News - 15.07.2021

Asma Sehiri Laabidi: L’Amirale

Asma Sehiri Laabidi: L’Amirale

Enfant, elle voulait devenir avocate ou magistrate. Elle fera droit (mais aussi l’ENA). Lorsque plus tard on lui proposera le ministère de la Justice, elle préfèrera celui de la Femme et de la Famille. Elle a un projet pour défendre ardemment la cause des enfants, des femmes et des personnes âgées. Elle avait impressionné Elyès Fakhfakh qui, début 2020, formait son gouvernement. Son successeur, Hichem Mechichi, l’invitera à choisir entre plusieurs postes. Elle n’hésitera pas longtemps pour le secrétariat général aux Affaires maritimes. Une instance qui n’existait que sur le Journal officiel, sans effectifs, ni budget.

Sommaire

Face à la mer

Interview : Une vision nouvelle

Portrait : Asma Sehiri Laabidi : L’Amirale

La Tunisie marine

Une commission et un secrétariat général

La saison bleue

Dossier établi par Taoufik Habaieb

Photos : Mohamed Hammi

Asma Sehiri Laabidi a toujours fonctionné au sens de la mission, au défi du projet à accomplir. Elle négocie à fond son périmètre d’attributions, mais ne se soucie guère ni du prestige de la fonction, ni des honneurs et avantages qu’elle peut en tirer. Son véritable moteur, c’est d’aimer ce qu’elle doit faire. Elle s’adonnera à fond. La ministre des mères (les femmes) est désormais celle des…mers. Asma Sehiri Laabidi y plonge avec délectation, de tout son souffle.

La grande source

Le moule familial a forgé sa personnalité. Son père, Si Abdelhakim, diplômé de l’Institut de Bir El Bey, était doué pour l’animation culturelle, l’encadrement des enfants et des jeunes, la détection des vocations et la promotion des talents. Au gré de ses affectations au sein des clubs d’enfants et maisons du peuple dans le Nord-Ouest avant de s’installer pour de longues années dans sa ville natale de Makthar, il laissera une empreinte indélébile.

L’ambiance familiale s’en ressentira la première. Avec sa sœur et ses trois frères, Asma baignera depuis son enfance dans la danse classique, le théâtre, la musique (jouant du luth), la peinture (à ce jour encore, transmettant sa passion à l’aînée de ses trois filles). Du pur bonheur, chouchoutée par une maman affectueuse. Une grande source d’équilibre psychologique, de confiance en soi, d’amour des autres et de volonté de réussir.

Le droit, pour la haute administration publique

Tout s’enchaînera rapidement. La jeune bachelière montera à Tunis, début des années 1990, réussira sa maîtrise en droit à la faculté des Sciences juridiques. «De grands maîtres m’ont marquée, retient-elle. Les professeurs Abdelfattah Amor, Yadh, Rafaâ et Sana Ben Achour, Kalthoum Meziou, Slim Laghmani, Soukeina Bouraoui, Youssef Kenani, et bien d’autres ont le mérite d’avoir façonné des générations successives de juristes.»

Le moment lui était alors venu de chercher sa voie. Asma Sehiri postulera pour la magistrature. Trop jeune : il lui manquait une année d’âge pour y être admise. En parallèle, elle tentera le cycle supérieur de l’ENA. Banco. La filière peut lui ouvrir une autre porte de la magistrature, celle administrative (Tribunal administratif et  Cour des comptes). Premier contact, et coup de foudre pour l’administration. «C’était une grande découverte pour moi, confiera-t-elle à Leaders. J’ai vécu dans un milieu qui respecte l’administration et la Fonction publique. Je m’en suis sentie très proche.»

A l’ENA, Asma Sehiri apprendra à connaître un autre versant de la rigueur. «Mon père était affectueux, mais aussi rigoureux, nous dit-elle. J’avais le choix entre trois corps : l’inspection, la magistrature administrative et l’administration générale. Les deux premiers sont dans le contrôle, alors que le troisième est celui de l’élaboration des politiques publiques, de leur mise en œuvre, de l’action, de la gestion. Ce défi m’a tout de suite emballée.»

La conformité à la loi

Commencera alors un long parcours de plus de vingt-deux ans à la Kasbah. A la sortie de l’ENA, Mme Sehiri Laabidi sera affectée aux services du conseiller juridique du gouvernement, et aura la chance d’avoir comme premier patron l’illustre Othman Chérif, un juriste de haute compétence. «C’est grâce à lui que j’ai appris le métier. Notre devoir est de protéger les intérêts de l’État et du Premier ministère pour que tous les actes soient conformes à la loi. Forte de quinze ans d’expérience, elle sera promue conseillère juridique en 2012. Pendant six ans (jusqu’en 2018), et sous six chefs de gouvernement successifs (Jebali, Laarayedh, Jomaa, Essid et Chahed), elle apportera conseil et veillera à la conformité à la loi».

