News - 11.04.2021

Israël, le 51e Etat?

Israël, le 51e Etat?

Par Habib Touhami - Israël est présenté dans le monde arabe comme étant le 51e Etat des Etats-Unis d’Amérique. Le raccourci est frappant sur le plan politique et médiatique, mais ce n’est au fond qu’un raccourci qui sert utilement à disculper les gouvernements arabes de leurs défaites humiliantes répétées face à Israël. Pour l’opinion publique arabe, Tsahal ne saurait vaincre les armées arabes à elle seule sans la participation directe des forces armées des Etats-Unis. Cette thèse fait l’affaire des gouvernements arabes de la région, plus soucieux de se maintenir au pouvoir que de se préparer sérieusement à affronter Israël. Il est en effet plus commode d’insister sur la responsabilité directe des Etats-Unis dans les défaites arabes que de reconnaître ses propres erreurs dans la préparation et la conduite de la guerre.

A l’évidence, Israël n’est ni le Minnesota, ni le Maine, ni le Texas, ni la Californie. Il n’est même pas Porto Rico, un territoire présenté comme le futur probable 51e Etat. Il n’est pas non plus le Royaume-Uni traité, lui aussi, de 51e Etat, en raison de son alignement systématique sur les positions américaines, bien que le caustique Winston Churchill, à demi-américain par sa mère, ait dit un jour qu’Américains et Britanniques sont deux peuples « divisés » par la même langue. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis d’Amérique assurent de fait la sécurité extérieure de pays comme le Japon ou la Corée du Sud sans que ces pays soient assimilés à un 51e Etat. Pourquoi donc Israël ? La réponse tient à la nature même des relations entre Israël et les Etats-Unis d’Amérique.

Ces relations sont évidemment plus complexes qu’il n’y paraît à première vue. Plus empreintes de sympathie ou de compassion que de soutien actif en 1948, date de proclamation de l’Etat d’Israël, elles sont passées graduellement de l’affinité à l’assistance, de l’assistance à la convergence d’intérêts, de la convergence d’intérêts à l‘alliance stratégique et de l’alliance stratégique à la subordination, ce qui n’exclut pas l’insubordination complice. Au fil du temps, les relations entre officiels américains et israéliens sont devenues si confiantes, si personnelles et si intimes, dans les services de sécurité notamment, qu’il est devenu aisé à Israël d’orienter la politique américaine (ou de l’intoxiquer) à son seul intérêt. Nul Etat des Etats-Unis d’Amérique ne peut se targuer d’avoir une telle influence.

Néanmoins, c’est bien l’Urss de Staline qui avait apporté à Israël le soutien politique et militaire le plus consistant en 1948: livraisons d’armes tchécoslovaques, encouragement de l’immigration des Juifs de l’est européen, etc. C’est au point où le ministre israélien adressa à son homologue soviétique un télégramme chaleureux pour lui exprimer «l’immense gratitude du peuple juif de Palestine et des Juifs à travers le monde à votre égard pour la position ferme de la délégation de l’Urss à l’ONU sur la question de la création en Palestine d’un État juif indépendant et souverain et pour la défense de cette position en dépit de toutes les difficultés».

Certes, les USA se sont empressés de reconnaître l’Etat d’Israël onze minutes seulement après sa proclamation, mais en ce temps, la reconnaissance d’Israël par les Etats-Unis avait été décidée personnellement par le Président Harry Truman pour des raisons de politique intérieure et aussi pour répondre à une logique de surenchère entre l’Urss et les USA. L’enthousiasme présidentiel n’était pas partagé par le département d’Etat (ministère des Affaires étrangères) qui craignait que cette reconnaissance puisse nuire aux bonnes relations qui existaient entre l’Amérique et les Etats arabes du Proche-Orient, l’Arabie Saoudite en tête. Le secrétaire d’Etat, le général John Marshall, et son staff étaient sur cette position, ce qui lui a valu d’être traité d’antisémite par la propagande sioniste.

C’est à partir du refus des Etats-Unis de financer la construction du barrage d’Assouan, de la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, décidée en réponse à ce refus, et de la lamentable équipée militaire tripartite contre l’Egypte (France, Royaume-Uni et Israël) que la donne géopolitique a commencé à changer au Proche-Orient. Le paradoxe est que le refus des Etats-Unis de cautionner les menées néocolonialistes de la France et du Royaume-Uni ait fini par rapprocher Israël des Etats-Unis. L’intervention de l’Urss dans l’affaire de Suez n’est évidemment pas étrangère à ce rapprochement tout autant que le discours politique de Nasser divisant les régimes arabes entre révolutionnaires et réactionnaires selon la nature des relations qu’ils entretiennent avec les Etats-Unis.

L’année 1958 constitue, selon la majorité des historiens, une année charnière quant à l’évolution des relations entre l’Amérique et Israël. Pour les Etats-Unis, le communisme ne constitue plus à cette date l’unique obstacle à ses intérêts dans la région. A cette menace est venue s’ajouter celle du nationalisme panarabe personnifié par Jamal Abdennasser et ses attaques violentes contre la politique américaine au Proche-Orient. Il fallait donc aux Etats- Unis trouver dans la région un allié fidèle, fiable et « opérationnel » pour contrer l’influence grandissante de celui-ci. Ce fut tout naturellement Israël. Les années qui suivirent n’ont fait que consolider cette alliance, certains événements aussi tels la perte de l’Iran et plus tard le 11-Septembre qui révéla aux Etats-Unis le foyer principal du terrorisme qui le menace.

Ces considérations n’enlèvent rien à l’importance grandissante que joue actuellement le sionisme chrétien dans la politique américaine au Proche-Orient. Désormais, Israël et le sionisme juif ont un allié de poids dans la place dont l’influence dépasse celle du lobby juif américain. Des deux sionismes, juif et chrétien, le sionisme chrétien aux Etats-Unis (ou christianisme évangélique) s’avère être en fin de compte le plus agressif et le plus haineux. Puisant son idéologie dans la Bible elle-même, le sionisme chrétien soutient que «la création de l’État d’Israël en 1948 est en accord avec les prophéties bibliques et prépare le retour de Jésus comme Christ en gloire de l’Apocalypse ». Tout est dit. Dès lors, il ne faut pas s’étonner  de voir le sionisme chrétien pousser le gouvernement israélien à l’intransigeance et aller jusqu’à financer de ses propres deniers plus d’implantation juive sur les terres palestiniennes.

Quoi qu’on en dise et en dépit de l’état actuel des rapports de force, très favorables à Israël, l’Histoire au Proche-Orient reste en marche. Israël est situé géographiquement au Proche- Orient, mais culturellement, politiquement et stratégiquement en Europe ou aux Etats-Unis d’Amérique. Est-ce viable à long terme ? Nul ne le sait. Dans son balancement continuel entre naïveté et cynisme, la politique américaine a pris parfois des décisions irrationnelles, contraires à ses propres intérêts. Que serait la région aujourd’hui si les Etats-Unis n’avaient pas refusé à Nasser de financer la construction du barrage d’Assouan, alors que le projet ne présentait aucun danger direct pour la sécurité d’Israël ? Nul ne le sait non plus.

Habib Touhami
 

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