Opinions - 07.12.2019

Riadh Zghal: La difficile marche vers une république du bien-être collectif

Riadh Zghal: La difficile marche vers une république du bien-être collectif

La flamme de l’enthousiasme qui a accompagné la chute d’un régime dictatorial en 2011 et l’espoir de l’avènement d’une nouvelle république démocratique, soucieuse de ceux qui réclament liberté, dignité et conditions de vie décentes, ne cessent de perdre en intensité depuis que le régime a changé. Or tout cela est prévisible car une révolution, c’est une ouverture sur tous les possibles. C’est ce que ne cesse de révéler ce qu’improprement on a appelé «printemps arabe». La république, un terme d’origine latine «res publica», réfère à un Etat gouverné selon le bien du peuple. Ce qui rappelle la cité idéale de Platon. Seulement Platon prévenait déjà que la cité idéale, ce nouvel Etat harmonieux et rationnel, est menacé par le manque d’éducation des guerriers ou une mauvaise sélection de ces derniers.

Aujourd’hui, l’Etat tunisien, gouverné par la république dite démocratique, n’a cessé de dévier du service de l’intérêt commun si l’on considère le nombre croissant des laissés-pour-compte. Est-ce par inexpérience, par incompétence, par une politique délibérée qui privilégie certains intérêts particuliers ou tout cela à la fois?  En effet, la sélection de ceux qui gouvernent par des scrutins populaires, fussent-ils transparents, impartiaux et équitables, ne se fait pas selon des critères rationnels liés à l’intérêt commun. L’électeur vote tantôt sous l’effet des campagnes électorales et l’émotion qu’elles suscitent, tantôt en référence aux intérêts d’une catégorie sociale, d’une communauté, d’une appartenance sociale quelconque, d’une information plus ou moins fallacieuse colportée par les réseaux sociaux, d’une idéologie... Dans ces conditions rien n’est moins sûr que ceux qui détiennent le pouvoir obtenu grâce aux élections vont œuvrer pour le bien du peuple en général. Un rapport de force émerge des élections et si la vigilance des masses populaires baisse par manque d’information, d’organisation et de leadership et si le paysage politique est fragmenté en une multitude de formations, rien n’empêche la tendance du pouvoir à se transformer en ploutocratie, en oligarchie ou en dictature. Certains signes que l’on observe dans la situation actuelle dans notre pays augurent d’une telle dérive.

Plusieurs raisons poussent à la baisse de la vigilance populaire. Il y a d’abord la lassitude après une tentative de révolution dont les résultats sur les plans économique, social et sécuritaire ont été désastreux. L’extension de l’appauvrissement à la classe moyenne, l’émiettement des partis politiques qui a favorisé ceux qui ont le plus de moyens pour gérer «l’industrie» des campagnes électorales associant partis et faux indépendants, l’ignorance qui constitue le terrain de prédilection pour la manipulation idéologique associée à la pauvreté favorable à la manipulation par la charité. Qu’on le veuille ou non, on doit reconnaître que les résultats des élections législatives, loin de refléter le souci de gouverner pour le bien du peuple, révèlent plutôt les maux et les dysfonctionnements de la société.  En conséquence, le scepticisme et la mélancolie s’installent et pour beaucoup c’est le désespoir. Certains réagissent par le départ vers d’autres cieux soit parce qu’ils ont des compétences à faire fructifier ailleurs, soit en risquant leur vie en empruntant les bateaux de la mort en Méditerranée. D’autres réagissent par la violence, la délinquance ou s’installent dans le système de l’économie informelle avec ses aléas et le poids des abus de la hiérarchie qui le contrôle.

Comment croire en la république et en la démocratie quand le scepticisme et la médiocratie dominent l’atmosphère générale ? Comment croire en la révolution ?
Les luttes politiques ne sont pas solvables dans la démocratie ; bien au contraire, cette dernière les attise. Une nouvelle classe politique est arrivée aux commandes. Les conflictualités se sont multipliées car ni la révolution ni les choix postrévolutionnaires n’ont fait l’unanimité.  Une révolution peut être efficace à son début mais génère une période de turbulences plus ou moins prolongée dans le temps. Elle peut aboutir à une dégradation du mode de gouvernance qui, au lieu de servir le bien-être général, se constitue en système au service d’une oligarchie. Les réformes constitutionnelles et juridiques censées assurer le respect des valeurs d’égalité et de justice ne produisent pas les effets déclarés, faute d’éthique et de capacités des acteurs institutionnels à appliquer la loi de façon équitable.

Cependant, la société n’est pas dépourvue d’atouts pour renverser la tendance. Il y a d’abord tous les acquis de la révolte de 2011 : une liberté d’expression malgré les nombreuses menaces auxquelles elle est et reste exposée, un capital humain fait de compétences dans les divers domaines du savoir et de la technologie malgré les dégâts de la fuite des cerveaux, une économie diversifiée qui n’attend qu’une amélioration des termes de l’écosystème pour se lancer dans une nouvelle dynamique de création de richesse. Même les turbulences et les conflictualités politiques peuvent être une source d’apprentissage pour de nouveaux arrivants sur la scène politique sans repères autres que leur idéologie et leur ego pour gérer la chose publique. Il faut admettre que la révolution et la démocratie ne sont que des processus jamais achevés car elles sont à l’origine d’une dynamique de transformation sociale continue. Il faut du temps pour développer un sens partagé du bien commun, pour identifier les moteurs d’une gouvernance favorable au plus grand nombre et trouver les leviers pour les actionner. 

Au regard des débats politiques, on aperçoit, malgré les manœuvres sournoises de politique politicienne, les signes d’une tendance à l’apaisement et la recherche de vraies solutions aux graves maux dont souffre le pays. Un tel apaisement, s’il dure et se renforce, peut favoriser la mobilisation des intelligences collectives pour l’identification des programmes d’action salvateurs, l’audace et l’énergie nécessaires pour la réalisation de ces programmes. Il ne s’agit pas de réaliser une entente et une harmonie totale et atone entre diverses parties mais d’une capacité de poursuivre un objectif commun tout en acceptant les différences. Celles-ci permettent d’observer une réalité complexe sous divers angles et réduisent les risques d’engagement sur de mauvaises pistes qui peuvent s’avérer désastreuses sur le long terme. Telle est la faute originelle des dictatures qui répriment toutes les voix à l’exception de la leur et celle des laudateurs.

R.Z.

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