News - 27.03.2020

Que faire après la 1ère vague de coronavirus en Tunisie?

Que faire après la 1èrevague de coronavirus en Tunisie?

Anatole Kaletsky1 disait à propos de l’épidémie du Covid-19 : "il est assez tard pour éviter le désastre sanitaire, mais on peut encore éviter un désastre économique". Nous disons: "on peut réduire substantiellement l’impact sanitaire du Covid-19 sans pour autant aller au désastre économique et social dont les conséquences sont encore plus graves pour le pays et pour la santé de la population".

Les évidences des épidémiologistes

1. Contrairement à de nombreux virus respiratoires, le covid-19 se caractérise par une contagiosité élevée ; une transmission d’homme à homme par contact humain et par aérosol avant même l’apparition des symptômes, ainsi que par l’absence probable de l’effet saisonnier. Face à ce virus et en absence de vaccin et d’antiviraux efficaces, l’arsenal de la riposte se base sur des mesures préventives et de traitements symptomatiques. Selon les estimations des experts, en l’absence de toutes mesures de prévention (ce qui n’est heureusement pas le cas en Tunisie) et s’il garde la même contagiosité et la même sévérité, le Covid-19 toucherait à terme 60 à 70% d’une population; soit plus de 6 millions de citoyens en Tunisie.

2. Nul ne peut prédire de manière exacte quand le pic de l’épidémie de Covid-19 sera atteint en Tunisie, ni combien de victimes elle va faire. Son impact dépendra de la qualité d'application des mesures de prévention dont notamment la détection des cas, le confinement et le niveau d’adhésion de la population aux mesures basiques de prévention individuelle et collective. A ce propos, le modèle de la Corée du Sud qui ne prévoit pas de confinement de la population, sera difficile à reproduire en tant que tel en Tunisie vu les limites du réseau de dépistage massif dans notre pays (environ 10.000 par jours en Corée du Sud), le manque en technologie (vidéosurveillance, carte bancaire, bornage des Smartphones, SMS, etc.) ; et vu la faible implication de la population en matière de respect des consignes.

3. La vague actuelle n'est qu’une étape de la pandémie. Elle sera suivie, en absence de vaccin, par d'autres vagues (risque de rebond) vu que le nombre des non malades restera toujours élevé après cette première vague.

4. Les capacités du système de santé sont assez limitées pour parvenir à répondre aux attentes et aux besoins des personnes malades ou des contacts durant des mois et des mois en attendant l'immunisation, grégaire ou vaccinale, de 60 à 70% de l'humanité.

Les conséquences économiques et sociales de la pandémie

1. Les conséquences économiques de la pandémie seront désastreuses avec d’énormes risques de récession. A ce propos et outre les pertes en vies humaines qui constituent également des pertes économiques, et concernant particulièrement le confinement, il est important de noter que même si la Tunisie semble avoir la capacité financière de reproduire le modèle de riposte adopté par la Chine et les pays occidentaux pour faire face à la 1ère vague de l’épidémie !!, elle n'aura ni les moyens de ces pays, ni la discipline de leur population ou l'endurance de leur entreprise, pour prolonger plus de 3 semaines ou un mois de telles mesures draconiennes.

A titre d’illustration, les estimations diffusées sur le coût de la compensation de revenus en Chine seraient de l’ordre de 10% du PIB; et atteindrait, pour de nombreux pays européens, 25% du PIB. Par ailleurs, les mesures prises par le gouvernement sont plus des mesures de survie que pouvant  relancer et stimuler l’activité économique et sociale. Dans le monde, les estimations de l’impact sur la croissance économique pourraient aller jusqu’a  -8% du PIB en France, en Italie, en Australie, au Japon, au Brésil et en Russie.

2. A court et moyen terme, le confinement général engendrerait une épidémie de panique qui pourrait aggraver l’épidémie de covid-19 et face à laquelle les cinq conseils de l’OMS pour maintenir une bonne santé physique et mentale pendant le confinement seront de peu d’utilité2.En effet, les conséquences du confinement sur la santé mentale sont établies. Il est anxiogène et source de stress psychologique (modéré chez 35% voire sévère chez 5,14%)3. Si sa durée dépasse plus de 10 jours, il constitue également un risque potentiel de syndrome post-traumatique, de confusion et de troubles mentaux durables4. Avec la progression de l’épidémie, ce mélange de conséquences pourrait devenir socialement et politiquement explosif.

3. Dans les situations où la mise en quarantaine est jugée nécessaire, le respect des décisions prises est favorisé par l’information claire sur les preuves de son efficacité, les modalités de son application et sur la manière d’assurer les fournitures essentielles pour la population. Ce qui n’est le cas dans notre pays et explique en partie certains des dérapages relevés. 

