Najla Bouden, une femme cheffe du gouvernement : belle symbolique !
Par Azza Filali - Depuis plusieurs semaines, l’atmosphère du pays baignait dans une morosité sans précédent: les interrogations succèdent aux interrogations, un mélange de scepticisme et d’amertume, plissant les fronts et courbant les têtes. Tous, médias et société civile en premier, déploraient le manque de communication entre la présidence de la République et les citoyens, tout autant que le manque de visibilité de l’avenir du pays.
Depuis, plusieurs semaines, les partis politiques s’agitent: le mouvement Ennahdha, délesté de cent trente adhérents de poids, s’ingénie à accoucher d’un nouveau-né, accouchement ardu, sûrement par césarienne ! (Une césarienne venant à bout du césar en place…) D’autres partis se mettent ensemble pour mieux « se concerter », le type même de l’activité de fauteuil qui, si elle ne fait pas de bien, ne fait pas de mal non plus, et dont la caractéristique essentielle est l’immobilité… du fauteuil ! Quant au PDL, le voici qui compte bientôt entamer son « tour de Tunisie », non pas à vélo, mais à coup de discours (et de mégaphones !)
Soudain, voici que dans la morosité ambiante, une lueur d’espoir vient alléger la chape de plomb qui pesait sur le pays : le chef du gouvernement vient d’être nommé et c’est une femme !
Sans tomber dans un féminisme rudimentaire, je voudrais saluer la belle symbolique de cette nomination: la Tunisie est le premier pays arabe ayant nommé une femme à la tête de son gouvernement. La primauté est importante et mérite d’être rapportée et appréciée à sa juste valeur symbolique. Tout comme mérite d’être saluée l’initiative du président de la République qui, nommant une femme, a remis en marche un moteur qu’on croyait grippé pour longtemps : à savoir l’accès de la femme aux plus hautes fonctions de l’Etat. Cette nomination remet à l’ordre du jour tous les dossiers en attente, ceux ayant trait à l’inégalité entre les genres : inégalité de salaires (pour les ouvrières agricoles), inégalité dans le recrutement des diplômés (au profit des hommes), inégalité face à l’héritage (pour toutes les Tunisiennes).
Avant tout, souhaitons à madame Najla Bouden beaucoup de courage face au travail titanesque qui l’attend, et un grand succès dans ce qu’elle entreprendra. Son succès sera celui du pays et donc le nôtre. C’est que le Tunisien, en bon machiste qu’il demeure, mettra le genre féminin dans la balance lorsqu’il s’agira de juger les décisions prises par la cheffe du gouvernement, tout comme les résultats auxquels elle parviendra. Si elle réussit dans l’une de ses entreprises, les « mec assis au café » diront : « pour une femme, ce n’est pas si mal ! » En revanche, si elle échoue tous les mâles s’écrieront à l’unisson : « on vous l’avait bien dit, ce genre de postes n’est pas pour une femme ! »
De madame Bouden, on dispose pour l’instant d’un CV sommaire, énumérant les postes qu’elle a déjà occupées: professeur à l’ENIT, spécialiste en géosciences, ayant par ailleurs veillé à l’application du programme de la Banque mondiale au ministère de l’Enseignement supérieur, et plus précisément à une réforme visant à adapter les programmes d’enseignement à l’employabilité ultérieure des diplômés.
Munis de ce bref Curriculum, n’ayant encore ni entendu Mme Bouden, ni connu les membres de son gouvernement, nous pouvons d’ores et déjà assigner ses limites au genre féminin du chef de gouvernement : si le fait d’être une femme peut lui conférer un préjugé favorable auprès d’une certaine élite, cela n’interviendra absolument pas dans les choix qu’elle fera, tant pour ce qui est de ses collaborateurs que de son programme d’action. De plus, lorsqu’on jugera son travail, on jugera un haut responsable à l’œuvre et non une femme. Pour rafraîchir des mémoires qui ne gardent que ce qui leur convient, rappelons que madame Bouden, est la onzième cheffe du gouvernement, depuis 2011. Tous ceux qui l’ont précédée étaient des hommes et malgré toute leur charge de testostérone et leur éminente masculinité, ils ont tous pitoyablement échoué à sortir le pays de l’ornière dans laquelle il était embourbé. Si des hommes échouent, une femme peut aussi échouer ; cela n’a rien à voir avec les hormones !
