News - 16.07.2021

Tunisie: Quand l'improvisation s'immisce dans un système éducatif, elle le détruit

Tunisie: Quand l'improvisation s'immisce dans un système éducatif, elle le détruit

Par Monji Ben Raies - Quelques décennies de subversion idéologique et de politiques désastreuses auront fait de l’école publique l’incarnation manifeste de la défaillance de l’Etat. Un siècle et demi d’éducation a progressivement été poussé à sa perte. Depuis ce funeste 14 janvier 2011, la déchéance de la Tunisie a entrainé la décadence du système éducatif Tunisien, qui s’est accélérée par un travail d’usure méthodique. ‘’Baccalauréat moins le quart’’, Programmes allégés, grèves interminables des enseignants, détérioration des infrastructures scolaires, revendications syndicales, élèves sous-qualifiés et absence de réforme crédible, autant de facteurs qui faussent les positions inquiétantes de la Tunisie dans les classements internationaux relatifs au secteur de l’éducation. Les politiques désastreuses sont à l’origine du déclin de ce secteur, et la cause d’une baisse continue de la qualité de l’éducation en Tunisie.

Le décrochage scolaire endémique touche plus de 100 000 jeunes élèves par an depuis 2013. D’après le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE 2016), relativement aux scores moyens en sciences, la Tunisie est classée 65ème sur 70, contre le Canada classé 7ème sur 70 et le Vietnam classé 8ème sur 70. Un rapport de la Banque Mondiale sur l’indigence de l’apprentissage et l’illettrisme indique qu’environ 65 % des élèves tunisiens scolarisés ne savent pas lire. Le taux de redoublement est en forte hausse et atteint 34 % en Tunisie. Au niveau de l’indice de qualité de l’éducation pour l’année 2020, la Tunisie est classée 7e dans le Monde Arabe et 84e au niveau mondial.

Des phénomènes dangereux menacent les élèves, comme la violence, l’indiscipline, l’alcool, la toxicomanie (cannabis), le djihadisme, et détruisent l’école publique, surtout en l’absence d’une volonté ferme et sincère de la part des décideurs de les éradiquer.

Malgré un budget monstre alloué au ministère de l’Education et correspondant à près de 20% du budget général de l’Etat et 8% du PNB, ces énormes ressources sont très mal ventilées, avec 97% du budget affectés aux dépenses de gestion dont 93% sont alloués aux salaires, 2,5% aux services et 1,5% aux interventions publiques. Quant à la partie consacrée au développement et à la maintenance des infrastructures, elle ne dépasse pas 3%.

Arabisation et islamisation illégale des systèmes scolaire et universitaire

La destruction de l’école publique a commencé dans les années 1970 et 1980, avec la politique d’arabisation des enseignements, suivie de l’islamisation illégale des systèmes scolaire et universitaire. L’arabisation a ouvert la porte à l’islamisation qui a contribué efficacement à produire de nouvelles formes a culturelles (néologisme qui sert ici à qualifier l’absence ou l’effacement des facteurs de savoir) de contestation contre la gauche d’abord et contre le régime vieillissant de Bourguiba (considéré comme infidèle et mécréant par les islamistes) ensuite. Le début des années 1980 a vu les premiers bacheliers entièrement arabisés, ainsi que la montée de l’islamisme avec ses suppôts qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, comme le Président de l’ARP actuel et son gang. De fait, l’improvisation, la précipitation et l’amateurisme dans lesquels s’est faite l’arabisation à marches forcées a eu pour effet que, si les élèves qui sortent du système scolaire public sont devenus de piètres francisant, ils ne semblent guère être pour autant de bons arabisants, les enseignants eux-mêmes n’ayant pas eu le temps, ni la volonté parfois, de se préparer à ce changement forcé et brutal.

La fin des années 1980 a été marquée par la montée en force de l’islamisme radical, mis en relation évidente avec les formations arabisées dispensées, fortement teintées de rhétorique panarabe, voire d’idéologie islamiste sous-jacente. L’arabisation et l’islamisme ont ainsi conjointement perverti l’école publique et l’ont transformée en un appareil idéologique d’endoctrinement qui alimente en permanence les partis islamistes, qui constituent l’épine dorsale du système politique actuel. L’année 2012 a vu l’explosion du nombre des soi-disant « écoles coraniques ».

