News - 19.01.2025

Ridha Bergaoui: La poire, un fruit royal en voie de disparition

Ridha Bergaoui: La poire, un fruit royal en voie de disparition

Alors que la pomme est la reine des fruits, la poire est le fruit des rois. Tous deux appartiennent à la famille des rosacés et présentent de nombreux points communs. Originaire du Moyen-Orient, le poirier fut introduit en Europe par les Romains et se répandit partout dans le monde.

La poire est un fruit noble, succulent et plein de bienfaits pour la santé. Malheureusement, chez nous, elle est devenue de plus en plus rare sur les étals de nos fruitiers ou au rayon des fruits des grandes surfaces. On la retrouve parfois mais à des prix inabordables pour le commun des consommateurs. En cause, le feu bactérien a décimé la plus grande partie de nos vergers de poiriers.

Le feu bactérien

Cette maladie, très grave et très virulente, est provoquée par une bactérie Erwiniaamylovora. Cette bactérie existe dans de nombreux pays en Europe, Etats-Unis d’Amérique, le Canada et en Afrique du Nord. Le développement de la bactérie est favorisé par des températures de 20-30°C et une humidité élevée. La maladie provoque le dépérissement des inflorescences, des brûlures des feuilles (d’où son nom de feu bactérien), des branches et du tronc. L’arbre finit par se dessécher et périr. 

Il n’existe aucun traitement curatif au feu bactérien. Il faut couper les branches atteintes et les brûler. A un stade avancé, l’arrachage des arbres est indispensable. Certaines variétés sont plus tolérantes et résistent mieux à la maladie. La prévention (éviter d’introduire des plants infectés) et les bonnes pratiques (désinfection du matériel de la taille des arbres) représentent le seul moyen pour éviter la maladie. Celle-ci est très contagieuse et peut se transmettre par le vent, le matériel, le personnel, les oiseaux et les insectes pollinisateurs comme l’abeille.

La culture du poirier

La culture du poirier (du nom latin Pyruscommunis) est présente partout dans le monde. Elle occupe environ 1,3 million d’hectares qui produisent 25,6 millions de tonnes de poires. L’Asie est la principale région de production avec 21 millions de tonnes. La Chine à elle seule détient 70% de la production mondiale. On compte de nos jours, dans le monde, plus de 1 500 variétés et cultivars différents dont les caractéristiques, la qualité des fruits et la période de maturation sont très différentes. Avec le développement et la maitrise des conditions de conservation et de stockage, il est possible de trouver dans le commerce de la poire durant toute l’année.

Le poirier est essentiellement un arbre des régions froides et pluvieuses. Pour se développer, fleurir et bien fructifier (rendement et calibre des fruits), il a besoin de 1200 à 1500 heures de froid (au-dessous de 7°C). Il est plus exigeant en froid que le pommier ou le pêcher.Le poirier est un arbre fruitier qui a également des besoins importants en eau (estimés à 725 mm d’eau/an) apportés d’une façon régulière et fréquente surtout en été et durant la période de fructification. Il se développe bien dans les terres profondes, riches en matière organique et suffisamment humides. La pollinisation se fait surtout par les abeilles et la présence de ruches dans le verger est indispensable pour assurer une bonne production. Les poiriers sont auto-incompatibles et la pollinisation est croisée. Le verger doit comporter au moins deux variétés compatibles. 

La période de cueillette des fruits varie selon la variété cultivée. Les poires d’été murissent du fin août au début octobre. Les poires sont très fragiles et nécessitent des précautions spéciales lors de la cueillette, le transport et la conservation.

Particularités de la poire

La poire est considérée comme un fruit noble, un fruit succulent, doux et très agréable à consommer. D’une façon générale, la chair est tendre à maturité, jaunâtre ou blanchâtre, fine ou granuleuse, plus ou moins juteuse, fondante à croquante. C’est une excellente source de vitamines et de minéraux.

A côté de ses qualités gustatives, la poire possède des bienfaits santé reconnus. Elle est riche en eau et rafraichissante et diurétique. Grace à sa teneur en fibres, elle stimule et favorise le transit intestinal (la peau de la poire est la partie la plus riche en fibres). Sa richesse en minéraux renforce les os et les dents et améliore le rythme cardiaque. Riche en vitamines, elle améliore nos défenses immunitaires et nous donne, en la consommant, un petit regain énergétique. Grace à ses antioxydants, elle permet de réduire les troubles cardiovasculaires. Une infusion avec l’écorce du poirier combat la fièvre et les feuilles ont un effet anti inflammatoire. Peu calorique, elle est un excellent allié minceur.La poire peut se cuisiner à chaud ou à froid selon de nombreuses recettes. La tarte aux poires a une réputation internationale. Elle peut être transformée en jus, marmelade, confiture et même séchée. Son parfum est très utilisé dans les glaces et les desserts. Les boissons à la poire (jus, sirops et alcools comme digestifs) sont également très populaires dans de nombreux pays.

