Opinions - 13.09.2019

Samir Allal- Climat, sécurité et inégalités: Plaidoyer pour la présidentielle

Samir Allal- Climat, sécurité et inégalités: Plaidoyer pour la présidentielle

"Il n'est besoin ni de science ni de philosophie pour savoir ce qu'on a à faire,
pour être honnête et bon (même sage et vertueux)",

E. Kant

Des défis complexes, combinés à des menaces anciennes

L’été brûlant, l’air pollué, la sécheresses qui flambe, l’eau qui manque sont là pour nous rappeler les urgences. Les cinq dernières années apparaissent comme des années clés pour une nouvelle prise en compte de deux défis majeurs : la sécurité énergétique et le changement climatique.Les événements climatiques extrêmes frappent par leur intensité et par leur fréquence. Aucun pays y compris la Tunisie, n’est aujourd’hui épargné.

Dans un monde multipolaire, les manifestations extrêmes risquent d’annihiler les progrès économiques du pays, posant les risques de conflits et d’insécurité.Nous ne pouvons plus ignorer leurs conséquences profondément déstabilisatrices.Ces nouveaux défisappellent une réponse globale dans son approche et diversifiée dans son application.La nature multidimensionnelle de la crise actuelle souligne à notre avis, la relation « complexe » entre les changements climatiques, les ressources de plus en plus rares et carbonées etla résilience.Les causes profondes de la crise actuelle sont multiples et le réchauffement climatique est un facteur aggravant dans un contexte de fragilité.

Avec la globalisation du monde est venue celle des menaces

Le changement climatique menace, d’un côté, la croissance et le développement économique du pays,  par ses impacts physiques  et peut par là aggraver des facteurs de tensions et de conflits. Et de l’autre côté, la dépendance croissante de l’économie tunisienne à des ressources carbonées et limitées pose des problèmes de sécurité d’approvisionnement, qui peuvent conduire à des conflits violents.

La course aux ressources limitées, la dégradation des infrastructures essentielles, l’interruption des services publics et le déplacement (interne et externe) massive de la population sont un test pour la résilience des institutions et des structures de gouvernance.

Dans ce cas, l’impact des changements climatiques sur la sécurité, doit être appréhendé comme un des facteurs conduisant aux conflits et multiplicateur des risques. Il doit être au cœur de la campagne présidentiel et législative. En effet, l’émergence d’un nouveau concept de sécurité: la sécurité énergétique, dans une perspective de lutte contre le changement climatique et le développement durable, est devenue un enjeu stratégique qui nécessite la mise en place de nouveaux instruments, et fait apparaître d’autres acteurs sur la scène internationale.

Intégrer la politique climatique ,la politique énergétique et la nature et le contenu de la croissance permettrait d’augmenter les moyens disponibles, rendant ainsi accessibles des solutions globales plus à la hauteur de ces enjeux géopolitiques. Ce nouveau concept de sécurité « collective », est celui de la sécurité climatique et énergétique pour un développement inclusif et durable pour le pays.

Sécuriser le pays et renforcer sa capacité à s’adapter et à protéger la population

La Tunisie est un des pays les plus vulnérables dans une méditerranée qui est qualifiée de région de hot spot climatique. La région est en proie à des crises économiques, politiques, de sécurité et d’environnement majeurs. Même si la Tunisie ne représente qu’une proportion très faible  des émissions de gaz à effet de serre (et les émissions d’un habitant de la rive sud de la Méditerranée  restent 10 fois moins importantes que la moyenne mondiale), les efforts en matière de transformation énergétique de son modèle de développement  ne sont pas encore suffisants pourdonner accès à l’énergie pour tous, lutter contre les changements climatiques  et contre les inégalités.

Au-delà des prises de conscience et des déclarations d’intention,le foisonnement récent  d’initiative sur les questions de la transition « bas carbone » dans la région et la sécurité incite à sérier ces questions afin d’organiser l’action de façon plus efficace.