En 2019 a été dénoncée l’existence d’une « école coranique » qui n’était en fait qu’un centre d’embrigadement sectaire, près de la ville de Regueb, à 300 km de Tunis. En mars 2021 à Chorbane, dans le gouvernorat de Mahdia, des instituteurs en vêtements afghans, ont séparé les filles et les garçons, faisaient la prière pendant les cours, interdisaient les supports pédagogiques en images et refusaient de suivre les programmes officiels du ministère de l’Education nationale. En mars 2021 le siège de la branche tunisienne de l’’’Union internationale des savants musulmans’’, affiliée à la confrérie des frères musulmans, a révélé l’existence, depuis 2012, d’un système d’enseignement supérieur parallèle assurant sa « nouvelle session de formation charaïque » pour l’année universitaire 2020-2021, en Tunisie. Il s’avère que les programmes enseignés, sont en lien direct avec l’idéologie extrémiste de l’islam politique, comme « la politique charaïque », « le statut personnel moral », « les héritages », « l’économie islamique » et « les objectifs de la charia », « le prosélytisme », «la rhétorique et arts de la communication ».

Il s’agit en l’occurrence d’un enseignement parallèle qui échappe à la tutelle et au contrôle du ministère et qui est destiné à remplacer un enseignement supérieur légal assuré normalement par l’Université de la Zitouna chargée de la formation des prédicateurs et des imams en Tunisie. L’anéantissement de l’école publique et l’instauration d’un enseignement obscurantiste parallèle n’est pas dû au hasard ; il y a derrière un projet de fabriquer des ignorants formés et endoctrinés à des tâches précises subversives, des électeurs loyaux à la solde de l’obscurantisme et de l’extrémisme terroriste. In fine, une masse dépourvue de tout esprit de raisonnement et critique, malléable et manipulable à souhait. L’enseignement parallèle est injecté en doses homéopathiques pour se substituer progressivement à l’enseignement public laïque et libertaire.

Syndicalisme voyou

Syndicalisme, lobbyisme, corporatisme, populisme, salafisme, ainsi qu’islamisme, clientélisme, affairisme, extrémisme et complotisme sont des maux avec le même suffixe de l’extrémisme et de la dérive, qui ont surinfecté une Tunisie déjà partiellement malade. Passe-droits, dérogations et autres avantages particuliers, générateurs de tensions sociales d’inégalités et de clivages. Désormais ils cherchent à consacrer l’injustice sociale, sources de conflits sociétaux et enterrer définitivement l’Etat de droit. Une plaie suintante est ouverte sur le flanc de toute la Nation infligée par les mandataires de l’étranger, des monarchies du golfe, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite, jaloux des acquis tunisiens et de la suprématie de la Tunisie.

Malheureusement, La Tunisie souffre d’une nouvelle gangrène qui nécrose tout, le syndicalisme voyou, allant jusqu’à se considérer au-dessus des lois et de la justice. Nous avons pu en avoir un échantillon avec le forcing de l’UGTT pour la tenue de son congrès les 8 et 9 juillet 2021, alors que la population était confinée chez elle et ne pouvait se déplacer à sa guise du fait de la flambée du Covid-19. Cet épisode nous a édifiés sur le fait que le syndicalisme tunisien s’est transformé progressivement en un front politique pur et dur. Il se considère un des piliers du système politique en place depuis 2011, et se pose comme un véritable Etat dans l’Etat, ayant l’Etat tunisien à sa botte. En conséquence, perverti par les calculs politiques, le syndicalisme devient progressivement improductif, voire même subversif, s’écartant de sa vocation première, pour se comporter comme un parti politique.

L’école publique n’a pas été épargnée et s’est écroulée sous le poids des revendications syndicales incessantes devenues la plaie béante du système, la fuite en avant des augmentations salariales injustifiées, recrutements mal-étudiés surtout partisans, grèves interminables, blocage des épreuves d’évaluation, etc. En contrepartie de ces actes, des élèves non-qualifiés, des programmes inachevés pourtant allégés durant la dernière conjoncture, 70 jours de travail effectif pour l’année scolaire en cours, soit 10 heures de travail par semaine au lieu de 25 dans l’enseignement primaire et secondaire, … ; à tout cela s’ajoute de nouvelles revendications prétextant la pandémie COVID-19. Le constat est sans appel, l’école publique est devenue une fabrique de contingents de non-qualifiés, de mal formés, de désespérés, de décrocheurs, de chômeurs et de candidats à la criminalité, au terrorisme et à l’immigration clandestine. Dans les écoles, qu’ont pu apprendre les enfants lorsque l’on sait que le cycle scolaire s’est déroulé à raison d’une journée sur deux pour quatre heures d’éducation, soit l’équivalent d’un quart d’année scolaire normale.