4. Les conséquences pour le pays seront désastreuses sur tous les tableaux : santé, social, économie, sécuritaire, agricole, etc. ; Elles le seront d’autant plus que les capacités de résilience aussi bien du secteur publique que celles de l’entreprise tunisienne sont déjà sérieusement entamées par la longue période d’instabilité politique.
Devant de telles évidences, il est important de se questionner sur les mesures à entreprendre pour trouver la bonne équation en matière de gestion, aux moindres préjudices, aussi bien les risques sanitaires biologiques et mentaux que les risques socio-économiques. L’adoption d’une vision claire et partagée sur le contenu de la riposte face à la durabilité du risque de la contagiosité, estimée à plusieurs mois avec un potentiel de rebonds sur une période beaucoup plus longue, et de ses conséquences déplorables permettrait de mieux cerner les mesures à entreprendre.

Une stratégie adaptée à notre situation et à nos moyens était et reste encore possible

Notre appréciation est très positive des efforts consentis par le Ministère de la Santé et l’équipe en charge de la gestion de la crise. Leur  approche proactive a contribué à retarder la progression du virus jusqu’à maintenant en tirant rapidement les leçons de l’expérience des autres pays. Nous apportons ci-après une modeste contribution sur la préparation et le contenu de la riposte après le 4 avril. Cette réflexion stratégique vise à soutenir le comité technique dans son effort d’arrêter les décisions optimales sur la vision et les mesures à entreprendre après cette phase de début de l’épidémie et afin de mieux  contenir le(s) rebond(s) prévisibles.

Le but de la stratégie est de ralentir la progression de l’épidémie et de mitiger à terme son impact sur la santé de la population sans oublier à limiter son impact négatif sur les déterminants de la santé.

Les principaux axes de déploiement de cette stratégie sont:

Au niveau du ministère de la santé

1. Continuer à accorder la priorité absolue au dépistage actif des personnes infectées que ce soit avec l’aide du test ou syndromique pour organiser une prise en charge adéquate des cas et assurer l’application ferme de l’isolement des cas confirmés et des contacts. Ce faisant nous limiterons le potentiel de progression rapide de l’épidémie et nous continueront à gagner du temps pour à la fois assurer des soins appropriés mais aussi pour augmenter l’adhésion de la population aux mesures préventives recommandées

2. Monter en puissance dans l’activation du bouclier le plus solide et durable qui soit, celui du respect des mesures basiques de prévention individuelle et collectives (surtout lavage fréquent des mains et distanciation sociale);

3. Accélérer les préparatifs pour relever les défis de la prise en charge des cas avec l’adaptation et la prise en considération des dimensions psychologiques en mentales en relation avec la pandémie. Dans ce cadre, à côté des mesures de renforcement des capacités humaines et matérielles, il est capital de:

a. Multiplier les plans blancs de simulation dans les grands centres hospitaliers pour pallier aux insuffisances d'organisation  les plus flagrantes et aussi pour entraîner les équipes.
b. Renforcer la protection des professionnels et leur accompagnement à travers des stratégies spécifiques pour entretenir leur engagement et maintenir leur niveau de performance;
c. Ne pas trop différer les réponses aux autres besoins de santé afin de limiter les complications secondaires, les handicaps et la surmortalité imputables à la non disponibilité adéquate des services.

4. Activer la stratégie de protection des groupes de population les plus vulnérables aux complications du Covid-19 en mobilisant la société et la famille pour tout faire afin de leur assurer la plus grande protection possible contre le risque d'être infectés sans pour autant aggraver leur situation par un isolement affectif et logistiques aussi graves pour leur état de santé. Les stratégies sont pour la plupart simples et connues. Elles reposent sur une distanciation sociale stricte et vigilante mais aussi sur un appui logistique afin que ces personnes puissent surmonter l’aggravation faite à leur dépendance. Chaque famille, chaque village, chaque quartier, chaque Centre de Santé de Base ou médecin généraliste et autres services sociaux de proximité peuvent y contribuer. Des cellules de guidance et de conseils, formés de spécialistes et de décideurs, peuvent être mises en place à l’échelle régionale pour orienter et éclairer l’ensemble des intervenants sur terrain sur la nature et les moyens d’accès aux solutions opérationnelles proposées pour ces populations. Ce faisant nous agissons activement et effectivement sur les nombre et les proportions d’incidence de cas graves et / ou mortels.

