News - 15.08.2021

Tunisie: Pour que le baccalauréat allégé ne soit pas cause de frustration et d’échec

Pour que le baccalauréat allégé ne soit pas cause de frustration et d’échec

Par Ridha Bergaoui - Depuis presque deux années, la pandémie Covid-19 n’a cessé de perturber la marche normale de toutes les activités humaines et le secteur de l’enseignement n’a pas été épargné.

Face à la dissémination de la maladie et pour rompre la transmission du virus dans le milieu scolaire, les autorités tunisiennes ont mis en place, durant la dernière année scolaire, un ensemble de mesures dont l’enseignement par petits groupes et l’allégement des programmes de formation. L’année scolaire a connu également des perturbations et de nombreux arrêts des cours.

Ces conditions exceptionnelles devaient en principe toucher les acquis des apprenants et conduire à de mauvais résultats surtout lors des examens nationaux dont le plus important : le baccalauréat. Les résultats enregistrés sont toutefois tout à fait contraires et on a assisté à des records exceptionnels.

Un nombre de bacheliers anormalement élevé

Tout d’abord, le nombre de candidats était exceptionnel (136 000 candidats soit plus de plus de 10 000 par rapport à l’année 2019-20). Le taux de réussite était de  57,5 %  ce qui représente également un record par rapport aux années précédentes où le taux de réussite était toujours inférieur à 50%. Ainsi on est passé de 53 000 nouveaux bacheliers en juin 2020 à 78 000 pour cette année soit une augmentation de prés de 48%.

Au tant on est heureux pour tous ceux qui ont réussi à arracher leur baccalauréat, un diplôme qui représente un tournent décisif dans la vie du jeune homme ou jeune fille, autant ces chiffres inquiètent. 

En effet, tous ces étudiants ont le droit d’accéder à l’université et de disposer d’une place dans l’un des établissements universitaires publics. D’où le casse tête de l’orientation qui se pose au Ministère de l’Enseignement Supérieur et les craintes des bacheliers et des parents de ne pas avoir la spécialité et l’établissement tant souhaités.

Par ailleurs on peut se demander si de tels chiffres ne reflètent pas des épreuves trop faciles et une certaine générosité de la part des correcteurs pouvant entrainer l’obtention du bac par des jeunes sans niveau ce qui risque de nuire à la formation et plus tard à la qualité des diplômés qui auront des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi fort malmené par la crise sanitaire.

La pandémie Covid-19 a sérieusement perturbé l’année scolaire

Il faut rappeler que la pandémie a démarré en décembre 2019 à Wuhan (Chine).  C’est à partir de mars 2020 que la Tunisie a été sérieusement touchée et les autorités ont annoncé un certain nombre de mesures préventives avec l’entrée le 20 mars en confinement total pour deux semaines.

Depuis le  12 mars, les cours ont été arrêtés et les établissements sont restés fermés pour le reste de l’année scolaire. Pour clôturer l’année, le Ministère de l’Education avait décidé, pour le calcul de la moyenne annuelle et le passage des élèves,  de ne prendre en considération que les notes obtenues lors du premier et deuxième trimestre.

Cette fin d’année en queue de poisson a entrainé probablement le passage massif des élèves aux classes supérieures sans tenir compte de leur niveau réel. L’essentiel était de clôturer l’année et de ne pas déclarer l’année blanche. 

La pandémie s’étant bien installée chez nous, et pour réduire les risques sanitaires dans le milieu scolaire, l’année 2020-21 a démarré avec deux nouveautés majeures : un système d’enseignement par groupe ne dépassant pas 18 personnes et par alternance (3 jours seulement/semaine) et un allégement significatif du contenu des programmes pour toutes les années et toutes les sections.
L’année a connu de sérieuses perturbations et des arrêts fréquents de l’enseignement. Au mois de janvier, le Ministère a décidé la fusion du 2éme et 3éme trimestre en une seule période d’examen. Suite à la propagation du virus et l’aggravation de la situation épidémiologique, les cours ont été pratiquement arrêtés au mois d’avril. Les examens nationaux ont été maintenus aux dates initialement prévues. Le bac sport a été annulé et les épreuves pratiques également (à l’exception de l’épreuve de l’informatique dans la section informatique) toutefois les épreuves du baccalauréat ss sont déroulées dans des conditions presque normales.