Les élèves sont actuellement en vacances d'été, avant de faire leur rentrée scolaire, mais pour combien de temps ? Quelle date pour la "grande" rentrée scolaire de septembre 2021 ? Et surtout, dans quelles conditions va se faire le retour en classe, après plus d'une année de cours perturbés par la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 ? La date de rentrée scolaire n’est pas encore fixée, les modalités de retour en classe devant dépendre de l'évolution de la situation sanitaire durant les deux prochains mois. Pour l'heure, la rentrée se fera probablement en présentiel, le gouvernement misant sur une accélération hypothétique de la vaccination, notamment chez les étudiants, pour déterminer la dose de présentiel à prévoir dans les facultés à la rentrée. Selon la ministre de l'Enseignement supérieur, l'objectif du gouvernement est un retour à 100% en présentiel à la rentrée de septembre.

Alors que la présence en classe doit redevenir obligatoire à l'école, au collège et au lycée, les écoliers, collégiens et lycéens doivent retrouver leur établissement. Mais tous les territoires ne sont pas égaux entre zones urbaines et zones rurales, où le protocole sanitaire est plus difficile à mettre en place, notamment dans les transports scolaires. Des disparités demeurent selon les territoires. Ainsi, le taux de présence moyen est optimum en zone urbaine tandis que le retour en classe est plus délicat à organiser dans les zones rurales où des difficultés liées au protocole sanitaire persistent, en particulier en raison de l’inadaptation des infrastructures.

Un plan spécial retard scolaire pourrait être nécessaire à mettre en place en septembre. Un plan spécial pour rattraper le retard scolaire accumulé pendant le confinement. Des évaluations" seraient souhaitables en début d'année scolaire pour déclencher une aide personnalisée à destination de ceux ayant accumulé trop de lacunes. L'ensemble des niveaux devraient être concerné, et une grande marge de manœuvre devra être laissée aux établissements afin de concevoir la manière d'organiser ce rattrapage sans pénalités pour les résultats finaux. Ces derniers devront être libres du choix de leur organisation et bénéficier d'heures supplémentaires pour ce faire. Finalement, il s'agit d'un des enjeux majeurs pour la rentrée de septembre, avec un plan volontariste.

Tous les élèves n'ont pas pâti du confinement de la même manière et il est donc plus adapté de retenir une solution personnalisée de traitement de la difficulté scolaire, en promouvant un dispositif de vacances apprenantes ainsi que des cours de soutien scolaire gratuits. Sur la rentrée scolaire de septembre, plusieurs "hypothèses" : L’école publique que connaissaient des générations de Tunisiens a perdu son âme et agonise. L’école de nos parents, qui donnait autrefois la chance aux enfants du peuple d’évoluer et de gravir des échelons dans la société n’est plus. L’ascenseur social est en panne, vandalisé. Le système éducatif tunisien consacre aujourd’hui les disparités sociales, régionales et idéologiques. Les intégristes extrémistes, au pouvoir depuis 2011, après avoir confisqué la révolte de la jeunesse, a achevé la destruction de l’école publique. Vue l’ampleur du désastre, à savoir une école qui n’éduque plus, qui forme trop peu et très mal, infestée par une idéologie fascisante, obscurantiste, raciste et rétrograde, il n’est pas difficile de prévoir de quoi l’avenir du pays sera fait. Le pays est au bord de l’implosion, le peuple est en colère et gronde. Les intégristes criminels qui ont noyauté les instances de l’Etat, voudraient le pousser à la guerre civile.

Il est sûr que la reconstruction du système éducatif du pays ne pourra être ni conçue ni envisagée avec l’incompétence et la mauvaise volonté qui règne depuis plus d’une décennie.