En sa qualité de conseiller juridique, Asma Sehiri Laabidi devait représenter la présidence du gouvernement dans de nombreuses instances et commissions…à commencer par la Commission nationale du droit de la mer. Mais aussi le groupe de travail sur «la qualité de la réglementation» à l’Ocde coprésidé par la Tunisie, la France et l’Italie et le comité de négociation du projet Aleca entre la Tunisie et l’Union européenne.

La mer, à plus d’un coin

C’est par le droit de la mer que l’enfant de Kesra abordera le grand bleu. Sa passion s’en trouvera encore plus avivée lors de l’année qu’elle a passée à l’Institut de défense nationale (IDN) où elle s’imprègnera de la doctrine, de l’organisation et du fonctionnement de l’Armée, la Marine nationale en étant une composante essentielle. A Bortal Hayder, siège de l’IDN, dans les casernes, bases navales et aériennes, montagnes et désert, Asma Sehiri Laabidi réalisera pleinement la mission de défendre la souveraineté nationale et l’intégrité du territoire, de lutter contre le terrorisme et d’apporter les secours en mer.

Le thème de sa promotion (34e) dont elle sera le rapporteur était de rédiger le Livre blanc de la défense et  de la sécurité, un texte fondamental consignant la doctrine de l’armée républicaine post-2011. Avec ses camarades, officiers supérieurs et généraux de divers corps armés et sécuritaires, ainsi que de hauts fonctionnaires, les débats étaient d’une rare densité et richesse, ce qu’elle a réussi à restituer dans le rapport final.

De par ses fonctions, Mme Sehiri Laabidi a toujours eu des rapports étroits avec l’armée, les forces de sécurité intérieure et la haute fonction publique. Les neuf mois à l’IDN les resserreront encore plus, ce qui lui sera très utile lorsqu’elle sera nommée aux Affaires de la Mer.

Retour à l’École

Ayant fait le tour de la Kasbah, une escapade, même au sein du périmètre élargi, ne pouvait que lui faire du bien. Lorsqu’on proposa à Asma Sehiri Laabidi la direction de l’ENA, elle ne boudera pas son plaisir de revenir à son École, cette fois pour lui imprimer un nouvel élan et lui esquisser de nouvelles perspectives. Dans l’esprit des pères fondateurs, elle s’emploiera, en lançant de multiples chantiers, à redonner jeunesse, modernité et efficience à cette institution qui en 2019 a célébré son 70e anniversaire.

Le bonheur ne dure jamais longtemps, sauf si…

Au cœur du quartier de Mutuelleville, la vieille ferme coloniale transformée en grande École a gardé son charme et son bonheur dont se réjouissent ses directeurs généraux successifs choisis notamment parmi d’anciens et de futurs ministres. Asma Sehiri Laabidi a ainsi succombé au charme de cette institution. Mais pas pour longtemps. Un coup de fil de Dar Dhiafa à Carthage où Elyès Fakhfakh concoctait son gouvernement est venu, fin janvier 2020, la tirer de cet écrin de bonheur. Dans le tumulte des pressions et propositions de toutes parts, le chef de gouvernement nominé cherchait des ministres indépendants, compétents et porteurs de projets. Une femme, pour s’approcher de la parité des genres, serait un grand plus. Fakhfakh avait repéré Mme Sehiri Laabidi lorsqu’il était ministre du Tourisme en 2012, puis des Finances, jusqu’à 2013 dans le gouvernement de la Troïka, et avait gardé d’elle un bon souvenir. Et c’est parti pour lui confier - comme elle le souhaitait -  le ministère de la Femme et de la Famille, ayant décliné celui de la Justice.

Cerise sur le gâteau, une autre mission des plus redoutables l’attendait. Fakhfakh cherchait un porte-parole de son gouvernement et la question a été soumise en Conseil des ministres, avec un vote à la clé. Asma Sehiri Laabidi, sans s’y porter candidate, l’emportera à l’unanimité.

Bref intermède de ministre de la Femme, agrémenté en tant qu’intérimaire durant l’été 2020, de la Jeunesse et des Sports, 7 mois durant. La fin de l’éphémère gouvernement Fakhfakh, le 2 septembre 2020, donnait certes droit aux sortants trois mois de congé, le temps de se frayer un nouveau chemin. Celui d’Asma sera la Mer. La majuscule s’impose.

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