News - 15.06.2020

Chadli Klibi : Homme de la culture et de la diplomatie

Chadli Klibi : Homme de la culture et de  la Diplomatie

Par Salah Bourjini. Ancien Représentant / Résident et coordonnateur des Nations unies

1. L'Homme de la culture et du développement

Encore une fois, la Tunisie perd un grand homme politique parmi les bâtisseurs de notre patrie. Si Chadli Klibi a joué un rôle prédominant à côté du leader Habib Bourguiba, dans la promotion de la culture et des Arts, en plus de la formation de la première génération de journalistes à la radio et à la télévision nationales. Tous ces jeunes qui affluent de nos jours, pour assister aux journées cinématographiques de Carthage, aux soirées musicales et théâtrales ignorent la contribution de ce brillant homme de lettres, à l’épanouissement de toutes ces activités culturelles. Tout cela a permis à une nouvelle génération de jeunes de se former dans les écoles d’art, de peinture et de musique créées à l’initiative de Si Chadli. Certaines et certains sont aujourd’hui de célèbres artistes sur le plan arabe et international.

J’ai connu Si Chadli vers la fin des années 70, à l’occasion de la réunion du Sommet Arabe tenu à Tunis en 1979, qui l’avait désigné comme Secrétaire Général de la Ligue Des Etas Arabes. Quelques années plus tard, j’ai eu le plaisir de le rencontrer à New York venu pour suivre les travaux de l'Assemblée Générale de l’ONU. Je suivais moi-même ces travaux en tant que chef de la division des projets régionaux du Programme des Nations unies pour le Développement  des pays arabes (PNUD, New York).

Au cours d’une de nos rencontres, il m’avait fait part de son intention de solliciter une assistance du PNUD en vue de restructurer les services  de son Secrétariat général  dirigé par si Mongi Fkih, ainsi que le centre de documentation de la Ligue.

Pour moi, il était clair que Si Chadli considérait la question de restructuration de l’administration de la ligue arabe, parmi ses plus hautes priorités, pour bien mener sa mission de secrétaire général. En effet, il a hérité d’un lourd fardeau d’une organisation périclitée et dépassée par le temps, en plus des problèmes complexes entre ses membres. La discorde entre les pays arabes s’était intensifiée après le transfert à Tunis du siège de cette organisation. À titre d’exemple, deux pays de même idiologie (baathiste) étaient continuellement en conflit, paralysant souvent les travaux de la ligue. Le problème du Sahara occidental entre l’Algérie et le Maroc pesait lourd, non seulement sur les relations maghrébines, mais également arabes et africaines. Ajouter à cela les fugues du président Libyen Ghadafi et ses rhétoriques « révolutionnaires » ne cessaient pas d’envenimer les débats à chaque réunion annuelle des chefs d’État arabes. En plus de ces problèmes, Si Chadli se battait pour maintenir l’équilibre de l’organisation et éviter plus de difficultés.

En effet, l’un des problèmes qui l’a toujours préoccupé était celui de s’assurer les moyens financiers pour payer régulièrement les salaires des fonctionnaires.  Certains pays ne pouvaient pas payer régulièrement leur contribution à la ligue, comme la Somalie, Djibouti, le Yémen, la Mauritanie, alors que  d’autres pays ne payaient qu’avec beaucoup de retard et après plusieurs interventions auprès de leurs ambassades. En dépit de tout cela, Si Chadli s’était attaché à déployer d’énormes efforts, pour le renforcement de la coopération interarabe, régionale et avec les organisations internationales. Il a su s’entourer de certains collaborateurs compétents et fidèles au sein de l’administration centrale à Tunis et à l’étranger. Ainsi, il a nommé entre autres Clovis Maksoud, un diplomate chevronné comme ambassadeur de la ligue arabe auprès des Nations Unies, un autre brillant intellectuel, Hamadi Essid ambassadeur à Paris, et Ahmed Herguem ambassadeur auprès des Nations Unies à Genève.

