Blogs - 06.05.2019

Cessons de jouer à la roulette russe avec l'avenir de notre pays

Hédi Béhi: cessons de jouer à la roulette russe avec l'avenir de notre pays

Souvent moquée par ses voisins pour son pacifisme qui confine à l'indolence, la Tunisie était aux yeux des historiens, «le pays dont on attendait le moins qu’il entrât en révolution». D’où l'immense surprise provoquée par la révolution du 14 janvier 2011. Ce jour-là, cette image d’Epinal a volé en éclats. Mais le monde n’était pas au bout de ses surprises. La révolution tunisienne entraînera dans son  sillage la plupart des dictatures arabes qu'on donnait, pourtant, comme indéboulonnables. Cerise sur le gâteau. Elle a été la seule à se maintenir. Malheureusement, les immenses espoirs qu'elle a suscitée ont fini par se dissiper pour céder la place à  un désenchantement généralisé, faute d'avoir su répondre aux  attentes des Tunisiens. A leur grand désappointement, les Tunisiens s'aperçoivent que la démocratie ne nourrit pas son homme et encore moins l’excès de démocratie dans lequel on s’est complu pendant longtemps.

On a parfois défini la politique comme l'art d'empêcher les gens de s'intéresser à ce qui les regarde. De fait, pendant des années, on avait privilégié les questions institutionnelles, politiques, pour ne pas dire bassement politiciennes, et même métaphysiques sous l'influence des islamistes, ce qui revenait aux yeux des Tunisiens à une discussion sur le sexe des anges, car les véritables problèmes, ceux pourquoi, ils se sont soulevés étaient ailleurs : l'emploi, la marginalité, les déquilibres entre les régions. Ce qui en dit long sur le hiatus entre la classe politique issue de la révolution et la population. En huit ans, notre pays a instauré la démocratie, libéré la parole et les écrits, osé s’attaquer à des fléaux comme la corruption, prôné l’égalité successorale, criminalisé le racisme. En contrepartie, nous nous sommes désintéressés de notre économie. Et quand, par extraordinaire, on abordait ce dossier, c’était trop souvent à travers le prisme de l’idéologie. 

Le 21 février 2011, soit à peine 40 jours après le départ de Ben Ali, la télévision avait organisé pour la première fois un débat politique contradictoire avec quelques-uns des nouveaux ténors de la vie politique. Pendant près d’une heure, on va pérorer sur la démocratie, le multipartisme, la liberté d’expression, pratiquement sur tous les sujets qui étaient à mille lieues des préoccupations des Tunisiens. L’animateur avait eu l’excellente idée d’inviter un groupe d’étudiants de l’Ihec de Carthage pour porter la contradiction aux politiciens présent sur le plateau. Déçu par la tournure prise par le débat, il suggère aux invités d'aborder les questions économiques.  L’un d'eux lui répond: «Occupons-nous d’abord de la politique, le temps de l’économie viendra plus tard». Il viendra trop tard. La révolution tunisienne est mal partie. C'est sans doute, son péché originel.

Avant de partir, Ben Ali avait écrémé la classe politique pour ensuite la compromettre. Celle qui lui a succédé n’en est que les rebuts.A titre d'exemple, il y a loin de la Tunisie de Tebbini, Amroussia à celle de Mohamed Ghannouchi,  Afif Chelbi, Nouri Jouini ou Mustapha Kamel Nabli. Incontestablement, nous avons la classe politique la plus faible depuis l'indépendance parce qu'elle est handicapée par son anaphabétisme économique et comme tous les problèmes auxquels notre société est confrontée aujourd'hui ont un soubassement économique, on imagine les dégâts.

Résultat : nous sommes en train de subir les conséquences des mauvais choix des nouveaux dirigeants. Faut-il pour autant se résigner à la fatalité de l’échec ?  Non si on se ressaisissait, si on arrêtait de s’autoflageller,si on mettait l'homme qu'il faut à la place qu'il faut, si les syndicats se faisaient violence en mettant une sourdine à leur ferveur revendicatrice pour aider au redressement de l’économie, si les journalistes cessaient de jeter de l’huile sur le feu, si on arrêtait de jouer à la roulette russe avec l’avenir du pays, tout simplement, si on réapprenait à l'aimer. Il a déjà suffisamment souffert de nos lubies.

Hédi Béhi
 

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