Amor Chadli: La vérité dévoilée...et la réponse de Rachid Sfar
Quand Bourguiba a dit non à la création d’un comité constitutionnel de la République
Le Dr Amor Chadli tient à son devoir de mémoire. Longtemps médecin personnel du président Bourguiba, puis directeur de son cabinet (du 16 mai au 6 novembre 1987), il était «le seul présent, pendant cette période cruciale, à toutes les entrevues du Président». Dans un ouvrage intitulé : Bourguiba, tel que je l’ai connu. La transition Bourguiba - Ben Ali, publié en février 2011, il était longuement revenu, documents à l’appui, sur sa relation avec le Combattant suprême, les soins qui lui étaient prodigués et les intrigues du palais de Carthage, jusqu’à la prise du pouvoir par Ben Ali. Un deuxième livre lui a paru nécessaire à écrire, comme il vient de le faire sous le titre de La vérité dévoilée.
«Avec le recul du temps qui a permis un meilleur éclairage de la vérité, écrit-il en introduction, et par respect de la mémoire nationale, ai-je pensé utile, en ma double qualité de témoin et d’acteur, de revenir sur quelques points relatifs à l’histoire nationale avant et pendant le mandat de Bourguiba.» Le récit est instructif. On y réalise avec beaucoup de détails le calvaire vécu par Bourguiba, souffrant d’insomnie. Pour le Dr Chadli, c’est la conséquence d’un mauvais diagnostic de dépression qui était établi par certains médecins suisses, contre l’avis de nombreux autres médecins français, allemands et américains. Un acharnement médical sans fondement scientifique qui semblait avoir été toléré, si- non sciemment autorisé, par certains proches de Bourguiba. Pour preuve, Dr Chadli mentionne le changement en catimini de prescriptions médicamenteuses inappropriées...
Le témoignage du Dr Chadli foisonne de scènes vécues, surtout durant les derniers mois de Bourguiba à Carthage, détaillant nombre d’évènements. Une séquence peu connue, la proposition de constituer un «Comité constitutionnel de la République tunisienne», le Conseil constitutionnel n’était pas alors mis en place. Selon le projet de décret préparé à cet effet et soumis à la signature de Bourguiba, ce comité est «un organe consultatif», «chargé d’examiner les projets de loi que lui soumet le président de la République, garant du respect de la Constitution, dans le but de donner son avis sur leur conformité à la Constitution». L’article 3 est plus explicite: «Le comité constitutionnel peut être saisi par le président de la République pour examiner toute question touchant le fonctionnement des institutions.» Le projet de décret stipule également que «le comité constitutionnel est composé de dix membres choisis par le président de la République parmi les personnalités en activité ou à la retraite en raison de leurs compétences dans le domaine juridique et politique» (art.4). Plus encore, «le président du Comité constitutionnel est choisi par le président de la République en dehors des membres du comité.» (art.5).
Bonnes feuilles
La lucidité de Bourguiba
Le mercredi 5 août 1987, soit trois jours après les attentats, le Président devait accorder une audience au Premier ministre à Skanès. Celui-ci arriva vers neuf heures. Zine Ben Ali l’avait précédé au palais et s’était installé dans la salle à manger, devant une tasse de café. Aucune audience avec le ministre de l’Intérieur n’était prévue ce jour-là. J’avisai le Président de l’arrivée de Rachid Sfar. Il se rendit à son bureau où je le rejoignis avec le Premier ministre. Rachid Sfar proposa alors au Président la constitution d’un «comité constitutionnel de la République tunisienne», sorte de Comité des Sages, comprenant dix membres choisis, disait-il, par le Président de la République et appelé à le seconder dans l’exercice de ses fonctions afin d’alléger sa charge.
Parmi ces membres, Rachid Sfar proposa, entre autres, Béhi Ladgham, Hédi Nouira, Habib Bourguiba Jr… Je n’en croyais pas mes oreilles. Le Président écoutait sans broncher. Une fois son exposé terminé, Rachid Sfar présenta au Président le texte déjà prêt, portant création de ce comité. (Document 13)Je pris la parole pour demander ce qui se passerait si l’opinion de ce comité se trouvait en contradiction avec celle du Président. Après une courte hésitation, Rachid Sfar déclara que le point de désaccord pourrait retourner devant le comité.
