News - 08.09.2021

Cinq points de rupture qui se posent au président Kais Saïed

Cinq points de rupture qui se posent au président Kais Saïed

Tout porte à croire que le président Saïed s’est lancé dans une démarche de longue haleine qui se poursuivra des années durant. Mais d’ores et déjà, il doit s’attacher à consolider les points de rupture qui risquent d’entraver son avancée. Cinq rudes épreuves s’imposent en cette rentrée à son agenda. De la capacité de les traiter dépendra le succès de son projet d’ensemble. De la compétence et de la cohésion de son équipe aussi, ainsi que de son sens de la concertation et de la mise en débat public.

Les institutions et le système politique: Kaïs Saïed l’avait publiquement annoncé depuis des années : la démocratie fondée sur des partis politiques, un régime parlementaire et un pouvoir centralisé, confisqué à la base locale, est épuisée. La loi électorale et la constitution sont à réviser et, en attendant, une organisation provisoire des pouvoirs publics est à mettre en place. Cette nécessaire réforme est cependant à mettre en débat, le plus large possible. Des élections législatives anticipées sont prévisibles, et doivent se tenir sur la base de la loi électorale révisée pour permettre une véritable expression de la représentation nationale. Quant à la constitution, il appartiendra à la nouvelle assemblée de la forger. La question institutionnelle s’érige au cœur du calendrier politique tout au long des prochaines semaines et des mois à venir. Les enjeux sont essentiels.

Les finances publiques: pas moins de 4 milliards de dollars sont nécessaires à mobiliser immédiatement pour faire face aux besoins urgents des caisses de l’État. Jusque-là, la loi de finances complémentaire n’a pas été bouclée, le budget de l’État pour l’année 2022 n’est pas esquissé, les négociations avec le FMI ne sont pas engagées! Quant aux promesses de soutien financier de la part de pays frères et amis, elles tardent à se concrétiser. La question financière pèse de tout son poids, surtout que les marchés financiers deviennent de plus en plus dubitatifs et les institutions régionales et internationales perdent de l’intérêt pour la Tunisie, exigeant tous garanties et réformes.

Le marché: la réaction du marché tunisien suite aux instructions du président Kaïs Saïed pour réduire les prix est importante à suivre. Réduire la marge bénéficiaire de la distribution des produits alimentaires à 15% seulement (5% pour les grossistes et 10% pour les détaillants) ne sera pas facile à tenir. Mais aussi ne résout pas le problème des producteurs agricoles qui subissent de plein fouet la hausse continue du prix des intrants et autres frais et se perdent dans les circuits informels de distribution. Quant aux banques et autres établissements de crédit, le plafonnement des taux de crédit au TMM+2, à certaines conditions très limitatives, ne résoudront pas les difficultés des entreprises. Les frais bancaires demeures élevés et l’accès au crédit très limité, en dépit de la crise survenue suite à la pandémie de Covid-19. Une baisse générale des prix, sans pour autant pénaliser les producteurs, pour préserver le pouvoir d’achat et soutenir le panier de la ménagère, mais aussi relancer la consommation et redéployer l’économie, constitue une clé de voûte.

Les revendications sociales: le risque majeur est sans doute l’exacerbation de l’impatience, la montée des demandes et la multiplication des mouvements sociaux. Quand des syndicats de l’enseignement appellent à se mettre en grève en cette rentrée scolaire, jusqu’à obtention de nouvelles augmentations, cela n’augure rien de bon. La spirale est capable de s’enclencher rapidement, touchant de nombreux autres secteurs, alors que les caisses de l’État sont vides. Quelle sera la position de l’Ugtt? Comment réagira Kaïs Saïed ? Quelle est sa marge de manœuvre et tentera-t-il un passage en force?

La géostratégie et les influences extérieures: la Tunisie est très connectée à son voisinage immédiat, et à sa sphère régionale et internationale. Jaloux de la souveraineté de la décision nationale, Kaïs Saïed est conscient du jeu des influences étrangères qui tentent de s’exercer sur le pays. Il doit pourtant savoir en tenir compte, les neutraliser, composer avec nos alliés et faire prévaloir l’intérêt national. Autant de choix stratégiques essentiels qui seront déterminants.

La question sécuritaire est d’une grande acuité. Un régime fort, respecté et bien structuré réduit la criminalité et accroît la lutte contre le terrorisme. Les forces sécuritaires et armées s’y emploient. Elles ont besoin de plus de moyens et d’effectifs, c’est-à-dire de plus de crédits budgétaires. Une autre préoccupation majeure pour le chef de l’État.

Mais qu’en est-il des libertés et de la démocratie ? Faut-il avoir peur de voir Kaïs Saïed s’ériger en maître absolu ? Beaucoup se posent la question. La professeure Monia Ben Jémia, son ex-collègue à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, le connaît bien. Elle esquisse une réponse intéressante. «Souvent inquiète, écrit-elle, parce qu’il a tous les pouvgoirs, et ce n’est pas normal! Mais j’ai toujours espoir, le 25 juillet fera date! Tout sera mis à nu, grâce à la vigilance de tous et de la société civile ! Le 25 juillet nous appartient, à nous! Critiquons, critiquons et ne cessons surtout pas de critiquer! Il n’a pas tous les pouvoirs finalement, il n’a que les pouvoirs que nous acceptons de lui donner.»

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