Dr Sofiane Zribi: L’art pervers de détruire l’autre ! Sport favori d’une certaine faune politique ?
Marquis de Sade,
Histoire de Juliette
Le marquis de Sade, peu de temps avant la révolution française, alors qu’il était prisonnier dans la citadelle de la Bastille à Paris, a écrit des romans d’une extrême cruauté, où le sujet principal était la jouissance orgasmique éprouvée par les bourreaux grâce à la souffrance et la destruction qu’ils infligeaient à leurs victimes.
Quelques années auparavant, ici à Tunis, Mourad III Bey a devancé les fantasmes du divin marquis et mis en œuvre les pires instruments de torture. Appelé Mourad «Bala», il avait pour autre passion d’empaler ses ennemis politiques réels ou imaginaires sur un pal ou un énorme sabre turc.
Ces délicatesses sont en fait l’apanage du comportement despotique de quasiment tous les rois et chefs envers leurs rivaux depuis l’antiquité jusqu’à très récemment, quand les principes des droits de l’homme ont commencé à se répandre dans les esprits. En faire une liste exhaustive est impossible, mais les temps reculés furent aussi des temps sanguinaires et menaçants, où la paix était une exception et la servitude aux maîtres une règle.
Une chose est sûre, de tout temps la compétition pour le pouvoir, orgasme ultime des diminués de l’esprit, a été toujours violente, accompagnée d’une sordide jouissance devant le mal, la douleur, la souffrance et la destruction que l’on peut infliger à son adversaire.
Se pose alors la question : pourquoi ce déferlement de violence dès qu’il s’agit de course pour l’autorité ? Violence qui aujourd’hui, loin des poisons, assassinats et autres moyens du même ordre, prend des formes diverses : rumeurs, fake-news, accusations infondées, histoires fabriquées de toutes pièces pour déconsidérer devant le peuple, la plèbe d’autres fois, l’adversaire politique et l’anéantir.
Que se passe-t-il au fond de l’âme de l’homme politique pour qu’il soit poussé à ces jeux macabres, rien que pour jouir d’un succès, d’une réussite, d’un accès au pouvoir. La réponse est simple : l’attrait quasi ensorcelant du pouvoir !
Le pouvoir, cet attribut que Freud assimile à un phallus, un sexe viril imaginaire, qui prémunira son auteur contre tous les autres humains, contre une crainte de l’humain, vieille comme le monde, celle de la castration, voire de la mort.
En réalité, la quête du pouvoir et sa recherche effrénée pour certains relèvent de la maladie. Le petit enfant, pour s’insérer dans le groupe et mûrir en société, doit accepter sa place, sa position, intérioriser ses limites et ne pas refuser l’autorité, à commencer par celle du père d’abord, puis celle de ses éducateurs, de son groupe, de sa société enfin. Condition sine qua non de son intégration et son assimilation.
Ce moment psychologique est à la base de la construction des sociétés humaines régies par des principes et des règles. Freud l’a appelé complexe d’Œdipe en opposant les désirs de l’enfant de demeurer le tyran et le désir de sa mère et sa peur de subir le courroux du père. Peur que les psychanalystes appellent angoisse de castration. Les sociétés primitives ont donné aux rois un pouvoir quasi divin absolu, puis les religions monothéistes sont venues nuancer ce pouvoir alors que les sociétés modernes agissent de plus en plus pour atténuer le pouvoir des rois et des chefs par l’entremise des règles démocratiques, des constitutions, des parlements, de la séparation des pouvoirs, etc.
Il n’empêche que l’accession au pouvoir suprême reste le Graal à ne pas manquer. Elle s’accompagne pour certains d’une jouissance extrême, incomparable, car justement ils croient à tort qu’elle les libère du joug de toutes les tutelles et les fait jouir de toutes les libertés.
Ni César, ni Hitler, ni Staline, ni Saddam, ni Kadhafi, ni Ben Ali ou Kim Jong-un ne viendront me démentir : être au pouvoir, c’est être au sommet d’un édifice imaginaire où l’impossible n’existe pas et c’est ce qui explique d’ailleurs l’attachement souvent aveugle à demeurer au sommet au risque de sa vie.
Quand Jean-Jacques Rousseau a rédigé Le Contrat social, il avait bien en tête les dérives des plus forts et la limitation de leur pouvoir. Ces revendications furent l’une des principales demandes de la révolution française. En Tunisie, notre petite révolution a ouvert grandes les portes devant les appétits du pouvoir. Ceux des réformateurs, qui espèrent servir leur pays en améliorant ses conditions socioéconomiques sans rechercher obsessionnellement de place au soleil mais aussi ceux de petits névrotiques, incapables d’intérioriser les principes démocratiques et la loi, éprouvant un puissant besoin de passer outre, attirés par les mirages fantasmés du pouvoir et ses ors, sentant que l’occasion est trop belle pour être ratée. Tous les moyens leur semblent bons pour casser leurs compétiteurs et les détruire. Certains verront en cela une méchanceté gratuite, le psychiatre n’y voit que des personnalités immatures, castrées, perverses et malades totalement inaptes à exercer un pouvoir quelconque pour autre bénéfice que le leur. Dans ce jeu, où souvent Facebook et les blogs servent d’arènes, s’affrontent des êtres minuscules qui espèrent passer sous le miroir grossissant de l’opinion pour prendre du volume. L’ensemble de leur être est entièrement tourné vers le fauteuil présidentiel et quelques strapontins à côté, ils sont prêts à tout pour assouvir leurs passions, tel un homme fou de désir pour une femme, prêt à tout pour la conquérir, quitte à la violer. Ne savent-ils pas qu’aucun pouvoir n’a transformé un castré en être viril, et qu’une fois, si par malheur le destin les porte vers les cimes qu’ils souhaitent, il n’y a que solitude s’ils veulent servir et cabales s’ils veulent rester.
Machiavel disait «Ce n’est pas le titre qui honore l’homme, mais l’homme qui honore le titre». Je finirai par une citation du célèbre psychanalyste français Jacques Lacan qui avait l’habitude de dire : «Un fou qui se prend pour Roi est fou, mais un Roi qui se prend pour roi n’est pas moins fou»
Dr Sofiane Zribi
Psychiatre
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