News - 09.04.2023

Arabie saoudite - Iran: Une véritable «chinoiserie diplomatique»!

Arabie saoudite - Iran: Une véritable «chinoiserie diplomatique»!

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - Dans le discours qu’il a prononcé à la cérémonie d’ouverture du premier Sommet Chine-Etats arabes tenu le vendredi 9 décembre 2022 à Riyad, le président chinois Xi Jinping a affirmé que les Chinois et les Arabes «doivent préserver la paix dans la région et réaliser la sécurité commune». Pour ce faire, il a souligné que «la Chine soutient les efforts des Etats arabes pour promouvoir le règlement politique des dossiers brûlants et épineux par la sagesse arabe et bâtir une architecture de sécurité commune, intégrée, coopérative et durable au Moyen-Orient. Elle exhorte la communauté internationale à respecter le rôle des peuples du Moyen-Orient en tant que maîtres de leurs propres affaires et à apporter des énergies positives à la sécurité et à la stabilité dans la région». Et d’ajouter: «La Chine sera heureuse de la participation des Etats arabes à l’Initiative pour la sécurité mondiale et entend continuer d’apporter sa sagesse à la promotion de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient».

Pour ceux qui ont attentivement écouté, ou minutieusement lu ces affirmations, l’annonce, le vendredi 10 mars 2023, du rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, n’était pas surprenante.

Par contre, elle l’était pour ceux qui croyaient que les paroles du président Xi Jinping n’étaient qu’une simple déclaration d’intention, qu’elles n’allaient pas être mises en pratique, et surtout qu’elles n’allaient pas porter leurs fruits de sitôt.

C’est, peut-être pourquoi l’on s’accorde à considérer que le rapide aboutissement  des efforts de la Chine à ce résultat remarquable, qui est, en l’occurrence, la reprise des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran, après une rupture des liens qui a duré plus de sept années, et la réouverture des représentations diplomatiques des deux pays dans un délai de deux mois, constitue un véritable exploit chinois, ou ce que j’appellerai une véritable «chinoiserie  diplomatique».

Outre qu’elle est un succès personnel et significatif pour le président Xi Jinping qui a été reconduit le jour même de son annonce pour un troisième mandat, cette «chinoiserie» marque l’amorce d’un tournant géopolitique important au Moyen-Orient et dans le monde.

Sur le plan régional, tout d’abord, elle confirme l’ascension de la Chine en tant qu’acteur stratégique au Moyen-Orient. Cette ascension intervient, selon les dires du président chinois, «au moment où le monde est entré dans une nouvelle période de turbulences et de transformations, le Moyen-Orient traverse de nouveaux changements profonds, et les peuples arabes aspirent plus ardemment à la paix et au développement et lancent un appel plus fort à l’équité et à la justice».

La Chine, a-t-il affirmé, «soutient les efforts des Etats arabes pour explorer en toute indépendance une voie de développement adaptée à leurs conditions nationales et prendre fermement en main leur propre destin».

Convaincue que «la sécurité est le fondement du développement et que la stabilité est une condition préalable à la prospérité», comme l’a si bien réaffirmé son président le jour de sa reconduction pour un troisième mandat, il était tout à fait normal que la Chine ait cherché à aider à la stabilisation du Moyen-Orient en rapprochant l’Arabie saoudite et l’Iran avec qui elle entretient des relations cordiales et qui sont ses principaux fournisseurs en hydrocarbures.

A cet égard, il faut rappeler que Beijing a signé en mars 2021 un vaste «accord de coopération stratégique» pour une durée de vingt-cinq ans avec Téhéran dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications…

De même, depuis la visite officielle que le président Xi Jinping lui a rendue en janvier 2016, dans le cadre d’un périple qui l’a conduit également en Egypte et en Iran, l’Arabie saoudite est devenue un «partenaire stratégique intégral» de la Chine, et est intégrée à son projet d’investissements internationaux des «nouvelles routes de la soie». Ce partenariat a été consolidé en décembre dernier, lors de la visite du président Xi Jinping à Riyad, à la faveur du renforcement de la coopération entre les «nouvelles routes de la soie» et le programme de modernisation du royaume «Saudi Vision 2030».

Outre qu’elle a été facilitée par le double partenariat stratégique qui lie la Chine à  l’Arabie Saoudite d’une part et à l’Iran d’autre part, la médiation chinoise a eu le vent en poupe grâce à plusieurs autres circonstances favorables qui lui ont permis de donner à ses relations avec les pays de la région traditionnellement fondées sur les échanges économiques, une dimension politique et diplomatique. Il s’agit notamment:

Du désir de l’Arabie Saoudite de mettre en avant ses propres intérêts, et de diversifier ses partenariats internationaux comme un outil susceptible de lui procurer une certaine autonomie stratégique vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Occident,
De la distanciation de plus en plus prononcée entre Riyad et Washington ainsi que de l’attitude de défiance manifestée par le prince héritier Mohammed Ben Salman à l’égard des Etats-Unis et de l’administration du président Joe Biden qui, faut-il le rappeler, a promis en 2020, lors de sa campagne électorale, de  faire du prince héritier saoudien «un paria» international à cause de l’assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi, en 2018.
Des craintes de l’Arabie saoudite et des pays du golfe provoquées par la débâcle américaine en Afghanistan et le désengagement progressif des Etats-Unis de la région du Moyen-Orient, tout en restant arrogants et cruellement intransigeants sur la question des droits de l’Homme,
De la volonté du régime iranien qui est en proie, depuis plusieurs mois, à une forte contestation populaire sur le plan interne, d’éviter de se retrouver de plus en plus isolé sur la scène internationale.