Durant la période où il était à la tête de la ligue, Si Chadli s’était penché particulièrement sur les problèmes sociaux et économiques de la région. Ainsi, il a proposé la création d’une multitude de projets en vue de consolider les relations économiques entre les pays arabes. Il avait poussé à mettre en application des vieilles résolutions, entre autres, la création d’un marché commun à l’image de celui de la CEE. Il avait appelé à mettre à jour les accords de défense entre les pays arabes et aussi de prendre des mesures concrètes d’ordre politique et économique pour défendre la cause palestinienne. Il n’a cessé de voyager à travers le monde pour rallier les pays étrangers à la cause palestinienne. Il a assisté à de nombreuses réunions de l’ONU, des pays non alignés, du groupe des 77, en plus d’autres réunions régionales en Afrique, en Asie et en Europe.

Si Chadli a toujours rempli ses missions avec ferveur et diplomatie, tout en restant toujours à l’écoute de ses collaborateurs et ses interlocuteurs, jusqu’à l’évènement de la crise entre l’Irak et le Koweït.  La réunion du sommet extraordinaire de la ligue arabe au Caire en août 1990, présidée par Moubarek, le président Égyptien, avait entériné les recommandations des USA à recourir à l’aide militaire étrangère contre l’Irak. Cette décision avait mis fin à toute autre solution possible de négociations entre l’Irak et le Koweït. Si Chadli, ne pouvant pas changer cette décision, alors il a présenté sa démission en septembre 1990. La première guerre du Golf a débuté le 16 janvier 1991, causant des effets quasi-apocalyptiques sur la population et les infrastructures de l’Irak.

2. Le  diplomate au service de l'innovation

Revenons aux efforts exceptionnels investis par Si Chadli durant son mandat de secrétaire général de la ligue arabe, surtout ceux relatifs aux réformes visant la mise à niveau de l’administration de la ligue, à l’image des organisations des Nations Unies. À cet effet, la ligue Arabe a présenté une requête au PNUD, pour bénéficier d’une assistance, dont l’objectif était d’améliorer les services du secrétariat général et d’introduire de nouvelles techniques d’information et de communication dans les activités du centre de documentation.

Cette requête a atterri dans ma division, aussitôt, j’ai informé si Mongi Kekih que je mettais à la disposition de la ligue les fonds nécessaires pour la préparation d’une étude devant définir les objectifs, les résultats et les bénéficiaires de cette assistance. Deux agences spécialisées de l’ONU, à savoir l’UNESCO et l’UNTCD (département de coopération des Nations Unies), ont été chargées de soumettre à ma division deux projets de documents sur la base des recommandations de l’étude. Trois mois plus tard, deux projets ont été soumis à ma division pour accord et autorisation du financement. Ces deux projets ont été envoyés au service technique d’évaluation du PNUD, lequel a refuse de  donner  son accord .et  à ma surprise j’ai été invité à les présenter moi-même devant une commission formée de hauts fonctionnaires de l’organisation. C’est la première fois qu’une telle procédure était ainsi suivie. En consultant certains de mes collègues des autres divisions, j’ai appris qu’il y a une opposition de la part de quelques hauts responsables à accorder une assistance à la ligue arabe. Les ressources du PNUD doivent être utilisées seulement au profit des pays en voie de développement.

Le jour de la réunion de la commission, j’avais dû fare face un déluge de questions et de rappels du règlement, dont le plus important était que le mandat du PNUD  ne permettait pas le financement d’organisations politiques. De plus, quelques membres de la commission, insistaient sur le fait que les pays arabes sont parmi les plus riches dans le monde et ils peuvent financer les activités de leur organisation. À toutes ces critiques, auxquelles je m'attendais, j’ai avancé des justificatifs en me référant à de multiples résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies. J’ai indiqué que les objectifs des deux projets portaient sur une assistance purement technique et non politique dans le domaine de la formation de cadres et l’introduction de certaines technologies d’information et de communication. Ces deux projets vont être bénéfiques surtout aux pays arabes les plus démunis, à savoir le Yémen, Djibouti, la Mauritanie, le Soudan et la Somalie. De plus, plusieurs résolutions des Nations Unies recommandent l’assistance aux pays du groupe des 77 et des non- alignés dans ces domaines.