- Cela veut dire que, dans la pratique, ce comité n’est pas consultatif. Le Président se départirait donc d’une partie de son autorité devant ce comité qu’il ne présiderait pas?
- Cela pourrait faire l’objet d’une réflexion, répliqua Rachid Sfar.
- Ne croyez-vous pas que cela retarderait l’application des décisions et compliquerait les problèmes?
Le Président nous interrompit alors, arguant que la création d’un tel conseil n’était nullement opportune et déclarant, en bombant le torse, qu’il était en bonne santé. Il leva la séance et quitta le bureau. Rachid Sfar se rendit auprès de Zine Ben Ali qui l’attendait.
Ce projet ne fut plus jamais évoqué, ni par le Président, ni par Rachid Sfar. Malgré l’absence de preuves concrètes, il est aisé de comprendre que ce projet a été préparé de concert avec Zine Ben Ali. Sa présence au palais de Monastir, ignorée du Président, laisse penser qu’il était venu pour connaître le résultat de l’entrevue. Peut-être pensait-il déjà à une structure légale qui permettrait de reléguer le Président à un rôle consultatif? Ou était-ce un moyen de compromettre Rachid Sfar aux yeux du Président?
Réponse à...
Amor Chadli: La vérité dévoilée
L’ancien Premier ministre Rachid Sfar répond au Pr Amor Chadli
Régissant à l’évocation par le Pr Amor Chadli, dans son nouvel ouvrage La Vérité dévoilée, du projet d’un comité constitutionnel, écarté par Bourguiba, l’ancien Premier ministre Rachid Sfar nous fait parvenir la réponse suivante:
Je découvre sur le récent numéro de Leaders (N°83 - avril 2018) ceci: «La lucidité de Bourguiba».
«Le mercredi 5 août 1987, soit trois jours après les attentats, le Président devait accorder une audience au Premier ministre à Skanès. Celui-ci arriva vers neuf heures. Zine Ben Ali l’avait précédé au palais et s’était installé dans la salle à manger, devant une tasse de café. Aucune audience avec le ministre de l’Intérieur n’était prévue ce jour-là. J’avisai le Président de l’arrivée de Rachid Sfar. Il se rendit à son bureau où je le rejoignis avec le Premier ministre. Rachid Sfar proposa alors au Président la constitution d’un «comité constitutionnel de la République tunisienne», sorte de Comité des Sages, comprenant dix membres choisis, disait-il, par le Président de la République et appelé à le seconder dans l’exercice de ses fonctions afin d’alléger sa charge. Parmi ces membres, Rachid Sfar proposa, entre autres, Béhi Ladgham, Hédi Nouira, Habib Bourguiba Jr. Je n’en croyais pas mes oreilles. Le Président écoutait sans broncher. Une fois son exposé terminé, Rachid Sfar présenta au Président le texte déjà prêt, portant création de ce comité. (Document 13)Je pris la parole pour demander ce qui se passerait si l’opinion de ce comité se trouvait en contradiction avec celle du Président. Après une courte hésitation, Rachid Sfar déclara...»
L’auteur de ce récit imaginaire n’est pas à son premier mensonge... Il semble exceller dans l’art de partir d’un fait réel pour ‘’laisser’’ vagabonder son imagination... C’est exact, j’ai proposé au président Bourguiba un projet de texte portant création d’une sorte de Comité des Sages pour notamment contrecarrer les influences néfastes de son entourage. Mais Ben Ali n’a jamais été ni de près ni de loin à l’origine de cette initiative qu’il a sabotée comme l’a fait le Prof Amor Chadli...Tous les deux ont réagi «énergiquement» contre mon initiative devant le Président parce qu’elle allait à l’encontre de leurs desseins... Telle est, hélas, la triste vérité …
Je vous prie de porter à la connaissance de vos lecteurs cette rectification avec mes remerciements.
Rachid Sfar
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