Le Rapport spécial 1.5° du GIEC publié en octobre 2018 le démontre clairement : contenir le réchauffement global à 1,5 degré est non seulement nécessaire pour limiter les dérèglements climatiques et assurer la survie des écosystèmes, mais cela permettrait également d’atteindre plus facilement les Objectifs de Développement Durable (ODD), fixés par les Nations Unies en 2015, qu’avec un réchauffement plus important, même à 2°C (comme prévu par l’Accord de Paris).

Pour atténuer ces risques et tenir compte des alertes des scientifiques, la communauté internationale doit amplifier la luttecontre les inégalités, garantir la justice et s’assurer que les règles internationales sont respectées par tous.Tous les États doivent respecter les accords climatiques, notamment l’Accord de Paris qui doit être mis en œuvre le plus tôt possible en tenant compte des besoins des pays en développement, conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées.

Partant de ce constat, le dérèglement climatique et ses multiples conséquences sécuritaires nous obligent à redonner tout son sens au multilatéralisme, à la diplomatie et au développement durable

Les menaces sécuritaires ne peuvent être traitées que dans le cadre « d’une diplomatie climatique multilatérale » du XXIe siècle, qui intègre pleinement les impacts du changement climatiques et ses risques dans une démarche de prévention des conflits. Dans ce cas, l’action contre les changements climatiques et l’accès aux ressources pour le développement durable deviennent une partie intégrante de la culture de la prévention et du maintien de la paix.La Tunisie peut être à la pointe de ce combat.

Une telle prévention doit prendre la forme d’actions en temps opportun pour renforcer la résilience par des mesures d’atténuation et d’adaptation, dans le cadre de la coopération internationale.Des organisations régionales telles que l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE), apportent déjà une dynamique à la réponse internationale sur ces risques de sécurité liés au climat, peuvent (et doivent) nous aider.

En prenant des mesures proactives et préventives  et  avec le soutien de la communauté internationale, la Tunisie peut contribuer à éviter des tragédies humaines, la plupart de ces mesures étant d’ailleurs une obligation juridique pour les États signataires de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification et  la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Tous les jours, la tragédie des migrants venus d'Afrique ou du Moyen-Orient qui traversent le pays le prouve.Le destin du continent européen et celui de la Tunisie sont liés, et la l’axe Europe-Afrique-Méditerranée est l'espace naturel de cette coopération verticale autour de la sécurité et le climat.

Les défis complexes, combinés aux menaces anciennes mais toujours présentes que sont les conflits interétatiques ou la prolifération nucléaire, nous concernent tous – immédiatement et collectivement. Nos actions sont encore timides et pas suffisamment à la hauteur de ces enjeux.

A l’occasion de cette présidentielle, nous appelons à un « débat éclairé » (au sens d’Amartya Sen), c’est-à-dire argumenté, construit sur des faits, ouvert et concret sur les interrogations relatives aux modèles de transition bas-carbone du pays (et plus globalement de la région) et leurs relations avec les acteurs classiques de la géopolitique énergétique mondiale.Ce débat doit nous éclaire sur les problématiques de rivalités, de sécurité ou de dépendances associées à cette dynamique de transition numérique et énergétique vers un mix bas-carbone, pour le développement durable.

Souhaitons que cette présidentielle nous ouvre quelques pistes de réflexion, sur l’urgence de l’action pour la transition «bas-carbone », dans un monde en mutation profonde.Nous formulons enfin, le souhait que ce thème soit porté et défendu par le président de la république au sommet de la Francophonie qui aura lieu prochainement  à Tunis.

Samir Allal

Enseignant chercheur à l’université de Versailles-Paris Saclay,Ambassadeur de l’université pour les pays francophones et méditerranéens.

Il travaille dans le domaine de la coopération internationale depuis plus de 30 ans, spécialiste de l’économie des changements climatiques, de la transition énergétiqueet du développement durable.



 

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