Face à la peur et l’angoisse des candidats au baccalauréat

La journée du bac, le Ministre de l’Education Nationale, en marge de sa visite à un lycée dans la région de Tunis le 06 juin pour s’enquérir des conditions de déroulement du bac, a déclaré que « les épreuves porteront sur les programmes allégés et seront à la  portée ».

Il convient de signaler que les conditions particulières dans lesquelles s’est déroulée l’année scolaire ainsi que la pandémie ont créé chez les apprenants d’une façon  générale et les candidats au bac d’une façon particulière, une psychose de peur d’attraper la maladie, de l’incertitude du déroulement du baccalauréat et de l’échec aux épreuves.

Ces conditions psychologiques, associées aux tensions au sein de nos familles en pareilles circonstances, et les contraintes sanitaires n’ont pas été favorables à la concentration des élèves pour le suivi des cours et la préparation des épreuves. Il faut toutefois signaler que, comme chaque année, presque tous les candidats ont suivi plus ou moins des cours privés d’étude et de soutien.

Des résultats tout à fait prévisibles et une absence totale de coordination

Il est possible de dire que les résultats du baccalauréat étaient prévisibles depuis bien longtemps. Le nombre des candidats était bien connu dés juin 2019 (en se référant aux élèves qui  passent en terminale). La volonté affichée du Ministère de l’Education était de tenir compte des aspects psychologiques particuliers des élèves, d’alléger les programmes et de donner des épreuves à la portée de tous. Ce ci devait logiquement se traduire par un nombre élevé de bacheliers.

Toutefois il y avait un sérieux problème de coordination entre le Ministère de l’Education et celui de l’Enseignement Supérieur. Ce dernier semblait ignorer complètement la situation et s’est trouvé, au mois de juillet, surpris par le  nombre record des candidats admis au baccalauréat alors qu’il n’avait prévu aucune mesure particulière pour y faire face.

Dans une note, en date du 09 aout au sujet des résultats de la session principale de l’orientation universitaire, le MESRS reconnait que le nombre de nouveaux bacheliers dépassait de 38% ses prévisions. Il avait tablé sur uniquement environ 57000 bacheliers au lieu des 78396 qui ont réussi le baccalauréat.

Ce manque de coordination sur une question aussi cruciale que celle de la prévision du nombre de bacheliers, avec les conséquences qui en découlent sur le plan matériel et organisationnel, est inadmissible et impardonnable.

La solution de dernière minute préconisée par le MESRS était tout simplement de forcer les établissements universitaires à accueillir plus de bacheliers qu’ils ne le faisaient ces dernières années.

Compte tenu des conditions particulières de déroulement de l’enseignement ces deux dernières années, le souci d’éviter l’année blanche et de clôturer rapidement l’année scolaire, cette situation risque de se reproduire et le nombre de candidats au baccalauréat pourrait être aussi important que celui de cette année.

Une conséquence directe sur la qualité de la formation

En temps normal, tout le monde s’accorde pour dire que l’enseignement public pose de nombreux problèmes surtout depuis 2011 avec l’embrasement des contestations syndicales, les grèves et interruptions des cours à répétitions. Des moyens matériels et humains insuffisant, une dégradation des infrastructures et des équipements, une absence et incohérence des stratégies et de la politique de formation ont entrainé une détérioration fulgurante de la qualité de l’enseignement et un recul sensible de la Tunisie dans les divers classements internationaux dans les domaines de l’éducation et de la formation. La pandémie de la Covid-19, les décisions et les choix opérés par le Ministère de l’Education, n’ont fait qu’aggraver la situation et aboutis à un effectif anormal de bacheliers titulaires d’un baccalauréat surévalué et peu convainquant.