Le virus est comme maintenant, c'est-à-dire très présent, et on respecte d’abord des règles sanitaires de base (gestes barrières, distance d'un mètre, etc.), et envisager d’observer des règles plus importantes avec une logique de petits groupes. Certaines écoles et collèges pourraient ne pas pouvoir accueillir tous les enfants à temps plein. Il faut surtout voir de manière lucide que, ce que nous avons voulu, c'est être à la fois dirigistes et imprudents, ce que nous avons fait depuis le début. Il était beaucoup plus simple d'adopter une approche de la facilité, comme ça s'est passé dans le pays où l’on attend le mois de septembre.

"Génération sacrifiée"

Les promotions 2020 et 2021 se voient déjà avec cette étiquette collée sur le front, "Diplômé Covid-19, promotion 2020, Baccalauréat light". Ces jeunes, déjà chamboulés par une fin de parcours étudiant atypique, voient leurs perspectives d'avenir relativisées et devenir floues. Pour beaucoup, le marché de l'emploi semble bouché, même si les spécialistes lancent un message positif quant à l’existence de solutions, sans conviction. Nos jeunes pourraient se réjouir, les taux de réussite au baccalauréat et dans l’enseignement supérieur ont grimpé bouclant cette année avec un bulletin vert, malgré la galère du confinement, le manque de cours, le suivi laborieux des professeurs, les vidéoconférences sur un coin de bureau, les bugs informatiques aux examens. Ils ont réussi, mais leur désespoir est bel et bien présent. Le Covid-19 a dévasté leur diplôme et le marché de l’emploi. Pour beaucoup, l’avenir semble bouché pour cette "génération sacrifiée". Sacrifiée, car ils ont été sacrifiés sur l’autel de la société pour sauver les vies des aînés. Obligés de mettre sous cloche toute leur vie sociale, leur éducation, leurs rêves parfois.

Pour des raisons d'équité, les candidats du Bac n'étaient pas en situation d'égalité suffisante dans la préparation, après le confinement, pendant lequel tous n'ont pas suivi de la même façon les cours à distance.

Comment rattraper les semaines de confinement perdues pour un certain nombre d'élèves qui n'ont pas pu suivre correctement les cours à la maison voire qui ont complètement décroché ?

Pour pallier de possibles inégalités, du soutien scolaire aux élèves qui pourraient en avoir besoin pendant les vacances, et des modules de soutien scolaire aux élèves en difficulté à la fin du mois d'août.

Des élèves qui ont dépassé les maîtres

Il est à dénoncer les mauvaises pratiques adoptées par certaines personnes au sein de l’université tunisienne, qui portent préjudice à la crédibilité des diplômes de fin d’études secondaires, le Baccalauréat, et de l’enseignement supérieur à l’université à travers le contournement des critères d'accessibilité. Que vaut un baccalauréat allégé, ou un diplôme obtenu, lorsque le nombre minimum d’heures d’enseignement n’est pas assuré, les examens ne portant que sur ce qui a été enseigné. Une année scolaire de70 jours, une année universitaire de 5 à 8 semaines. Cette année exceptionnelle à plus d’un titre restera dans les annales compte tenu de la situation sanitaire qui perdure et des conditions dans lesquelles les élèves ont étudié, préparé et passé le Bac.

Les résultats font aussi l’exception (au point de rappeler certains résultats électoraux des républiques bananières). La première lauréate du lycée pilote de Jendouba et sa moyenne de 20/20 ; un élève du lycée pilote du Kef avec une moyenne de 19.97 / 20. Par un heureux hasard ils sont issus de la région du Nord-Ouest que le classement ne favorise pas par ailleurs. A qui faire avaler une telle couleuvre ? Autant leur donner le diplôme de leur choix dès maintenant. Pourquoi leur faire perdre trois ans ou cinq à suivre des cours et passer des examens à l’Université.

De toute évidence, les jurys étaient invités à faire preuve de bienveillance et à couvrir une inégalité entre lycéens, pour des considérations politiques. Les notes de certains élèves de quatrième année secondaire auraient été généreusement gonflées pour tromper le monde sur la réalité tunisienne, une réalité qui revêt le sceau de la triche. On se retrouve face à de très grandes inégalités. Les notes du bac n’ont pas été calculées de la même manière. Avec la question de la fuite des épreuves au Baccalauréat, outre le scandale, c’est la déliquescence des valeurs dans notre pays, lorsque l’on pense que même le savoir peut s’acheter ou se voler ou se falsifier.

