News - 12.06.2021

La violence en Tunisie : que se passe-t-il à Sidi Hassine ?

La violence en Tunisie ou le cours irréversible : Urgence, péril en la demeure et responsabilité de l’Etat !! Que se passe-t-il à Sidi Hcine ?

Par Najet Brahmi Zouaoui

1- «L’actualité chasse l’actualité»(1) . Cette affirmation est d'autant plus vraie aujourd’hui que les nouvelles partagées ces derniers temps dénotent d’une croissance hors pair du phénomène de criminalité à telle enseigne que le tunisien est contraint de passer d’un épisode à un autre sans s’en rendre compte. La gravité des actes est devenue inquiétante au point de devenir une affaire d’opinion publique. Le tunisien y est sensible et a hâte à connaitre les suites à donner à ces dossiers.

2- Dans ses manifestations les plus récentes, la violence a ciblé la ville de Sidi Hassine devenue depuis deux jours dans le théâtre de deux crimes des plus atroces. Et sans anticiper les qualifications juridiques des crimes par le ministère public, on est déjà en mesure de parler d'un meurtre du jeune A. A et d'une torture de l’enfant F . Ce dernier crime  a été particulièrement attroce. Les faits sont loin de laisser insensible.

3- Survenu le 9 juin 2021, le massacre de F aurait été filmé par une passagère qui aurait partagé la vidéo sur les réseaux sociaux. Celle-ci montre un enfant entouré de trois hommes dont deux étaient en train de le torturer et l’autre en train de le déshabiller. Il s'agirait de commis de l’Etat travaillant sous la  tutelle du ministère de l’intérieur.

4- L’enquête est déclenchée et les versions se sont multipliées. Des interrogatoires devraient être menés pour définir le pourquoi et le comment du délit en vue de définir les responsabilités. Une première audition de l’enfant victime a eu lieu hier 11Juin 2021 par la police anticriminelle. Les coupables étaient provisoirement arrêtés dans l’attente d’une meilleure définition des responsabilités. Celles-ci semblent être d’emblée définies. En fait, la responsabilité des coupables serait lourde et aggravée car rien ne peut justifier les actes de torture et de violence tels que ci-haut rapportés.

5- Dans la conduite classique d’un procès pénal, il ya toujours constitution du dossier, interrogatoires et plaidoiries préparant tous un verdict prononcé par le tribunal qui doit justifier sa décision sur la base des éléments de fait et de droit appuyant le dossier.

6- Le plus souvent, les jugements font l’objet de voies de recours ordinaires et extraordinaires visant à une meilleure satisfaction de la partie qui interjette appel ou se pourvoit en cassation.

7- D’ici le jugement de l’affaire qui portera le nom de l’enfant victime F, il y a quelques observations qui dépassent la simple sphère du droit (I) pour une approche globale (II) de la violence en Tunisie. Nous soulignons au passage le péril qu’il ya en la demeure !

I- Une infraction à dénoncer

8- L’affaire F n’a pas à être prouvée. La vidéo partagée serait beaucoup plus que parlante. Elle interpelle le juriste à maints égards. Trois questions sont particulièrement à être abordées : L’âge de la victime, (A) le statut du coupable (B) et l’étendue de la responsabilité(C).

A) -L’âge de la victime

9- F serait, aux dires de sa mère(2)  âgée de 15 ans et huit mois. Il aurait subi des actes de violence de nature diverse dont notamment l’acte de déshabillement qui aurait le plus choqué.

10- Au bilan de l’infraction, un enfant agressé et dénudé au su et au vu des passagers. La cause n’existerait pas. Et même si elle existait, elle ne saurait en aucun justifier le crime. Les faits incriminés heurtent de front toutes les lois morale, religieuse et positive. Et pour le droit positif, nous soulignons tout d’abord une violation par les malfaiteurs de toutes les chartes internationales préservant les droits de l’homme en général et celles de l’enfant en particulier. Sur le plan national, Il y aurait par ailleurs violation du code de la  protection de l’enfant(3)  ainsi que du code pénal(4) qui retient tous une aggravation de la peine vu l’âge de la victime. Le caractère public de l’infraction accomplie en pleine rue et au vu et su des passagers n’en est pas moins sans constituer une circonstance aggravante de la peine. A lui seul, il pourrait constituer un élément matériel pour une autre infraction autre que la violence et le déshabillement.

