Abdellaziz Ben-Jebria: Passion Pulmonaire
Tous ceux qui me connaissaient bien avaient été surpris de me voir prendre une retraite professionnelle précoce, car ils savent combien je suis très avide du travail. Mais, j’ai fait ce sacrifice personnel pour une simple et unique raison: être aussi longtemps que possible auprès de celle qui m’a transmis la vertu de mon essence (ma mère). Elle était en bonne santé selon ses excellents indicateurs biologiques (glycémie, cholestérol, pressions sanguines systolique et diastolique, etc.).
Seulement voilà! Elle est partie très vite, à peine cinq ans après ma retraite; je n’ai donc pas profité longtemps de sa compagnie. Je confesse que dès le jour de son décès, j’ai eu la sensation d’avoir plus besoin d’elle qu’elle n’avait besoin de moi. Depuis, je n’arrêtais pas de dire, au fond de moi-même, que si j’avais su qu’elle partirait aussi vite, je n’aurais jamais pris ma retraite professionnelle, pour une aussi simple et seule raison: ma passion pour la Recherche Scientifique.
Mais avant d’aborder le fond, le sérieux, et l’humour de ce billet spécial, je voudrais d’abord le préluder par une dédicace singulière à mon copain Arezki qui m’évoque, à cette occasion, le souvenir d’une inoubliable amitié; son histoire personnelle reste ineffaçablement ancrée dans ma bonne mémoire, et me touche émotionnellement. C’était un Professeur International d’Economie; un métier qu’il avait exercé en Algérie, en Afrique, et ailleurs. Mais, c’est aussi un exilé politique, que ma famille et moi avions le plaisir de connaitre, avec la sienne, en Pennsylvanie, pendant la sombre et terrible période de l’extrémisme religieux algérien; une décennie noire (1991-2002) qui avait fait plus de 100 000 morts, sans compter les disparus, les déplacés et les exilés.
Arezki est un homme très gentil et ne fait de mal à personne. Par pudeur, il ne montrait jamais le vécu de la blessure dans sa dignité humaine, la souffrance de la persécution dans son intégrité intellectuelle, et le sentiment d’une profonde amertume, loin de ses amis et de son Algérie natale qu’il aime tant et sans limite. Alors que peut-on faire, quand on est désarmé, à part écrire, comme moi, et c’est-ce qu’il faisait depuis longtemps, docilement, silencieusement, pour apaiser cette douleur d’exile.
Après ce prélude personnellement émotionnel, j’avoue qu’à présent je me sens mieux pour entrer dans le vif du sujet, et dire d’emblée que mon intention n’est pas d’expliquer la recherche scientifique, mais plutôt de divulguer que le poumon (ou les, au pluriel, avec ses cinq lobes pulmonaires) est bel et bien l’organe biologique qui m’a vraiment donné la toquade, l’engouement, et l’envie de poursuivre mes études doctorales, en travaillant prolétairement pendant dix ans sans me plaindre, puis d’atterrir par voie de conséquences dans le beau métier de la recherche scientifique. C’est donc cette passion pulmonaire qui était au cœur de mes thématiques de recherches.
C’est en effet ce merveilleux système respiratoire qui m’a permis d’appliquer mes connaissances basiques de maths-physique pour devenir biophysicien (je préfère ingénieur-biomédical). Ce faisant, tout en combinant la théorie et l’expérimentation, nous (en équipe) avions humblement pu:
• Contribuer à élucider les mécanismes régissant l’efficacité de la Ventilation Pulmonaire à petit volume (< 100 ml) et à Haute-Fréquence (>3Hz) utile en réanimation hospitalière (Inserm, Période française) ; une technique qui aurait pu être utilisée pendant la période du Covid-19.
• Quantifier les effets délétères de la Pollution Atmosphérique et du Tabac sur ce bel Arbre Trachéo-Bronchique (Penn State University, USA).
• Démontrer une relation entre Obésité et Asthme Allergique (Fulbright Américain, Année Sabbatique, Faculté de Médecine, Sousse, Tunisie, 2008).