Valeur des diplômes et continuité pédagogique

Aujourd’hui, on se demande si l’arrêt des cours à l’Université et les conditions d’examen perturbées par le coronavirus pourraient dévaloriser les diplômes. Lorsque le gouvernement ferme les portes des écoles, collèges, lycées et établissements d’enseignement supérieur, pendant quelques jours, la question de la continuité pédagogique se pose. Comment donner des cours quand tout le monde est confiné, bloqué chez soi, dans l’impossibilité de circuler librement. Si pour certains, les visioconférences prennent le relai sans encombre, pour d’autres, la mise en place du processus est plus laborieuse notamment dans certaines universités. Dans ces conditions, de plus en plus d’étudiants se retrouvent livrés à eux-mêmes avec peu de ressources pour étudier dans de bonnes conditions. Des étudiants n’auraient pas accès à un ordinateur personnel avec une connexion internet suffisante. Après les cours, les examens aussi sont menacés, de nombreuses universités ont tout simplement proposé d’annuler les examens de fin d’année, pour privilégier d’autres formes d’évaluation, le contrôle continu ou le devoir maison.

On demande aux étudiants de réviser des cours qu’ils n’ont jamais eus. On leur demande aussi d’écrire des mémoires sans avoir accès à des ressources universitaires fiables. Sont mis à disposition tous les livres qui sont disponibles en ligne gratuitement, une sorte de bibliothèque numérique. Bref, c’est du bricolage. On ne peut pas faire comme si la crise que nous traversons n’existait pas. Il faut briser ce déni dans laquelle les institutions nous plongent, mettre fin aux injonctions paradoxales qui pleuvent sans arrêt. Des doutes sérieux sont émis quant à la crédibilité des diplômés 2020 et 2021 et beaucoup redoutent l’arrivée sur le marché du travail de ces promos d’étudiants.

La crise sanitaire que nous traversons est une situation totalement inédite pour les établissements d’enseignement supérieur, elle pourrait remettre en cause la valeur des diplômes. En effet, des universités fermées, une “continuité pédagogique” difficile à mettre en œuvre à cause de la fracture numérique mais aussi et surtout à cause de l’incapacité de nos universités à avoir des outils numériques performants, la suppression des partiels et devoirs surveillés en présentiel et la mise en place d’examens à distance, avec tous les aléas imaginables quant à leur fiabilité, rendent suspectes les notes obtenues dans de telles conditions d’attribution. Il faut rappeler qu’une note, quelle qu’elle soit (10/20, 15/20 ou autre) ne peut être accordée par défaut, ni à un enseignement, ni à un semestre. Une note doit correspondre à l’évaluation d’un travail fait. Un jury doit délibérer sur des notes qui lui sont soumises par les enseignants en se basant sur les copies matérielles des étudiants.

Si une note était accordée sans s’appuyer sur une copie d’examen la justifiant, la décision du jury pourrait être attaquée pour vice de forme et de fond devant un tribunal administratif et être annulée. De plus, la mise en place de ces dispositions pénaliserait en premier lieu les étudiants issus de milieux modestes et serait synonyme de “diplômes au rabais” comparés aux années précédentes mais aussi à venir. C’est une menace réelle à l’égalité des chances. Faute de pouvoir passer les examens en présentiel, la valeur des diplômes et des notes va reposer sur des évaluations à distance. Cela signifie qu’il existe un très fort risque de fraude et une belle générosité de la part de certains enseignants sur l’attribution des notes, remettant ainsi en cause la crédibilité des diplômes. Les universités devraient être équipées en conséquence et être capables d’assurer la sécurisation de la procédure, de l’identité de l’étudiant qui compose, du sérieux de l’épreuve, du niveau des étudiants, etc. Aujourd’hui la majorité des universités en sont incapables et donc obligées d’assister impuissantes à la dévalorisation de leurs diplômes.