Mes collègues des divisions Afrique, Asie et Amérique latine ont tous appuyé mes arguments et ainsi une majorité du vote s’est dégagée en faveur du financement des deux projets au profit de la Ligue Arabe. Suite à cette réunion, le chef  du cabinet de Mr. W. Draper administrateur, au vu des résultats du vote  m’a suggéré de demander à mon gouvernement d’inviter ce dernier, à effectuer une visite officielle en Tunisie. A cette occasion, il pourrait signer également un accord de coopération avec le secrétaire général de la ligue arabe. J’ai sauté sur l’idée, d’autant plus que Mr. W.Draper venait d’être nommé à ce poste sur proposition de son ami Le Président Georges Bush.

Le lendemain, j’ai téléphoné à Si Ahmed Ben Arfa directeur général de la coopération au Ministère tunisien des Affaires Etrangères, pour lui faire part de cette suggestion. Si Ahmed s’est félicité de l’idée et m’a rassuré qu’il ferait le nécessaire. Effectivement, quelques jours après  Mr. Draper a reçu une invitation officielle à visiter la Tunisie. C’est ainsi, que lors de cette visite, un accord de coopération a été signé entre le PNUD et la Ligue Arabe, c’était au siège de la Ligue en présence de la presse nationale et internationale. Suite à cette cérémonie, Si Chadli, avait rappelé à M. Draper, l’heure  du déjeuner qu’il donnait en son honneur et auquel j’étais invité. Le déjeuner  qui était  limité à trois personnes s’est passé dans une atmosphère des plus agréables dans un restaurant de Sidi Bou Said. ce fut pour Si Chadli l'occasion de donner un brillant aperçu historique de la Tunisie. Il a parlé entre autre du prestige des deux chefs militaires Hannibal et Jugurtha. Si Chadli a ajouté que la Tunisie a donné naissance à de grands penseurs, comme Saint Augustin et Ibn Khaldoun et des réformateurs comme Tahar Haddad. Il s’est référé au rôle important joué par d’illustres patriotes, comme Habib Bourguiba et Farhat Hached, dans l’indépendance de la Tunisie, ainsi que de beaucoup d’autres patriotes qui ont sacrifié leur vie pour que la Tunisie soit indépendante et souveraine.

Il a insisté sur le fait  que  la Tunisie, tout au long de son histoire était connue par ses valeurs de tolérance, permettant la cohabitation de toutes les religions. Il a rappelé aussi, que la Tunisie a été parmi les premiers pays à reconnaitre l’indépendance de l’Amérique.
De retour à New York, M. Draper a réuni les hauts fonctionnaires de l’organisation. Il avait commencé son intervention, en rendant un grand hommage au secrétaire général de la Ligue Arabe, avec lequel il avait signé deux importants projets de coopération. Il a dit qu’il avait  été impressionné par la qualité de leadership de SI Chadli Klibi et  il l’a qualifié d’un homme de grande vision, pragmatique et un brillant universitaire. Il avait parlé de ses visites aux projets financés par le PNUD, au profit de la Tunisie. Très satisfait par les résultats réalisés grâce au dynamisme et compétence des cadres Tunisiens.

Par ailleurs, la première visite de l’administrateur du PNUD a été considérée par tous les hauts fonctionnaires de l’organisation, comme un succès, que ce soit en ce qui concerne le renforcement des relations avec la Ligue Arabe ou la coopération avec la Tunisie. Il faut reconnaitre que Si Chadli a eu le mérite de jouer le rôle de catalyseur dans le succès de cette visite.

Au cours des années  suivantes, plusieurs autres projets de coopération ont été signés entre le PNUD et les autres organisations arabes, dans les secteurs de l’éducation, de l’agriculture, de la gouvernance, le droit de la femme….

Si Chadli Klibi a pu mener au cours de sa carrière des réformes d'importance tant dans le domaine de la Culture en Tunisie qu’à la tête de la Ligue des Etats Arabes qui avait besoin d'une mise a niveau dans le domaine de l administration  et des nouvelles technologies  de la communication.

Salah Bourjini
Ancien Représentant / Résident et coordonnateur des Nations unies
 

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