• Breveter une technique avantageusement pratique (Pulmonary Drug Delivery, USA), permettant d’administrer, par inhalation, des aérosols thérapeutiques à visées systémiques tels que l’insuline pour les diabétiques ou L-dopa(Inbrija) pour les parkinsoniens.
C’était en effet grâce à mon Maître Claude Michel Gary-Bobo (1930-1989), Professeur de Biophysique, au Collège de France et à l’Université de Paris-6-P.M. Curie, que j’ai pu identifier le laboratoire de Physiopathologie Respiratoire, de l’Inserm, à l’Hôpital Saint-Antoine de Paris, qui me convenait, et dans lequel j’avais eu le coup de foudre, l’inclinaison et l’attachement, l’affection et la tendresse, bref de l’amour pour le poumon et son arbre trachéo-bronchique qui ressemble merveilleusement à l’olivier que j’aime aussi passionnément.
C’était donc grâce à cette rencontre pulmonaire stochastique, puis à cette longue recherche scientifique passionnelle que j’avais pu vivre un bonheur professionnel démesuré. Oui, c’est grâce à ce bel organe respiratoire, l’unique serveur de l’oxygène vital, et serviteur des autres organes, que j’avais pu partager cette passion avec mes collègues internationaux, en particulier James Ultman et John Tarbell, mes deux meilleurs amis américains, mais surtout avec mes étudiants d’horizons divers, ethniquement mosaïqués et culturellement variés. Ces derniers me manquent terriblement, rien que pour mes engueulades quand je suis mécontent, pour mes félicitations quand je suis satisfait, et pour mon bonheur de les accompagner dans leurs "graduations", recevant joyeusement leurs diplômes universitaires, en présence de leurs parents.
Pour finir, j’aimerais aussi convaincre tous ceux qui le vivent sans se rendre compte, de l’intérêt usuel de la fonction pulmonaire, en osant instiller un peu d’humour libertin, ou plutôt de l’amour réel.
Beaucoup ont probablement entendu parler des grandes maladies pulmonaires, telles que l’asthme, l’emphysème, ou les bronchites chroniques; et certains avaient sûrement souffert de ces maladies chroniques, et quelques fois invalidantes.
Mais combien connaissent-ils réellement l’organe pulmonaire et combien ont-ils eu l’occasion de le voir ou de le toucher, comme le cœur, le foie, les rognons, etc.? Je suppose très peu, à part les Tunisiens pour la délicieuse recette de tripes farcies (Osbanes) ?
Et en amour, pourquoi tout le monde symbolise ses sentiments par l’image du cœur ? Je pense que c’est injuste, car en réalité, c’est bien le poumon qui accompagne l’amour intensément expressif par ses hyperventilations, ses oscillations thoraco-pulmonaires, et qui fait partager le plaisir nageant sur les vagues agitées des poitrines haletantes des deux partenaires.
D’ailleurs, rappelons-nous, que quand on fait l’amour, ne s’exprime-t-on pas vocalement avec des rythmes musicaux qui rappellent le blues, le jazz ou le boogie-woogie? Puis, ces souffles vocaux, venant des profonds alvéoles pulmonaires et traversant les bronchioles et les bronches pour atteindre la trachée, le larynx et l’oropharynx, s’accélèrent progressivement en déclenchant leurs sirènes aigues avec des hautes fréquences respiratoires, accompagnés par des oscillations abdominales dansantes. C’est-ce qu’on appelle sérieusement en anglais "High-Frequency Oscillations" (une technique alternative à la réanimation artificielle classique, qui éviterait un Baro-trauma, comme lors du Covid-19).
N’est-ce pas que c’est grâce à l’accompagnement de la fonction pulmonaire qu’on vit de belles séances d’amour ?Alors que le cœur bourgeois se contente de consommer l’oxygène servi par l’effort du pauvre poumon prolétaire, pour lui maintenir discrètement l’augmentation de la fréquence cardiaque, et survivre les séances d’amour intense.
Abdellaziz Ben-Jebria
Ancien Chercheur INSERM (France), et Professeur (Penn State University, USA)
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