Les étudiants diplômés cette année 2021, comme l’année 2020, seront confrontés à deux difficultés majeures pour trouver un emploi. Tout d’abord la crise économique qui suivra cette crise sanitaire et qui impactera directement les jeunes diplômés. Deuxièmement les employeurs ont et auront des inquiétudes quant au niveau des diplômes de 2020 et 2021 mais aussi quant au niveau de tous ceux délivrés ces deux dernières années. Depuis 2018, les années universitaires sont marquées par des perturbations et des grèves et des blocages à répétition. Ces événements ont perturbé les cours, les travaux dirigés et les travaux pratiques et ont sûrement porté atteinte à la qualité de l’enseignement dispensé. Le niveau général des diplômés depuis 2018 mérite donc d'être remis en question. La décision du mois de mars a bien entendu affecter la poursuite “normale” des enseignements. Évidemment, l’ensemble des cours ne peut pas se faire à distance, et donc certains enseignements ont dû improviser des formes différentes de celles prévues initialement. Ainsi, si la fin du second semestre a été perturbée, il est important de ne pas remettre en cause la totalité des compétences acquises au cours de l’année entière, voire du cycle entier.

Lorsque la pandémie s’est déclarée, les établissements et les équipes pédagogiques n’étaient pas préparés à mettre en place un enseignement à distance généralisé, aussi rapidement. Ainsi, le début du confinement n’a pas été un moment facile à traverser, ni pour les administratifs, ni pour les enseignants, ni pour les étudiants. Mais aujourd’hui, la situation commence tout juste de s’améliorer, à mesure que les jours passent, même si, trop d’étudiants en situation de précarité souffrent de ces nouvelles conditions d’études car ils n’ont ni accès à internet, ni à un ordinateur portable et sont souvent obligés de travailler plus pour subvenir à leurs besoins, …, tant de raisons qui ne permettent pas de suivre les cours correctement et d’assurer une égalité entre eux.

On le sait bien, l’annulation des épreuves d’évaluation n’est pas une réponse parfaite. C’est pourquoi des examens devraient pouvoir avoir lieu dans les meilleures conditions possibles tout en garantissant le principe d’égalité des chances, comme faire uniquement des devoirs maison sur les connaissances travaillées avant les périodes d’arrêt, neutraliser les enseignements qui ne sont pas évaluables à distance ou encore proposer des alternatives au tout numérique comme l’envoi par courrier, l’évaluation par téléphone, le remplacement présentiel des périodes de fermeture, etc.).

Il faut se sortir de la tête la sacralité de l’examen partiel ou terminal, le fait que seul l’examen terminal permet de valider ou non les compétences acquises. Les connaissances se travaillent tout au long des études. Et encore une fois, ne résumons pas un diplôme à un mois de cours en moins sur trois ou cinq années d’études dans le supérieur. Il faut aussi sortir de l’engrenage du sauvetage de l’année coûte que coûte, dans n’importe quelles circonstances. Pourquoi faut-il que soit maintenu l’examen du Baccalauréat pour accéder à l’Université ou a une formation.

Le bilan des années de secondaire (Lycée) serait plus révélateur du niveau de l’élève et de ses aptitudes, qu’un examen passé en semaine bloquée comme une course de Marathon. Il suffirait que le candidat ne soit pas en forme ce jour-là, ou qu’il ait des soucis par ailleurs, pour que soient ruinées ses chances de faire montre de ses compétences et de son niveau. Combien d’élèves brillants ne réussissent pas au baccalauréat du premier coup ? Pour éviter de se retrouver à nouveau dans cette sombre situation, l’ensemble des établissements d’éducation devrait revoir leur mode d’évaluation et mettre en place un contrôle continu intégral et renier le système des semaines bloquées.

Après des années de discussion, aucune instance, que ce soit le ministère ou les universités n’ont opté pour ce mode d’évaluation, et aujourd’hui la question d’un diplôme bradé, se pose tout à fait. Et pour que les diplômes des années qui arrivent ne soient pas impactés, il est tout à fait envisageable d’aménager un planning des enseignements et de leur déroulement dès la rentrée prochaine. De plus, en septembre prochain, il sera du rôle de l’université de repérer les étudiants qui ont pu décrocher pendant les périodes de confinement pour leur apporter un soutien et leur faire rattraper leur éventuel retard sur les programmes.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste internationaliste et Politiste
Enseignant et chercheur en Droit Public et sciences politiques
Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis

 

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