La réparation: Première du film documentaire «Bourguiba de retour» de Hichem Ben Ammar
Hichem Ben Ammar nous a habitués à un art du documentaire où la dimension sociologique n’exclut ni la poésie, ni l’émotion. C’est ce dont les spectateurs, venus le 1er juin 2017, en grand nombre, ont fait l’expérience lors de la projection du film « Bourguiba de retour », à la salle du quatrième art, à Tunis. Si la date choisie pour la première du film obéit historiquement à celle de la fête de la Victoire commémorative du retour d’exil de Bourguiba, il y a 62 ans, le film a, quant à lui, pris le chemin de traverse pour rappeler cet événement national. Sur une idée originale du sociologue Mohamed Karrou, c’est l’histoire singulière de la statue équestre du « Zaïm », réalisée en 1978, déplacée en 1988 et réhabilitée en 2016 que le cinéaste va mettre en scène pour une mise en question de nos représentations du politique, au sens large. Le personnage massif qu’est la sculpture de bronze sera l’objet autour duquel l’imago du « Zaïm », le mythe de la révolution ainsi que le statut de l’artiste seront interrogés dans le prisme des préjugés, de passions et d’opinions aussi diverses que contradictoires.
Le spectateur est d’emblée porté de manière subtile par le mouvement de la camera, dans les nombreux plans rapprochés, pour être à même le corps de l’œuvre sculpturale, en cours de restauration ; il se situe, de cette manière, dans la proximité du vécu émotionnel de l’artiste Hachemi Marzouk qui scrute de manière attentionnée et attendrie son œuvre monumentale en voie de réanimation. Couchée dans un terrain vague plutôt sordide, la statue du Zaïm contraste avec cet environnement, par le travail superbe de ses formes et volumes et par la brillance de son bronze. Le film donne volontairement une grande place au corps de la sculpture déboulonnée, lavée et réparée, symbolisant ainsi la réparation de la figure historique de Bourguiba. Mais il met aussi en scène le rapport quasi charnel que l'artiste entretient avec son œuvre pour mettre en exergue l’engagement du créateur, à la fois, dans son art et dans la cité.
Si le personnage du Zaïm a été pratiquement offert à la discussion de la place publique lors du retour de la statue à l’Avenue Bourguiba, avec des avis tranchés et très opposés, souvent liés à la crise post révolutionnaire, l’artiste lui, privé d’assister à l’inauguration de ce retour, a été ignoré de tous.
La scène de cette inauguration a certainement donné la mesure de tout le film en faisant un gros plan sur l’artiste en pleurs, derrière les barrières le séparant de la cérémonie présidentielle de l’événement. Entre l’intérêt que lui avait porté Bourguiba en élisant sa sculpture parmi plusieurs autres propositions et le visitant à plusieurs reprises dans son atelier et le désintérêt absolu des autorités actuelles, lors de l’inauguration du retour de la statue , la figure de l’artiste focalise certainement tous les ratés d’un corps social ignorant ce qui fait sa vitalité.
Hachemi Marzouk, présent lors de la projection du film a été, ce jour là, longuement ovationné par un public conquis et conscient de tant de valeurs à réhabiliter, à commencer par celle des documentaires historiques intelligents.
Rachida Triki
Universitaire et critique d’art
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