Le poirier a une longue longévité et vit sans problèmes. Pour cette raison il est le symbole de la longévité. Il symbolise également l’innocence et la pureté en raison de ses belles fleurs blanches. La poire est un fruit noble et délicat, qui est souvent partagée lors des grandes occasions. Il symbolise l’amitié, le partage, le compromis et l’équité. Ne dit-on pas «couper la poire en deux». Toutefois, il ne faut pas être une poire (ce qui signifie qu’il ne faut pas être dupe, niais ou trop gentil et tomber facilement dans les moqueries et les pièges comme la poire toute mûre qui tombe de l’arbre). La poire a une belle forme et une belle couleur, c’est un fruit qui a toujours inspiré et intéressé les artistes.

La culture du poirier en Tunisie

Jusqu’en 2010, le poirier avait une place honorable parmi les cultures fruitières. La superficie occupée par les poiriers se situait probablement autour de 10 000 ha, essentiellement dans les gouvernorats de Manouba, Ben Arous et Bizerte. La production a atteint 68 000 tonnes provenant surtout de variétés Européennes ou Américaines cultivées essentiellement en irrigué.

En 2011 apparut le feu bactérien, arrivé en Tunisie depuis un pays voisin probablement suite au commerce illégal de plants infectés. La maladie s’est propagée très rapidement et a décimé les vergers de poiriers. En 2013, un responsable de l’UTAP à Manouba, avait déclaré que le feu bactérien a ravagé, jusqu’à fin mai, entre 5 000 et 6 000 ha (dont 3 000 ha dans la région de Manouba et 900 ha à Ben Arous) sur les 8 400 ha qu’occupait la culture du poirier au niveau national. Il est possible d’affirmer que cette maladie ait ravagé au total entre 5 000 et 6 000 ha de poiriers. En 2014, la production de poires est descendue à 19 000 tonnes et en 2018, elle n’est plus qu’à peine 15 000 tonnes. Entre 2010 et 2018, la production a été ainsi réduites de 78%à cause de l’infection au feu bactérien.Alors que la production moyenne des dernières années se situait à environ 20 000 tonnes, elle a chuté d’une façon remarquable l’année 2024. Le Groupement interprofessionnel des fruits (GI Fruits) estime à seulement 8 800 tonnes la production de poires. Ceci ne représente que 2,6% des fruits à pépins et 1,7% du total des fruits d’été produits en Tunisie. Cette chute catastrophique est probablement due au changement climatique. La chaleur, le manque de froid et le stress hydrique ont anéanti la production du poirier, très exigeant en froid et en eau. Cette offre très réduite s’est traduite par une augmentation sensible du prix des poires qui sont devenues le fruit le plus cher. Elles se vendaient, au 1er décembre 2024 au marché de gros de Bir Kassaa, à en moyenne 9 dinars le kg (de 3 à 13 DT/kg), plus cher que les fraises en primeur qui se vendaient à 8DT le kg.

Les perspectives

Le temps de la poire tel qu’on l’ait connu jusqu’au début des années 2000 est révolu. Le feu bactérien a décimé plus de la moitié des vergers de poirier. Le réchauffement climatique et le manque de pluies et d’eau risquent de liquider ce qu’il en reste.

Toutefois, la recherche peut sauver la situation. En effet, les variétés cultivées jusqu’ici ne sont pas adaptées au nouveau contexte climatique que nous sommes en train de vivre. Elles ne sont plus rentables et les agriculteurs ont tendance à les arracher pour planter de l’olivier ou d’autres arbres fruitiers plus rustiques.

Cependant, la Tunisie possède de nombreuses variétés et cultivars locaux dont certains sont inscrits au catalogue national, cultivés dans de petits vergers traditionnels. Jusqu’ici menacés de disparaitre, ces poiriers cultivés depuis longtemps dans certaines régions du pays ont un très faible besoin en froid et sont très appréciés par le consommateur. On les appelle poires Meski ou Arbi, très juteuses et sucrés. Le Meski Bouguedma est excellent et particulièrement très demandé. La recherche peut, à partir de ces cultivars, sélectionner des variétés adaptées au réchauffement climatique, rustiques, productives et donnant des poires de qualité.Bien que les poires ne soient pas un aliment stratégique et qu’il soit possible de s’en passer, la culture du poirier est cependant intéressante pour l’agriculteur afin de diversifier ses revenus (fruits, miel…). Par ailleurs, pour un entretien modéré, le poirier est un arbre très généreux qui est capable de donner des rendements élevés et des fruits d’excellente qualité. Les poires possèdent des qualités gustatives très particulières ainsi que des bienfaits thérapeutiques intéressantes auxquelles le consommateur est sensible.  Continuer à produire des poires, adaptés à nos conditions climatiques, est de l’intérêt national, celui des agriculteurs et pour le plaisir des consommateurs.

Ridha Bergaoui

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