B) Le statut des malfaiteurs

11- Les coupables seraient des commis de l’Etat appartenant au secteur de la police et en cours d’exécution de leur travail au moment de la commission des infractions. Ils pourraient certes arguer de moult motifs pour justifier les faits qui leur sont imputés tels une éventuelle désobéissance de l’enfant ou autres. Les versions, loin d’être officielles jusque-là, invitent à la réserve dans l’appréciation des faits. Cependant, et à bien vouloir s’en tenir à la version appuyée par la vidéo partagée sur les réseaux sociaux, on est en mesure de condamner non seulement les actes mais aussi et particulièrement leurs auteurs qui sont présumés rétablir de l’ordre dans la société et générer un désordre ôh combien malheureux. L’Etat tunisien, garant de la sécurité et l’intégrité physique des citoyens ne serait pas moins sans engager sa responsabilité.

C) Le domaine des responsabilités

12- Certes, les coupables sont les premiers à répondre de leurs infractions, il n’en est pas moins vrai que l’Etat tunisien est lui responsable. Au civil comme au pénal, le législateur tunisien a prévu la responsabilité de l’Etat pour les faits délictuels perpétrés par ses commis.

13- L’article 84 du code des obligations et des contrats tenant des dispositions relatives à la responsabilité délictuelle et extra-délictuelle prévoit la responsabilité de «l’Etat même comme il agit comme puissance publique, des communes et administrations publiques, pour les faits ou les fautes imputables à leurs représentants, agents et fonctionnaires dans l’exercice e leurs fonctions, sans préjudice de la responsabilité directe de ces derniers devant les parties lésées». L’Etat est donc tenu à une obligation de réparation des dommages subis par la partie lésée. Mais, au-delà de cette responsabilité, il semble bien établi que l’Etat tunisien devrait être responsable de ses choix et stratégies en matière de lutte contre la violence. Cette lutte, nous avons beau le dire(5) dépasse les seules mises en place et réformes des textes relatifs à la violence. Elle tient d’une stratégie de fond qui implique des spécialistes et experts toutes spécialités confondues dans le cadre d’une approche globale du fléau.

II-Pour une approche globale de la lutte contre la violence

14- Réformer un texte de loi, mener occasionnellement des compagnes officielles contre la violence toutes catégories confondues, sont les principaux moyens mis en place par l’Etat tunisien en vue de lutter contre la violence. Il s’agit de s’attaquer au mal une fois généré. Paradoxalement, et hormis peut-être les initiatives spéciales menées pour la lutte contre la violence faite aux femmes on souligne une malheureuse absence de stratégie de lutte contre la violence qui se veut un véritable fléau qui se propage de plus en plus dans notre société.

15- Une meilleure lutte contre ce fléau passe inéluctablement par de nouveaux choix et stratégies de l’Etat tunisien. Nous en proposons les principaux socles:

1- Revoir l’enseignement primaire de façon à changer et améliorer les matières dédiées aux élèves et faire de l’éducation civile une matière à plusieurs composantes dont la principale sera dédiée aux valeurs de la paix sociale et du respect de l’autre. La matière devrait aussi être dispensée en deux temps : Une séance théorique et une autre pratique. Dans celle –ci, il devrait toujours y avoir diffusion d’une vidéo, film ou autre dénonçant la violence avec commentaires aussi bien de l’instituteur que des élèves. Le volet pratique de la séance est incontournable. La séance pourrait, le cas échéant, être animée par un psychologue. Mais en l’absence de celui-ci, l’instituteur lui-même doit être en mesure de faire le psychologue. Et en vue d’une meilleure réalisation de sa mission, celui –ci devrait être au mieux encadré.

2- Revoir la formation des instituteurs de façon à intégrer des formations de base et continue sur la lutte contre la violence.

3- Revoir le régime d’accès au secteur de la sureté nationale de façon à prévoir et renforcer la formation de base et continue en matière de lutte contre la violence.

4- Mettre en place un système national de collecte et d’analyse des statistiques relatives à la violence faite aux femmes, aux enfants, personnes âgées et personnes à besoins spécifiques. Seules ces statistiques seraient en mesure de permettre une meilleure prévention et traitement du phénomène.

