Edito : “Lisez pour vivre”
Le livre tunisien est à la peine. Pourtant, des lecteurs potentiels seraient intéressés d’y accéder, si les multiples barrières s’estompaient et les incitations se multipliaient. La tendance est générale, l’impact en Tunisie est plus lourd.
Analyser l’état des lieux révèle une grande complexité. Le marché de l’édition se rétrécit.
L’analphabétisme et l’addiction à l’écran se conjuguent avec les réseaux sociaux pour ériger de multiples freins. Le nombre d’éditeurs en exercice se réduit à une centaine, les nouveaux titres ne dépassent pas les 1 700 ouvrages produits chaque année. Le budget de l’Etat consacré au livre s’avère fort réduit : 6 millions de dinars. Le livre coûte cher : tous les frais augmentent. Les tirages sont modestes, l’impression numérique permettant la reproduction de quelques dizaines d’exemplaires. Les ventes dépassent rarement les 300 copies. Seuls des best-sellers pourraient atteindre plus. Un marché de niche.
La lecture publique garde cependant son attractivité. Le réseau de bibliothèques publiques relevant du ministère de la Culture ne compte pas moins de 440 unités. Résistant à la modestie des moyens, 44 bibliocars continuent à desservir des localités éloignées et des écoles primaires. Un indice significatif : près de 984 000 emprunteurs par an fréquentent les bibliothèques publiques, riches d’un fonds de 8 530.000 titres.
Des lecteurs existent. Des acquéreurs, très peu. C’est le cœur de la problématique. Même s’il ne lit pas assez de livres, n’y consacre pas suffisamment de temps, n’achète pas de nombreux titres, et n’y réserve pas une part significative de ses dépenses ‘’culture et loisirs’’, le Tunisien ne se détourne pas totalement du livre. Il demeure un lecteur potentiel à entretenir et à encourager. L’espoir est permis. La flamme est à maintenir avivée.
Promouvoir la lecture, c’est favoriser la culture, les arts, les connaissances et le savoir. Dans cet univers aux multiples sources, le livre reste essentiel, central, indispensable. La passion de lire est à ancrer dès l’enfance.
Sans soutien public substantiel, il n’y aura plus d’édition significative, innovante et attractive. L’aide à la publication, à l’impression, à la diffusion et à l’acquisition devient indispensable. Nous avons besoin d’éditeurs professionnels qui publient des auteurs talentueux et attirent de nombreux lecteurs. Nous avons besoin de libraires qui mettent en avant les livres, de bibliothèques publiques qui encouragent la lecture, d’entreprises publiques et privées qui se constituent des bibliothèques et les mettent à la disposition de leurs employés. Nous avons besoin d’associations actives qui s’y emploient de leur côté.
Toute une nouvelle dynamique en faveur du livre est à créer. Qu’est-ce qui nous manque pour l’enclencher. La Tunisie a de bons auteurs, de bons éditeurs, de bons studios graphiques créatifs, de bons imprimeurs et de bonnes librairies. Certes pas en nombre suffisant, mais le socle fondateur est solidement installé, renforcé par des enseignants de qualité. Comment en faire une plateforme de relance générale ? Comment encourager également le livre numérique, le livre audio, le livre didactique contre l’analphabétisme, le livre éducatif, le livre interactif, le livre en braille et autres formes ? Son potentiel est loin d’être épuisé.
Le livre est à installer au cœur des politiques publiques. S’il relève des attributions du ministère de la Culture, il revêt en fait un enjeu transversal pour l’enseignement, la recherche scientifique, les technologies de la communication et d’autres secteurs. D’où la nécessité d’une stratégie nationale, à élaborer sur la base d’une large consultation. Jusque-là, aucune étude approfondie de l’édition et du lectorat n’a été conduite depuis près de 15 ans. La dernière en date remonte en effet à 2009. Quelques enquêtes d’opinion, limitées dans leur couverture territoriale, nous livrent de temps à autre des indicateurs quant aux pratiques culturelles des Tunisiens et la lecture. Utiles, mais insuffisantes pour dessiner des voies d’avenir.
Sauvons le livre, encourageons la lecture.
Aïd Mabrouk !
Taoufik Habaieb
( *) Gustave Flaubert
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