News - 01.12.2024

Réseaux sociaux: danger d’addiction, à consommer avec modération

Réseaux sociaux: danger d’addiction, à consommer avec modération

Par Ridha Bergaoui - Depuis une vingtaine d’années, Internet a révolutionné notre façon de communiquer et notre manière de travailler. Grâce à cette technologie, il est maintenant possible d’échanger de façon instantanée et d’accéder en quelques clics à une source infinie d’informations et de connaissances.
Si pour la majorité, Internet est un outil indispensable pour gérer notre quotidien et évoluer dans notre environnement moderne marqué par la dominance de la technologie et du numérique, de nombreuses personnes se limitent à l’utiliser pour se connecter aux réseaux sociaux numériques (RSN) et y passer tous les jours des heures entières.

Il faut ici distinguer deux types d’utilisation des RSN. Une utilisation active pour travailler et produire du contenu, acquérir des compétences en ligne ou simplement pour réagir d’une façon constructive avec des amis. Et une autre utilisation passive, pour regarder des vidéos inutiles ou errer dans les vastes océans de ces réseaux. Alors que la première est utile et intéressante et pour certains indispensable même, la seconde peut être réellement problématique.

Addiction aux réseaux sociaux

Ces RSN nous donnent du plaisir facile et presque gratuit, ils agissent sur nous comme une drogue. On prend du plaisir à regarder et on en demande encore plus. On finit par devenir accros et esclave de ces réseaux.

Il est certain que les concepteurs de ces RSN poussent les usagers vers l’addiction pour diverses raisons aussi bien politiques qu'idéologiques ou mercantiles. Leurs algorithmes nous maintiennent bien accrochés et nous poussent à ne rien faire, à procrastiner et à perdre notre temps. Du temps perdu à regarder bêtement souvent des futilités ou à répondre à des Posts sans aucun intérêt, souvent au détriment de choses importantes comme étudier ou travailler.

Ces RSN véhiculent souvent des fakes news, des scènes de violences de tout genre, parfois extrêmes, et un contenu souvent inapproprié et dangereux. Ils sont pleins d’arnaqueurs, de malfaiteurs et de voleurs qui nous guettent et veulent nous extorquer de l’argent ou nos données personnelles et parfois nous vendre illégalement de la camelote sans aucun intérêt.

L’usage de ces RSN, qui semble à priori gratuit, nous le payons très cher non seulement aux dépens de notre temps mais également de notre santé physique et psychologique. Les écrans bleus en général fatiguent les yeux et entraînent un important risque de myopie. Par ailleurs, ces RSN nous angoissent et nous dépriment. Ils sont devenus un espace de comparaison où on voit de belles photos et vidéos des autres et on pense qu’ils sont plus heureux et mènent une vie plus agréable ce qui amène chez nous un sentiment de frustration qui nous rend malheureux. La crainte de rater une information, une histoire, un événement ou un simple message nous pousse à rester constamment connecté et à le regretter lorsqu’on n’y est pas.  Le nombre de Likes ou de commentaires, après avoir écrit ou partager un Post, est devenu un indicateur de reconnaissance sociale et de popularité. Plus on en a et plus il nous semble qu’on est populaire, aimé et apprécié par les autres. Une mauvaise remarque ou une réponse mal placée nous rend malheureux et peut nous gâcher plus d’une journée. A la fin on a le dos qui nous fait mal, des insomnies et des difficultés de se concentrer et de travailler. Les RSN font l’objet d’un extraordinaire paradoxe. Alors qu’ils sont censés nous divertir, nous rapprocher de nos parents et amis et nous sortir de notre solitude, au contraire, ils nous rendent anxieux, déprimés, solitaires et finalement mal en point.

La Tunisie compte environ 8,200 millions d’utilisateurs actifs sur les RSN particulièrement Facebook et Instagram. L’accès à ces RSN est très facile. Il suffit de disposer d’un moyen de connexion et un minimum d’éducation scolaire pour lire et comprendre. L’écriture ne semble pas poser de problème puisque, même les personnes instruites, utilisent le dialecte tunisien pour converser aussi bien en arabe qu’en français. Ce qui représente un autre danger des RSN.

