider de sous-traiter son olivaison, tout en participant à la cueillette, comme je l’ai fait cette année, pénardement, sans le stress ni la pression ni les contraintes qu’exigent une dure journée d’olivaison (levée très matinale, logistique pour le transport des outils du travail et des produits de la récolte, repas des ouvriers, etc.…).

Alors comme je l’ai mentionné au début, la bonne nouvelle est que la récolte de cette saison-2024futinespérément bien au-dessus de la moyenne, aussi bien pour la qualité habituelle de l’huile-bio que pour sa quantité inhabituelle qui était manquante depuis quelques années à cause de la sècheresse qui avait bien durée précédemment. En outre, le vécu de ces belles journées printanièrement ensoleillées, du 3 au 24 novembre, nous a comblé de joie, de gaîté et de bonheur, en dépit de l’absence quotidienne des membres de la famille avec qui je partageais habituellement le plaisir, le régal et le ravissement de ces journées de bonheur hivernal.

Ce qui m’a aussi plaisamment manqué, en cette saison, sont les quelques mésaventures techniques avec la coquine quinquagénaire camionnette-404 (1975), de mon défunt père, qui ne cessait de m’enquiquiner, tout au long de ces dernières années, avec ses caprices truqués lors du démarrage, d’embrayage, et de changement de vitesse, comme si elle me boudait pour exiger de meilleures consultations électro-mécanique-et-tôlière qui nécessitaient des opérations chirurgicales de grandes envergures, pour lui faire revivre sa jeunesse. J’avais pourtant promis de satisfaire ses exigences thérapeutiques ; mais je me disais toujours plus tard, sans jamais tenu ma promesse en la matière.
N’empêche qu’à la fin, nous avons agréablement clôturé l’ambiance de cette cueillaison particulière, en apothéose, grâce à la gentillesse et la bonté de l’épouse de Krayem qui a bien voulu nous préparer un grand gueuleton de couscous royalement bien garni. Ce fut notre dernier jour qui tomba bien un dimanche où femmes et enfants se sont joints à nous. Pour le reste, je me suis évidemment chargé de fournir généreusement tout le nécessaire pour la gloire de ce repas gastronomique, sans oublier le thé et le sucre, malgré leur rareté sur le marché, et la boisson ainsi que les bonbons pour le régal des enfants.

Alors, dès que nous eûmes terminé l’installation du repas, et que Karim eut la préparation de la théière pour l’infusion du thé, nous nous asseyions tous ensemble sur l’herbe en formant un grand cercle autour de la grande assiette bien creuse contenant notre copieux déjeuner. Nous mangions donc à notre faim, puis nous nous reposions un peu en nous allongeant par terre dans l’attente de siroter la première tournée du thé fort, façon-ksibienne, que le spécialiste Karim seul avait la patience et le savoir empirique de bien faire mijoter en ajoutant un petit brin de marjolaine ou de thym sauvage qu’il cueillit lui-même dans les alentours du verger. Lorsqu’il nous servait le thé, il se dégageait dans chacune de nos tasses une vapeur qui diffusait une odeur exquise aussi bien pour le plaisir pénétrant des voies olfactives, pour l’accueil savoureux de cavités gustatives, que pour le bienfait éternel de l’esprit. Et à la fin, tout le monde fut heureux ; le plaisir pour moi à la mémoire de mes aïeux, et surtout l’appréciation de mes cocontractants, Karim et Krayem, pour la généreuse récolte de cette saison et ses bienfaits pour leurs familles.

Crise de colère: quel mépris pour l’olivier!

Habituellement, la saison des cueillettes d’olives ne débutait que fin-novembre-début-décembre ; ce qui permettait aux enfants, pendant les vacances d’hiver, d’y participer activement tout en s’amusant, et de faire partie de l’ambiance familiale et de la joyeuseté culturelle de l’olivaison. Cependant, beaucoup de gens ont commencé, cette année, la cueillette régionale de la saison, très tôt dès le mois d’octobre, et d’une manière précipitée.