Le choix, par le président Kais Saied, d’une femme au poste du chef du gouvernement aura sans doute des répercussions favorables auprès des gouvernements étrangers qui y verront, dans leur lexique stéréotypé, une marque de modernité, une première dans les pays arabes, et même par rapport à certains pays occidentaux, tels les USA, la France, ou l’Italie. Ainsi, cette nomination constituera un « bon point pour la Tunisie. » Si ce bon point permet de récupérer la confiance des bailleurs de fonds et de relancer les programmes de coopération avec les pays occidentaux, c’est tant mieux !
Autre point et non des moindres: l’existence d’une femme à la Kasbah, agira-t-il tel un levain, pour modifier l’image de la femme dans la tête des hommes Tunisiens ? Influera-t-elle dans le bon sens sur leur comportement vis-à-vis de la gente féminine ? N’oublions pas que les violences à l’égard des femmes ont été multipliées par sept, au cours de l’année2020 ! On peut croiser les doigts : Quel que soit le résultat auquel la nouvelle cheffe du gouvernement parviendra, le fait d’associer l’une des plus hautes autorités politiques à l’image d’une femme, aura sans aucun doute des répercussions sur l’imaginaire et les consciences masculines ; un pas sera franchi, même minuscule, dans la lutte contre le machisme et le patriarcat qui régissent notre société, et c’est là un bel acquis.
Il faut croire que la Tunisie a le génie des débuts. En 2011, c’est par notre pays que les soulèvements populaires ont commencé, renversant le régime de Ben Ali et filant, telle une mèche, aux pays arabes voisins. Aujourd’hui, dix ans plus tard, la Tunisie innove encore une fois, en nommant une femme à la tête du gouvernement. Espérons que le bilan de madame Bouden sera plus positif que celui de la « révolution » de 2011. Chère madame la cheffe du gouvernement, tous nos vœux de succès vous accompagnent ! Votre succès sera celui de toutes les femmes Tunisiennes qui sont désormais bien représentées au plus haut sommet de l’échelle. Bon travail, madame la cheffe du gouvernement et bon vent !
Azza Filali
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En guise de commentaire j'adresse mes sincères et chaleureuses congratulations à l'heureuse élue dont les responsabilités seront à la fois lourdes et enthousiasmantes. De l'audace, encore de l'audace et la Tunisie sera sauvée
Cette contribution fait l'apologie du féminisme "primitif" en substituant à la dialectique de l'histoire une confrontation des genres (officiellement binaire).En émancipant la Tunisienne et le Tunisien ,par l'éducation du Savoir,le leader Bourguiba n'a pas tenu compte de la mentalité des oisifs des cafés et encore moins de celle enturbanee...Sa stratégie visait loin: apprenez avant d'assumer...Le résultat est là, grâce à un universitaire conséquent avec ses intimes convictions. Alors de grâce !le succès ou l'échec du chef(fe) du gouvernement seront pour tous les Citoyens,genres confondus. L'Homme passe, la Tunisie demeure.Bon vent.
Merci madame filali pour ces belles paroles
Mes félicitations pour Madame la présidente du gouvernement et mes souhaits de réussite et de succès dans ses fonctions. En tant que Professeur des universités j'espère que l'enseignement supérieur occupera une priorité du gouvernement afin que l'université tunisienne retrouve sa gloire et accomplisse pleinement sa mission de formation et surtout de recherche scientifique..
le mot cheffe en français n'existe pas, on appelle toute personne de sexe féminin qui dirige un gouvernement, une administration, une armée, etc. ( une Cheftaine)