L’addiction à ces RSN est réel et plus grave encore chez certaines couches sociales sensibles comme les adolescents, les enfants et les mineurs qui sont plus facilement influençables et plus vulnérables. L’addiction conduit à d’importants risques d’échecs et décrochement scolaires et encourage les jeunes à la violence et la délinquance. Le cas de harcèlement, d’intimidations, d’exploitations diverses de ces adolescents et jeunes, existent pouvant parfois conduire à des préjudices moraux importants et entrainer de très graves conséquences comme le suicide.

Cas de la dépendance chez nos étudiants

Dans une étude, publiée dernièrement dans la revue L’Encéphale, Docteur Emna Bergaoui, avec une équipe de jeunes psychiatres, ont mené une enquête auprès de 115 étudiants âgés entre 19 et 30 ans de différents domaines: médecine, ingénierie, finances, commerce, architecture, psychologie…

Cette étude montre que le nombre moyen d’heures par jour passé par les étudiants sur les RSN était en moyenne de 3,8 heures/jour. Les principales raisons de l’utilisation des RSN étaient d’interagir socialement chez 94% des étudiants, suivre les actualités chez 80% des étudiants mais aussi pour consulter des documents Postés en ligne ou étudier avec ses amis chez 82,6% des étudiants. Les principaux RSN étaient Facebook (98,3%), Instagram (93%), Whatsapp (80,9%), Tiktok (28,7%), Snapchat (20%) et Twitter (19,1%) sachant que de nombreux étudiants sont abonnés à différents RSN. L’utilisation des RSN était le premier geste le matin au réveil chez 71,3% des étudiants et avant de dormir chez presque tous les étudiants (94%). Cette utilisation était également constatée lors des cours à la faculté chez 54,8% des étudiants.

Les étudiants ont confirmé avoir ressentis des effets indésirables secondaires à l’utilisation des RSN tels qu’une insomnie dans 34,8% des cas, des lombalgies chez 47,8%, des céphalées chez 58,3%, des difficultés à étudier chez 64,3% et un retrait social chez 23,5%. Vingt et un étudiants (18,3%) avaient une symptomatologie anxieuse douteuse. Trente-trois étudiants (28,7%) avaient une symptomatologie anxieuse certaine. Certaines anxiétés étaient associées significativement au genre avec des taux plus élevés chez les femmes que les hommes. Trente et un étudiants (27%) avaient une symptomatologie dépressive douteuse. Quarante et un étudiants (35,7%) avaient une symptomatologie dépressive certaine. Soixante-deux étudiants (53,9%) étaient considérés seuls, avec des taux plus élevés chez les célibataires.

La pratique ou non d’activités de loisirs n’était pas directement associée à l’addiction aux RSN mais associée aux scores d’anxiété, de dépression et de solitude. La fréquence de sorties avec des amis était associée significativement et négativement au score d’addiction aux RSN, au score de dépression et au score de solitude. L'addiction aux RSN peut perturber les relations sociales des étudiants en les isolant de la société réelle. Les étudiants qui passent beaucoup de temps sur les RSN sont moins susceptibles de se faire de nouveaux amis ou de maintenir des relations sociales saines. Cela suggère également que les étudiants qui participent davantage à des activités sociales réelles ont tendance à avoir moins de problèmes d'addiction aux RSN.

Quoique cette étude porte sur un effectif limité de personnes et que les résultats diffèrent peu de ce qui est déjà connu d’effets néfastes de l’addiction aux RSN, aussi bien physiques que psychologiques (tendance à l’anxiété, la déprime, la solitude, difficultés de concentration et diminution des capacités d’apprentissage), ils montrent cependant, d’une façon quantifiée et précise, que le problème de dépendance existe bien chez nos jeunes et qu’il faut s’en occuper sérieusement pour y remédier afin d’assurer toutes les conditions de réussite et d’épanouissement à nos enfants. C’est donc un cri d’alerte et un signal d’alarme fort qu’il faut prendre au sérieux.

Combattre l’addiction

Il serait illogique de combattre ou de s’opposer au progrès et au développement du numérique. Qu’on le veuille ou pas, la digitalisation ne fait que commencer et le numérique va s’incruster de plus en plus dans notre quotidien. Se priver des RSN n’est pas non plus une solution adéquate. Il serait toutefois important de reconnaître les signes d'une utilisation problématique et de prendre des mesures pour combattre la dépendance.