5- S’inspirer de l’expérience comparée des pays développés en matière de lutte contre la violence qui font de la formation aussi bien de base que continue des commis de l’Etat une composante fondamentale aussi bien des critères de leur recrutement que de leur promotion.

16- Il est enfin grand temps de passer à l’acte. L’histoire, si elle se répète selon les historiens, elle ne pardonne pas selon les porteurs de la robe noire !

Najet Brahmi Zouaoui
Professeure à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
Avocate près la Cour de Cassation.
Secrétaire générale de l’Alliance internationale des Femmes avocates/Genève.

1) Proverbe français. Le petit la rousse 1995.

2) La mère de l’enfant a répondu aux interviews des médias et relaté sa propre version de l’infraction rappelant au passage l’âge de son fils. La vidéo est partagée par les réseaux sociaux.

3) Loi n°95/92 du 9 novembre 1995 relative à la publication du code de la protection de l’enfant.

4) Articles 226 et suivants du code pénal tels que révisés par la loi n° 2017/58 du 11 Aout 2017 relative à la lutte contre la violence faite aux femmes.

5) Voir Brahmi Zouaoui (N), La lutte contre la violence faite aux femmes. La responsabilité de l’Etat tunisien face à ses engagements, Leaders News du 8 Mars 2021.
-Brahmi Zouaoui (N), La violence faite aux femmes, Femmes et réalités du 30 Mai 2021.




 

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3 Commentaires
Les Commentaires
jamila ben mustapha - 13-06-2021 04:18

L'auteur parle de " massacre" de F. Or, il ne s'agit pas de massacre ( qui suppose la mort au sens premier) , mais de torture, de sévices physiques exercés à son encontre. S'il y a un massacre, c'est bien celui de la langue française qui se manifeste tout au long du texte ( citons, à titre d'exemple :" racler" et " prisme" utilisés dans un sens erroné); et cela est d'autant plus scandaleux lorsqu'on voit tous les titres développés à la fin de l'article. Avec cette absence d'exigence au niveau de l'expression par ceux qui sont censés être des modèles, où allons-nous?

Mamoun Ben Cheikh - 13-06-2021 10:29

Félicitations Madame pour votre article. Mais je suis choqué qu'une imminente spécialiste en droit, parle d'une affaire qui est entre les mains des magistrats et que le verdict n'est pas encore prononcé, désigne des coupables. Je suis choqué que vous parliez de violence, dans un pays où elle est devenue le moyen de communication le plus commun. Madame, ce qui est arrivé est inadmissible sur tous les plans, il y a atteinte à toutes les valeurs morales, juridiques, éthiques, religieuses et tout ce qu'on peut imaginer. Mais je pense madame qu'en tant que spécialiste ce qui compte le plus c'est d'analyser pourquoi des agents de l'ordre en sont arrivés à faire des choses aussi répréhensibles. Madame, notre pays passe par des moments extrêmement difficiles, où toutes les valeurs humaines sont bouleversées, n'a-t-on pas vu des gens voler une dame victime d'un accident de la voie publique, qui agonisait, au lieu de lui porter secours. Je ne justifie pas la violence de ces agents, mais je dis que chacun doit avoir un rôle, les journalistes rapportent les événements et les spécialistes analysent sans porter des jugements.

Anouar JARRAYA pédopsychiatre - 13-06-2021 14:11

1-Que reprochent les agents pour l'avoir agressé? A son âge,ils ont avant tout un devoir d'assistance psycho-sociale et éducative, même en admettant, qu'il leur aurait par "ivre" ce qui reste à vérifier; et en admettant qu'il l'ait été, il relèverait de soins à un adolescent-il fut un temps où j'étais saisis du cas d'un collégien venu semer le trouble au collège après avoir bu la bière paternelle:je l'ai pris en charge avec mon conseiller d'écoute en aidant psychologiquement la famille ;On était face au cas d'un "enfant-symptôme" comme nous disons professionnellement En un mot les agents ont manqué à leur devoir en ignorant l'âge de l'enfant et méconnaissant leur devoir en le traitant comme "un adulte délinquant" Ils ont besoin d'un sérieux recyclage

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