5. Activer et renforcer l’ensembles des mécanismes et des capacités de gestions de cette crise à tous les niveaux (central, régional et première ligne) en poursuivant les efforts consentis par le ministère de la santé, dès l’annonce des premiers cas en Chine. Si les urgentistes et les réanimateurs sont apparus en premier plan faisant preuve de professionnalisme, la progression de l’épidémie suggère fortement que c’est en amont et avec l’implication de l’ensemble du système de santé que la réponse solide et durable doit se faire ou ne se fera pas! Nous avons maintenant les conduites à tenir produites par l’Instance Nationale d’Accréditation et d’Évaluation Santé pour les équipes de soins. Il faut travailler davantage à organiser et planifier les réponses à tous les niveaux et en particulier au niveau de chaque circonscription:

a. le(s) centre(s) et modalités de tri et d’orientation des cas et/ou des suspects par circonscription et en dehors du reste des Centres de Santé de Base et des urgences afin de permettre à ces derniers d’assurer leurs activités courantes; 

b. les conditions d’isolement des cas simples ainsi que celui des contacts dans chaque région et circonscription sanitaire;

c. la prise en charge des cas au niveau régional (ou interrégional) en fonction de la gravité et de la vulnérabilité et agencer les circuits et espaces en privilégiant l’affection de structures ou pavillons dédiées et le renforcement du potentiel de réanimation au niveau régional et ou interrégional.

d. la formation et la protection ainsi que les encouragements aux professionnels de la santé afin qu’ils puissent apporter leur précieuse contribution à un minimiser le mieux possible les effets de la pandémie.

e. La désignation d’un point focal par région et par circonscription pour assurer le suivi des activités, assurer la coordination avec les autres secteurs  avec une vigilance attentive sur les dispositions organisationnelles et fonctionnelles prises. Les points focaux régionaux doivent avoir des téléconférences régionales périodiques avec les représentants de la cellule de crises pour discuter et surmonter les contraintes et pour échanger leurs expériences.

Au niveau de la présidence du gouvernement

6. Adapter et améliorer la gouvernance pour la gestion de cette crise vers une approche de protection et d’appui globale et durable. Confier la présidence de cette coordination multisectorielle à la présidence du gouvernement afin d’en renforcer le pilotage politique central et la mobilisation des acteurs des tous les secteurs concernés. Il serait également très pertinent de constituer des comités multisectoriels de gestion aux niveaux local et régional. Leurs contributions respectives est cruciale pour analyser la situation cas par cas et prendre les mesures les plus adaptées à la situation.

7. Envisager la reprise progressive de la vie productive, dans les meilleurs délais, une fois les processus de dépistage actif, d’isolement et de sanction des comportements irresponsables sont mis en route et que le système de soin a pu introduire les adaptations nécessaires pour mieux répondre aux défis. Le choix clair et assumé étant le freinage de la progression et non son élimination hors de portée de n’importe quel pays. Un tel choix doit être annoncé d’une manière argumentée, communiquée et justifiée en se fiant à des estimations urgentes du coût d’opportunité (qui est certainement plus faible pour cette option par rapport à celle du confinement très prolongé), ainsi qu’à des analyses des événements sanitaires et des insuffisances de la réalité tunisienne.

Abdelwahed El Abassi, Amel Ben Said, Faiçal Ben Salah, Mohamed Hsairi

Bibliographie

1. journaliste et économiste universitaire vivant au Royaume Uni

2. Adopter un régime alimentaire sain et nutritif; limiter les consommations d'alcool et éviter les boissons sucrées ; arrêter de fumer ; pratiquer régulièrement des exercices physiques ; ne pas négliger la santé mentale.

3. A nationwidesurvey of psychologicaldistressamong Chinese people in the COVID-19 epidemic: implications and policyrecommendations. J Qiu, B. Shen, et al. https://gpsych.bmj.com/content/33/2/e100213

4. The psychological impact of quarantaine and how to reduceit : rapidreview  of the evidence. S. Brooks, et al. The Lancet. 395. issue 10227. 912-20. 2020. https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30460-8/fulltext

5. Fédération tunisienne de l’hôtellerie

6. L'industrie des composants automobiles en Tunisie. www.investintunisia.tn

7. L'Industrie Aéronautique Tunisienne - Tunisie industri. www.tunisieindustrie.nat.tn

8. L’office national de l’artisanat tunisien

9. Coronavirus: Attention la Tunisie n’est pas l’Europe… A. Marrakchi.
https://www.tunisienumerique.com/par-le-polytechnicien-anis-marrakchi-coronavirus-attention-la-tunisie-nest-pas-leurope/

10. Code de déontologie médical tunisien

11. McKibbin, W and R Fernando (2020), “The Global Macroeconomic Impacts of COVID-19: Seven Scenarios”, CAMA Working paper, The Australian National University (forthcoming).


 

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2 Commentaires
Les Commentaires
amine slim - 28-03-2020 09:13

très bien chers amis , il n'y a plus qu'à 'appliquer du mieux qu'on peut

Nasser - 29-03-2020 17:30

Qui sont les auteurs de cet article? Quel est leur parcours? Le lecteur sera alors en mesure d'apprécier leur contribution à sa juste valeur. Pour l'instant, c'est des anonymes.

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