Les études sur la désintoxication numérique, qui consiste à réduire ou à éliminer complètement l'utilisation des RSN pendant une période donnée, ont montré leur efficacité pour réduire la dépendance. Une semaine de pause, par exemple, améliore considérablement le bien-être personnel. La consultation d’un psychothérapeute peut être nécessaire dans le cadre d’une thérapie cognito-comportementale au même que toute autre addiction grave (tabac, drogues, alcool…).
Il est toutefois beaucoup plus conseillé de prévenir et d’éviter cette dépendance, d’utiliser les RSN d’une manière saine, responsable et équilibrée afin d’en tirer le meilleur profit sans subir les mauvaises conséquences.

Il est nécessaire de limiter le temps passé sur ces réseaux et d’éviter tout usage abusif. Se convaincre des dangers de ces RSN et décider de réduire le temps qu’on y consacre. Évitez surtout de les consulter au réveil, au risque de vous mettre de mauvaise humeur, ou le soir où vous risquez un sommeil perturbé et de l’insomnie. C’est finalement une question de volonté et de caractère.

A côté d’une limitation de la consommation numérique sur les RSN, une autre stratégie efficace consiste à programmer une journée/semaine durant laquelle on s’interdit les réseaux sociaux pour se consacrer à d’autres préoccupations ou de loisirs (lecture, jardinage, cinéma, théâtre, visite parents ou amis…).

Pour les jeunes, certains pays interdisent l’accès aux réseaux sociaux au-dessous d’un âge minimum. L’Australie vient de fixer l’âge à 16 ans (les RSN doivent exiger une pièce d’identité pour les nouveaux utilisateurs) avec des amendes en cas d’infraction. La Floride (Etats-Unis) interdit les RSN au-dessous de 14 ans, quant à la Chine, les moins de 14 ans ne peuvent pas passer plus de 40 minutes/jour sur les RSN.

Interdire aux jeunes l’usage des smartphones et l’accès aux RSN n’est pas toujours efficace. Le jeune trouvera toujours la possibilité de contourner l’interdiction et de se connecter. Il est nécessaire au contraire de le convaincre et de le responsabiliser par un engagement moral pour bien utiliser ces technologies. La dépendance des jeunes aux RSN dépend également de l’addiction de la famille et les enfants ont souvent tendance à imiter leurs parents. Ceux-ci doivent donner l’exemple à leurs enfants avant de leur interdire l’accès aux RSN.

Le phénomène de la dépendance aux RSN n’est ni nouveau ni spécifique à la Tunisie. Il est planétaire et tous les pays sont touchés par cette pandémie très grave et dangereuse. Dans le monde, près de 5 milliards de personnes utilisent RSN. Il n’est pas anodin non plus et dans de nombreux pays, conscients des risques encourus par cette addiction, on se mobilise pour prévenir et combattre ce risque de dépendance. Famille, personnel éducatif, médias, société civile et toute la société d’une façon générale, tous se mobilisent pour éduquer, informer pour prévenir et protéger le citoyen des dangers de cette addiction.

En Tunisie, on utilise souvent mal les RSN et on tombe dans les pièges. Il est nécessaire d’organiser des campagnes de sensibilisation et d’information au niveau national, à grande échelle où toutes les composantes de la société y participent. Pour les jeunes, la contribution du personnel éducatif et de la médecine scolaire et universitaire serait importante.  Inclure l’éducation à l’utilisation des RSN et à la citoyenneté dans les programmes scolaires, est important. Un grand effort est également nécessaire pour créer des loisirs attractifs pour les jeunes pour les éloigner et les détourner des écrans. Les RSN ont également une responsabilité et les pouvoirs publics doivent leur imposer un code de conduite moral et responsable.

La digitalisation est une chance pour la Tunisie pour rattraper son retard. Des efforts sont faits tous les jours pour avancer et adopter le numérique partout et dans tous les secteurs. Le Tunisien a rapidement adopté cette technologie intelligente et maîtrise bien les outils nécessaires. Le nombre d’Internautes et de smartphones ne cesse d’exploser. Des milliers d’ingénieurs et de cadres moyens sont formés chaque année dans le secteur des nouvelles technologies et de l’informatique. Il est nécessaire toutefois de faire preuve d’une plus grande vigilance devant les risques et les dangers du numérique. Ce n’est pas la technologie qui est mauvaise en soi mais certains ne savent pas l’utiliser correctement. Il est nécessaire d’éduquer et de prévenir pour plus de progrès, de prospérité nationale et de bien être individuel.

Ridha Bergaoui
 

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