D’autre part et sur le plan mondial, par cette médiation réussie, la Chine donne un début de substance à son «Initiative pour la sécurité mondiale» que le président Xi Jinping a avancée le 21 avril 2022, dans son discours inaugural lors de la cérémonie d’ouverture de la Conférence annuelle 2022 du Forum de Boao pour l’Asie.
Le 21 février 2023, le ministre des Affaires étrangères Qin Gang a annoncé, lors de la cérémonie d’ouverture du «lanting Forum» tenu à Beijing sous le titre «l’Initiative pour la sécurité mondiale: la solution de la Chine contre le dilemme de la sécurité», la publication officielle par la Chine du Document conceptuel de cette Initiative qui, a-t-il déclaré, «adhère au concept de sécurité commune, globale, coopérative et durable, et préconise une nouvelle voie de sécurité fondée sur le dialogue plutôt que la confrontation, le partenariat plutôt que l’alliance, et la situation gagnant-gagnant plutôt que la somme nulle».

Il a par ailleurs indiqué que, jusqu’à présent, plus de 80 pays et organisations régionales ont exprimé leur appréciation et leur soutien à son égard. De même, la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous les auspices de Beijing constitue un autre signe annonciateur du monde multipolaire en gestation. Elle consacre la montée de la Chine, non plus seulement comme une puissance économique, mais aussi et surtout comme une puissance politique mondiale qui affirme, de plus en plus, sa présence sur la scène diplomatique globale. A ce propos, il faut noter qu’en même temps qu’elle menait sa médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, Beijing a proposé, fin février dernier, un plan de paix pour le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Ce plan a été au centre des discussions du président Xi Jinping avec son homologue russe Vladimir Poutine lors de sa récente visite à Moscou.

S’agissant, maintenant, des retombées que cette nouvelle «chinoiserie diplomatique» pourrait avoir sur le Moyen-Orient, il faut dire qu’elle rebat toutes les cartes dans cette région particulièrement sensible. Certains analystes y voient même l’amorce d’un tournant géopolitique. D’ailleurs, le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir Abdollahian, a affirmé que «le retour à des relations normales entre Téhéran et Riyad offre de grandes possibilités aux deux pays, à la région et au monde musulman».

En effet, elle pourrait permettre:

D’atténuer la rivalité entre l’Arabie saoudite, leader du monde musulman sunnite, et l’Iran, leader du monde musulman chiite,

De rendre possible une ère de détente et de paix au Moyen-Orient qui a été pendant longtemps le théâtre de crises, d’affrontements et de conflits,

De contribuer à la désescalade des tensions et au renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région en lui évitant de nouveaux conflits directs ou par procuration,  

De faciliter la résolution de certains conflits régionaux, où Riyad et Téhéran soutiennent des forces rivales. En effet, elle pourrait aider à mettre fin à la guerre qui dévaste le Yémen, à trouver une solution à la crise politique qui paralyse le Liban, et à réintégrer la Syrie dans le giron arabe...

De juguler la tendance de certains régimes arabes à normaliser leurs relations avec Israël qui s’acharne, avec les Etats-Unis, à vouloir élargir les accords d’Abraham à de nouveaux pays arabes, y compris l’Arabie saoudite,

Et enfin de mettre en échec les tentatives des Etats-Unis et d’Israël de créer une coalition régionale contre l’Iran.

Il n’est pas étonnant que, face à toutes ces éventualités, les Etats-Unis et Israël, qui font tout pour que le Moyen-Orient demeure divisé et instable, se soient indignés de la réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran et aient été pris de court par la reprise de leurs relations diplomatiques. En effet, ce retournement de situation fait tomber les calculs d’Israël qui voulait accroître l’isolement de l’Iran en ralliant l’Arabie saoudite.

La normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël est maintenant hors de question, et c’est ce qui fait dire à l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett que l’accord entre Riyad et Téhéran constitue une «victoire politique pour l’Iran», qu’il porte un «coup fatal aux efforts visant à construire une coalition régionale contre l’Iran» et  qu’il  est un «échec lamentable du gouvernement Netanyahu»...

Cependant et pour conclure, il faut dire que la prudence doit rester de mise, car les protagonistes de la Chine ne manqueront pas de réagir et de tenter de faire échouer la dynamique de rapprochement qu’elle a mise en œuvre dans la région et ce en jouant sur les divergences qui subsistent entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Outre qu’il ne sera pas aisé de vaincre les séquelles des décennies d’hostilité qui les ont séparés, il ne faut pas oublier que le problème du dossier nucléaire iranien demeure entier. En plus, il est à craindre que l’Arabie Saoudite, qui fait de ses relations avec Washington la clé de voûte de sa sécurité et qui reste, de ce fait, fortement dépendante des États-Unis, ne puisse pas aller loin dans la réconciliation avec l’Iran d’une part, et dans le raffermissement de son partenariat stratégique avec la Chine, d’autre part, afin de ne pas attirer les foudres de l’oncle Sam et de ne pas faire l’objet de ses sévères sanctions comme tant d’autres pays dans le monde.

Mohamed Ibrahim Hsairi


 

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