Pourquoi cette hâte ? D’abord, tout simplement et malheureusement à cause du vol ; ce n’est pas le vol habituel de misère familiale. C’est carrément du pillage criminel organisé, pendant la nuit, par des groupes d’individus qui coupent résolument et sauvagement les bonnes branches de l’olivier, en les chargeant précipitamment sur leurs camions pour les transporter lointainement à l’abri afin de cueillir tranquillement les olives, sans risque d’être vus ou attrapés. Voilà à quel genre de crime organisé sommes-nous arrivés!

Pourtant, nous avions habituellement, dans le temps, des bons gardiens professionnels désignés légalement par une autorité locale qui veillaient sûrement et assurément sur le déroulement pacifique de l’olivaison. Ceux-là n’existent malheureusement plus ; ils sont remplacés par des pseudo-jeunes-gardiens forestiers qui s’auto-désignent en imposant leur pseudo-autorité intimidante sur les petits propriétaires pour les faire payer deux dinars l’olivier. Mais, ils n’approchent évidemment pas les gros propriétaires qui recrutent leurs propres gardiens. Voilà à quel point de bassesse sommes-nous arrivés!
En participant activement mais sans précipitation et d’une manière relaxe à la cueillette des olives de cette saison, je parcourais tous les jours, à pied, les chemins qui séparent le village de nos petits vergers, pour joindre mes deux cocontractants, Karim et Krayem. Chemin faisant, je prenais le temps de bien contempler la gracieuse beauté des oliveraies qu’on appelle actuellement la zone verte, mais qui m’a malheureusement donné l’impression qu’elle criait "au secours, j’étouffe". Oui, et réellement, je ne peux ni fermer les yeux pour camoufler la scène environnementale effrayante, ni retenir mes tristes émotions, sans évoquer mes graves inquiétudes quant à la grande hégémonie agressive de l’urbanisation et de l’industrialisation galopante de la zone agricole. À ceci s’ajoute le cumul de dépôts et de décharges sauvages de décombres de plâtras et de gravats de démolitions.

Ces constations me permettent d’avancer de sérieuses interrogations sur l’inconscience humaine et la décadence culturelle nos citoyens, sur la dégradation éducative de nos jeunes garçons, et sur la politique industrielle catastrophique de la région, pourtant classée officiellement une zone agricole, sans négliger ses effets néfastes sur le voisinage du patrimoine historique, celui des vestiges puniques connus localement et historiquement sous le nom de la "Kenissya". Voilà encore à quelle loi de la jungle sommes-nous arrivés!

J’ose espérer que le bon sens écologique et patrimonial l’emporte sur l’arrogance purement financière, de certains arrivistes locaux, qui ne sont pas suffisamment éduqués et nullement cultivés dans ce sens, pour exiger le transfert de cette urbanisation industrielle ailleurs, le long de l’oued de Tabbakh, par exemple. D’ailleurs, il semblait qu’un grand projet japonais ou allemand devait avoir lieu pour la restructuration des quais de l’oued jusqu’à Hamdoun (près de Monastir) où un autre projet d’assainissement des eaux devrait suivre son cours?

Conclusion

Notre olivier qui a une histoire millénaire qui a débuté depuis les phéniciens et qui a connu son maximum extension pendant l’époque romaine, est un arbre si généreux, peu exigeant, et éprouvant de l’affection pour les terres en regardant la mer, pour être imprégné d’humidité marine. C’est donc un patrimoine historiquement précieux qui mérite notre respect pour ce qu’il nous offre. Alors pourquoi nous ne le traitons pas à sa juste valeur?

Ceux qui le maltraitent savent-ils que l’olivier, avec son huile, joue non seulement un rôle économiquement stratégique d’exportation, mais incarne aussi une attribution sociale et environnementale importante. Il contribue en effet à notre sérénité alimentaire, à la création d’emploi, à la limitation de l’exode rural, et à la préservation des ressources naturelles.

Et sur le plan international, l’olivier procure à la Tunisie la troisième position d’exportation mondiale, le quatrième rang mondial de production, mais le premier par tête d’habitant. Alors, pourquoi sommes-nous inconscients de sa maltraitance?

Abdellaziz Ben-Jebria

 

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