News - 17.06.2020

Philippe Abastado - Covid- 19 : Vive la trivialité

Philippe Abastado  - Brève 9 : Vive la trivialité

Par Philippe Abastado. CRPMS - Une infection pulmonaire bactérienne en 1920, pas encore d’antibiotique, la mort est au rendez-vous. L’histoire nous apprend que la mortalité de la fameuse grippe espagnole de 1917-1920 est attribuée aux surinfections et non au virus et qu’il n’a pas été nécessaire d’étude statistique pour démontrer l’efficacité de la pénicilline ou des sulfamides.

En 2020 survient une nouvelle épidémie virale. Les médecins semblent désemparés. Un traitement spécifique antiviral serait la seule solution pour répondre à la violence de l’attaque et réduire la gravité de la maladie. Nous nous revendiquons comme loin des balbutiements de la médecine. Les médicaments ne sont étiquetés efficaces qu’après des études interventionnelles c’est-à-dire prospectives, en aveugle, contre placebo. Soit ! Les surinfections si graves un siècle plus tôt n’intéressent plus personne, elles sont supposées contrôlées par les antibiotiques.

Première trivialité : inutile de noyer le poisson.

Nos essais prospectifs réclament, en un temps d’inclusion bref, 3200 patients pour l’européen Discovery, 3500 patients pour Solidarity de l’OMS et 11000 pour l’anglais Recovery. Les thérapeutiques proposés aux tests sont déjà prescrites dans d’autres indications, leur efficacité dans la lutte contre le SRAS Covid n’est qu’une intuition voire une illusion. L’efficacité attendue est faible, nous sommes dans le « mieux que rien ». Cela se traduit dans le monde des études par l’existence d’un groupe témoin.

Des effectifs requis aussi importants se comprennent lorsque deux thérapeutiques efficaces sont comparées, seuls les grands nombres permettent de départager la meilleure des deux. Mais dans des maladies graves, si un traitement se révèle efficace dans un groupe de patients comparé aux autres groupes, les coordinateurs du travail interrompent vite les options défavorables et retenir une conclusion favorable ne nécessite que peu de patients. Les effectifs de ces études internationales témoignent que leurs organisateurs s’attendent à une efficacité thérapeutique proche des bienfaits d’un heureux hasard.

La même remarque s’impose pour l’énorme étude observationnelle parue dans le Lancet. Ce travail mérite bien des critiques. Certaines sont méthodologiques, d’autres politiques mais il est une conclusion qui me semble méconnue bien qu’incontestable : 180 000 dossiers de patients inclus entre malades et témoins démontrent que la question posée ne peut avoir de résultat signifiant quelle que soit la significativité statistique. Cette conclusion ne signifie pas que la question est idiote, simplement qu’elle n’a pas de réponse.

La littérature médicale repose sur des groupes d’humains d’autant plus désincarnés que les effectifs sont importants. Elle est utile pour dicter des conduites à tenir aux médecins mais au chevet du patient, son à propos se réduit. L’individu fait de chair et de sang n’est pas le dossier des essais cliniques. Pour compliquer la tâche, il a même aujourd’hui des convictions en matière médicale. Le médecin doit s’adapter au sexe, poids mais aussi pathologies associées et aux conditions épidémiologiques comme matérielles dans lesquelles il évolue.

Entre ces trois études, les mortalités des groupes contrôles oscillent entre 10 et 22%, du simple au double. Un esprit chagrin pourrait penser que la maladie change d’une étude à une autre. Le praticien ne se pose pas la question de choisir sa référence, il est confronté1 à un réel fait de l’heureuse hétérogénéité de l’humain et rencontre des contraintes qui le font sortir du cadre des études.

Ma seconde trivialité est une comédie que l’on pourrait intituler « bis repetita placent » ou répétons les mêmes erreurs.

Hier, au décours de la grippe, les malades mourraient de surinfections pulmonaires. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ? L’épidémie n’est pas encore terminée qu’un antibiotique à tropisme pulmonaire est renvoyé aux vestiaires. Le 9 juin, la lettre aux professionnels de Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, fait référence à un avis élaboré le 18 mai 2020 par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) restreignant la prescription d'antibiothérapie pour les patients atteints de  Covid- 19. En résumé, le HCSP recommande de ne pas prescrire d'antibiotique chez ces malades en dehors de la présence d’un autre foyer infectieux documenté. En pratique, c'est l’azithromycine qui est visée.  La DGS (Direction générale de la santé) stipule que ces recommandations reposent sur les données de la littérature scientifique disponibles qui permettent de renseigner la pertinence d'une antibiothérapie chez les patients Covid-19. 

Cette direction ne tire pas des leçons des errances des essais cliniques pour le Covid. Elle reste incapable d’envisager les limites que représente la littérature. Alors que les malades furent sauvés par le savoir-faire des cliniciens et réanimateurs, que ces praticiens soignèrent avec leur expérience pour guide, le bien-soigner promulgué par le HSCP ne légitime ses règles en matière de Covid que sur cette littérature qui ne produit pourtant aucune conclusion.

Les enseignements issus des épidémies passées sont rejetés, l’humain aurait-il changé ? Le plus symptomatique est l’incapacité de l’administration de se taire. A un enfant, on dirait : «tu ne sais pas, tais-toi !». L’infantilisation est un ressort du pouvoir en France. Pour le public, les masques furent interdits, les promenades surveillées, les commerces fermés, outrepasser ces autorisations méritaient sanctions. Pour les médecins, les recommandations ont une valeur légale… la pénalité va venir. Soigner est une école du doute, administrer est une école de l’autorité.

Alors?

L’APHP, comme le gouvernement, ne remercie pas l’industriel du médicament, ils lui demandent de libérer de la place. Le produit offert pas son fabriquant doit être dégagé. Curieux et inquiétant à court terme. L’antibiotique en question, l’Azithromycine, n’a pas démérité et est même pourvu d’un effet anti inflammatoire pulmonaire(1). Le pouvoir administratif dicte le soin. Curieux et inquiétant à long terme. Le même pouvoir administratif méprise le concept de stock stratégique souhaité par le politique alors que le confinement n’est pas encore levé. En mars, début officiel d’une épidémie atteignant les voies respiratoires, les masques- protection des voies aériennes- étaient refusés ; en juin, les palettes pleines de l’antibiotique à tropisme ORL et pulmonaire sont remballées.

Troisième trivialité, le phénomène Bo Derek. Qui se souvient de cette actrice américaine qui eut son heure de gloire en 1979 avec un film Elle. Elle a eu son moment bref et intense. Le Covid 19 est j’espère vouer à la même destinée. En juin, la presse comme le Point et le Nouvel Observateurs ne s’intéressent qu’aux conséquences économiques et sociétales de l’épidémie. Les malades se font rares. Les études ne peuvent plus recruter. Il n’est plus possible de poursuivre Discovery, Solidarity ou Recovery. Ce n’est pas grave, c’est heureux !

Philippe Abastado
CRPMS

(1) L.Nicod. Azithromycine inhibits IL-1 secretion and noncanonical inflammasome activation; Nature 2015)




 

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