Rwanda - Témoignage: L’inoubliable déclenchement du génocide du 6 avril 1994
«Alors que notre contingent ne comptait que 40 personnes, indique le commandant Mfarrej, le général Dallaire a décidé de nous transférer au siège du CND, non loin de l’hôpital Fayçal et de l’hôtel Le Méridien Mille Collines, et de nous charger également de participer à la sécurisation du quartier général, notamment aux points d’entrée et de sortie, et à l’escorte des convois officiels.La journée du mercredi 6 avril 1994 sera pour moi inoubliable. A 19h15 très précises, de premières explosions retentissent fortement. L’un des membres du contingent, posté en surveillance ce soir-là, m’a immédiatement alerté. Des tirs étaient signalés également dans plusieurs quartiers de la capitale. Je me suis rendu au siège du poste de commandement du secteur dont je relevais. J’y ai retrouvé le chef de secteur, le colonel Luc Marchal, Belge, seul, incapable de me donner instruction. Aucun de ses adjoints ou membres de son commandement n’était présent. J’ai décidé alors de retourner à mon poste de commandement au CND, pour renforcer le dispositif mis en place. Les tirs sur le CND, provenant de toutes parts, notamment des Forces gouvernemental (FGR) du Rwanda et d’autres, se sont intensifiés. Il m’est devenu impossible de continuer mon chemin en voiture. J’ai dû ramper pour arriver jusqu’au CND.
Immédiatement, nous avons commencé à creuser les tranchées autour du CND pour nous protéger. C’est ainsi que nous passerons trois jours sous les tirs des militaires rwandais. Lorsque j’ai appelé le chef de secteur, il m’a paru débordé par les évènements. Pour toute instruction, il me dira : «Débrouillez-vous !»
Appelant le général Dallaire, il me demanda d’aller nous installer à l’hôtel Le Méridien et à l'hôpital Roi Fayçal. Le transfert était très risqué, périlleux, sous les feux croisés. De part et d’autre, les forces du FPR et celles de l’armée rwandaise interdisaient tout mouvement, multipliant les embuscades et les échanges de tirs. Déterminé à exécuter les ordres, je devais user de mes amitiés, notamment avec les éléments du FPR, pour sécuriser notre passage.
En cours de route, des Rwandais appelaient au secours. Ne pouvant les laisser dans leur détresse, j’ai dû les embarquer avec nous.
Aussi, ai-je reçu ordre d’aller exfiltrer une dame suissesse qui travaillait pour le compte des Nations unies. Elle était dans un grand état d’émotion et m’a gardé reconnaissance de lui avoir sauvé la vie. Plusieurs années plus tard, elle ne manquera pas de m’écrire pour me réitérer sa gratitude.
Ma mission était double: je devais en effet installer une section de 20 personnes à l’hôtel Le Méridien, et une deuxième, de 20 personnes également, à l’hôpital Fayçal. Plus de 500 à 800 personnes, des Rwandais et d’autres, s’étaient réfugiées au Méridien, alors que plus de 7 000 personnes, essentiellement des Rwandais, étaient à l’hôpital.
Les tirs étaient incessants. Notre vigilance ne devait guère baisser. Même lorsque nous devions à tour de rôle bénéficier de quelques heures de sommeil, nous devions mettre des matelas contre les fenêtres. Malgré cela, des balles ont été tirées sur l’une des chambres où je devais prendre quelques moments de repos. L’une des balles était tombée juste sur la table de nuit, alors que d’autres s’étaient incrustées au plafond.
Sans eau, sans nourriture, n’étaient-ce…
Pendant tout ce temps, nous étions quasiment sans eau et sans nourriture. Les cuisines du Méridien ont dû être fermées, les cuisiniers s’étant enfuis, et les provisions épuisées. C’est à ce moment que les provisions apportées de Tunis, le 18 janvier 1994, par le colonel-major Mahmoud Mezoughi, et que j’avais précieusement conservées, nous ont été salutaires. Nous nous sommes contentés d’un seul repas par jour, sans pain. Mais je devais résoudre le problème de l’eau. Il y avait deux sources d’eau dans deux endroits différents à quelques kilomètres. Difficile cependant de s’y rendre, les tirs étant nourris. Une fois de plus, j’ai usé de la grande réputation dont jouissait le contingent tunisien auprès des deux principales factions en belligérance pour bénéficier d’un moment de répit. Les deux ont accepté et chacune n’a pas hésité à ouvrir son check-point pour me laisser aller à l’une des sources. Une fois arrivé sur les lieux, une heureuse surprise m’attendait.
Sans doute prévenus, des paysans du coin sont venus m’accueillir et m’offrir des sacs de semoule et une bonne quantité de viande de bœuf, sans rien me demander en contrepartie. La situation était en pleine confusion, et nous n’avions pas d’argent, je ne pouvais guère les payer, même s’ils ne l’avaient pas demandé, mais je me suis répandu en remerciements. Je préparais la nouriture à l'hôtel Le Méridien et de temps en temps je le partage avec le général Dallaire et quelques membres de son staff qui en étaient ravis.
Grâce à eux, nous avions pu nous nourrir, et en offrir une partie à des réfugiés autour de nous».
- Ecrire un commentaire
- Commenter