Huawei au centre du bras de fer Etats-Unis-Chine dans une guerre géopolitique
Les Etats-Unis maintiendraient-ils l’échéance du 19 novembre 2019 pour mettre fin définitivement aux «licences générales temporaires» accordées au géant mondial d’équipements de télécoms Huawei d’opérer avec des compagnies américaines? Plus encore, décréter l’embargo total sur tous les produits Huawei sur son marché, mais aussi alourdir ces sanctions par des pressions exercées sur des pays refusant de bannir Huawei de leurs réseaux 5G?
Donald Trump n’y était pas allé de main morte: par décret présidentiel signé le 16 mai dernier, il a en effet interdit aux entreprises américaines d’acquérir ou de transférer des technologies ou des services de télécommunications à des acteurs «possédés, contrôlés ou soumis à la juridiction d’un adversaire étranger» en cas de menace pour la sécurité nationale. Si le texte ne mentionne pas nommément Huawei, il la place directement dans sa ligne de mire. Le chef d’accusation énoncé est lourd: «constituer un cheval de Troie au service de l’Etat chinois et de son parti, avec divulgation des données par des portes dérobées placées dans tous les équipements.»
Le poids des commandes mis en balance
Les enjeux pour les fournisseurs américains comme Qualcomm, Intel ou Google sont considérables: les achats de Huawei auprès d’entreprises américaines ont atteint plus de 11 milliards de dollars en 2018. Leur réaction ne peut être que très vive et audible à la Maison-Blanche. Face au tollé général poussé par les fournisseurs et clients américains de Huawei, pris de court par ce blacklistage et lourdement pénalisés dans leurs affaires, Washington a temporisé sa décision en accordant en guise de sursis des «licences générales temporaires» pour trois mois, pour permettre au géant chinois de proposer un accord acceptable. Infructueux, ce délai a été prolongé de trois nouveaux mois, avec pour échéance ce 19 novembre 2019.
Si l’effervescence gagne la communauté internationale des télécoms, au siège de la compagnie à Shenzhen, le fondateur Ren Zhengfei garde la tête froide, affichant une sérénité bien réfléchie. Il sait que les sanctions décidées le 16 mai dernier par le président Donald Trump contre sa firme, porte- étendard de la puissance technologique et économique chinoise, sont absolument politiques. Il sait aussi que Washington cherche activement à contenir la montée en puissance de la Chine. Il comprend aussi qu’en s’attaquant au plus grand fournisseur mondial d’équipements pour les réseaux sans fil, les Etats-Unis engagent le premier pas pour la déconstruction des chaînes de production et de valeur transnationales, de plus en plus profitables à la Chine, beaucoup plus à tout autre pays.
«Ni portes dérobées, ni atteinte à la souveraineté numérique des Etats»
Sans vouloir attiser l’escalade, et gardant toujours ouvertes les voies du dialogue, Ren Zhengfei a bien préparé sa compagnie. Tout en cherchant d’autres fournisseurs, il a accéléré l’aboutissement de recherche et développement avancés, en substitution de certains composants, et consolidant ses positions sur ses marchés. Cette double réponse technologique et marketing est appuyée par une prise de parole médiatique soutenue. Choisissant soigneusement les médias et le momentum approprié, le fondateur de Huawei réfute avec force les accusations américaines de collusion avec les autorités chinoises et de mise en péril de la sécurité nationale des pays où sa compagnie opère. Balayant d’un revers de main les soupçons de «portes dérobées» pour la transmission des données, il réitère le respect de sa compagnie de la souveraineté numérique des Etats et déclare son engagement à signer tout accord de confidentialité absolue en la matière.
Imprégné de la pensée de Confucius, Ren Zhengfei est partisan de la transcription en lettres chinoises du mot crise: Wei Ji. Cela signifie à la fois risque et opportunité. Non sans humour, il a révélé que ce blacklistage américain a donné à Huawei une très forte notoriété dans le monde. «Au départ, on ne devait pas lancer aussi vite la 5G, mais avec cette mise au-devant de la scène internationale, nous avons accéléré notre programme de déploiement», nous confie-t-il.
D’autres gisements de croissance
En termes de ventes, le segment des smartphones a enregistré de légères baisses sur certains marchés suite à ces sanctions américaines, reconnaissent des dirigeants de Huawei interrogés par Leaders à Shenzhen. Des clients ont également exprimé leurs craintes en cas de maintien du blacklistage, mais le lancement de nouvelles gammes (Mate 30 Mate X Pro) et la diversification des produits (téléviseurs intelligents, montres connectées, écouteurs insérés dans les branches des lunettes, etc.) soutiennent une évolution significative des ventes. Signe de performance: à fin septembre 2019, le chiffre d’affaires global affiche une croissance de 24.4%, avec 86,03 milliards de dollars, devant dépasser les 100 milliards de dollars à fin décembre 2019.
De nouvelles règles géopolitiques
Au-delà de Huawei, visée par Washington, c’est le bras de fer Etats-Unis–Chine qui est à prendre le plus en considération. Dans cette «guerre moins commerciale que géopolitique», c’est l’ensemble des nouvelles règles mondiales qui est remis en question. Washington, qui avait fait de la Chine son allié, soutenant son adhésion au Gatt en 1986, et encourageant, dans les années 1990, après la chute de l’Union soviétique, ses entreprises à se délocaliser dans ce vaste pays à la main-d’œuvre abondante, disciplinée et peu coûteuse, change aujourd’hui d’attitude. Quitte à rompre toutes les règles, l’administration américaine ne veut plus du «pivot asiatique» prôné par Obama et entend ne pas laisser la Chine gagner davantage en puissance économique et, partant, dicter de nouvelles règles géopolitiques.
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