L’enseignement supérieur souffre également de nombreuses tares. L’orientation universitaire, la qualité de l’enseignement, le système LMD, l’adéquation formation/emploi, la réforme de l’université et bien d’autres questions sont des thématiques qui ont été abordés à de nombreuses occasions. Malheureusement aucune solution n’a été trouvée en raison essentiellement de l’absence de stratégie, de l’instabilité et du manque de volonté politiques et enfin du défaut d’autorité et de leadership. Le nombre de diplômés chômeurs n’a cessé d’augmenter (environ 280 000 sur un total de plus de 700 000 chômeurs) et l’université tunisienne a acquis la réputation de former des diplômés destinés au chômage permanent. Un nombre de bacheliers aussi important et inattendu que celui de cette année risque de poser de sérieux problèmes et d’affecter durablement la qualité de la formation et des diplomés.

Le rattrapage est encore possible

Il serait inadmissible de ne pas agir et de se contenter de se lamenter du niveau des bacheliers. Le MESRS doit agir sans tarder pour remédier à cette détérioration du niveau et de la qualité. Il faut, si nécessaire, avancer la date de la rentrée universitaire  et organiser, dans tous les établissements à l’intention des nouveaux bacheliers, des séances de rattrapage et de mise à niveau avant d’entamer le programme de la formation en question. Le contenu de cette mise à niveau serait à définir par les conseils scientifiques en vue de garantir le bon suivi des cours et un niveau  normal des étudiants.

Il ne faudra surtout jamais sacrifier la qualité de la formation  en arguant la surcharge des classes ou le faible niveau des bacheliers. Il faut au contraire être vigilant et faire tout pour permettre aux étudiants de se rattraper et d’avoir plus tard des diplômés de niveau.

Par ailleurs, l’orientation universitaire est basée sur un score du bachelier et la capacité d’accueil des établissements. Ce score (formule générale) est calculé à partir de la moyenne du baccalauréat multipliée par quatre plus les moyennes des langues ainsi que celles des matières principales du type de baccalauréat.

De nombreuses écoles et cycles de formation acceptent des bacheliers d’un score trop faible allant jusqu’à 70 points sur 200 (à titre indicatif le dernier admis à la faculté de médecine de Tunis l’année dernière avait un score supérieur à 188). Si le score est si bas, c’est que le candidat a eu sa moyenne au baccalauréat mais qu’il est trop faible dans les langues et/ou les matières principales. Ces étudiants éprouvent généralement de grosses difficultés à réussir et feront plus tard des diplômés  médiocres qui auront des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi et viendront inévitablement grossir la masse des diplômés chômeurs.

Il serait plus judicieux d’orienter ces bacheliers vers des métiers et les encourager (par un système de bourses et de la priorité au foyer universitaire par exemple) à s’orienter vers la formation de BTS dans les divers centres de formation qui figurent d’ailleurs dans le guide d’orientation et qui offrent une gamme très large de spécialités. 

La vaccination une arme efficace

La crise sanitaire Covid-19 semble se tasser et la campagne de vaccination bât son plein. Tous les spécialistes s’accordent pour affirmer que notre seule arme pour lutter contre la pandémie et le retour à la vie normale reste la vaccination.

Afin que le système éducatif retrouve son rythme normal, il est indispensable que tous les lycéens et étudiants, ainsi que les enseignants et le personnel des établissements soient vaccinés. Un grand effort est fait par les autorités politiques pour importer les vaccins et organiser des campagnes massives de vaccination.

Afin d’inciter les jeunes à se faire vacciner, pourquoi ne pas exiger le certificat de vaccination anti-covid comme document indispensable pour l’inscription dans tout établissement d’enseignement et de formation?

Enfin, il est temps,  surtout pour le Ministère de l’Education et celui de l’Enseignement Supérieur, de faire l’analyse et le bilan des deux dernières années Covid pour évaluer la pertinence et l’efficacité des mesures prises et tirer les leçons de cette pandémie tragique qui a affecté toute l’activité humaine et tous les secteurs de l’économie nationale et mondiale. 

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.