News - 14.08.2025

Le Spatial en Tunisie : Entre nécessité stratégique et opportunité vitale

Le Spatial en Tunisie : Entre nécessité stratégique et opportunité vitale

Par Professeur Kamel Besbes - Souvent quand on parle du spatial on pense à l’inaccessible, à l’impossible et à l’incompréhensible alors que nos ancêtres, avec peu de moyens et beaucoup de curiosité, s’y sont bien intéressés bien des siècles avant pour comprendre la nature, la cosmologie, le mouvement des astres mais également pour l’utiliser pour les guider en mer et en désert ou pour compter le calendrier et accompagner les changements des saisons et réussir leurs campagnes agricoles. Alors qu’aujourd’hui la technologie spatiale, de plus en plus accessible au citoyen du monde, elle domine le monde des communications par satellites, du guidage sur smartphone et de l’observation de la terre sous de multiples portails sur le web…

C’est ainsi que le Forum économique mondial (The World Economic Forum) indique dans son rapport du 28 avril 2024 que L'économie spatiale devrait tripler pour atteindre 1 800 milliards de dollars d'ici 2035, contre 630 milliards de dollars en 2023, soit près de deux fois le taux de croissance du PIB mondial. Cette croissance rapide sera alimentée par la baisse des coûts et un accès plus large aux technologies spatiales telles que les communications et l’internet par satellites, le positionnement et la navigation par satellites (GNSS) de plus en plus précis et synchronisé, ainsi que les services d'observation de la Terre à travers diverses images multispectrales et applications. La majeure demande proviendra des secteurs des communications numériques (TV, Internet et cybersécurité), des chaînes de logistique et de transport (maritime, terrestre, aérien, de l’énergie et commercial), de l'agroalimentaire, des départements en charge de l’aménagement des territoires et de la lutte contre le changement climatique, de la défense et des loisirs et du tourisme. Le constat est que l’impact des technologies spatiale a déjà dépassé le secteur lui-même pour devenir de plus en plus un levier majeur à d’autres secteurs de services de connexion haut débit, de guidage, de bonne gouvernance ou de sécurité.

Au vu du progrès fulgurant de ce qu’on appelle les « Deep Tech » comme bientôt la 6G, l’Intelligence Artificielle, le Big Data, l’optique laser et de la technologie quantique, le support spatial qui lui sera associé sera encore un secteur incontournable pour développer et résoudre beaucoup de défis économiques, environnementaux et humains générant ainsi des profits en valeurs technologiques au-delà du profit financier.

La jeunesse tunisienne comme ailleurs dans le monde, aspire à mieux accéder et maitriser ces outils non seulement à cause de leur soif de curiosité et notoriété scientifique, mais également à cause des multiples opportunités professionnelles ouvertes à l’international dans ce secteur et qui demeure en très forte progression particulièrement au vu de l’explosion des investissements dans les startups dans les domaines des datas et des technologies spatiales.

Nous observons, avec beaucoup de satisfaction, l’engouement dans tout le pays ces dernières années à travers les clubs des universités et des lycées ou des activités des organismes en charge de la divulgation de la culture scientifiques au domaine spatial. Plusieurs hackathons, et activités d’associations et des laboratoires annoncent périodiquement des événements d’éveil, de veille et projets scientifiques dans le domaine spatial.

Il est donc indispensable que les autorités nationales doublent d’efforts afin d’élever le niveau d’organisation et de gouvernance du domaine spatial en Tunisie. En effet, alors que les grands et les moins grands dans le monde font du spatial un pilier important de leur souveraineté, la Tunisie n'est pas en reste et s'efforce de structurer sa propre gouvernance dans ce domaine. Loin d'être une simple aspiration futuriste, l'exploration et l'application des technologies spatiales représentent des opportunités cruciales pour le développement socio-économique du pays.

En effet, quarante années après la création de La Commission Nationale de l'Espace Extra- Atmosphérique (CNEEA) rattachée au Ministère de la Recherche Scientifique de l’époque depuis l’ère Bourguiba en septembre 1984, cette commission réunit périodiquement tous les intervenants et bénéficiaires gouvernementaux et experts du domaine spatial. La Commission Nationale de l'Espace Extra-Atmosphérique (CNEEA) a pour mission principale de proposer et de coordonner la politique nationale de la Tunisie en matière d'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique, en assurant la synergie entre les activités des différents départements ministériels et organismes concernés. Elle vise également à sensibiliser, informer et assurer une veille stratégique sur les développements spatiaux, tout en promouvant les applications des techniques spatiales au profit des programmes de développement du pays. Parallèlement, la CNEEA est chargée de protéger les intérêts nationaux, de contribuer aux activités de recherche, de formation et d'études, et de proposer des mesures pour la protection de l'environnement et des ressources naturelles via les applications spatiales.

Cependant, l’actuelle composition et gouvernance de la CNEEA n’est plus à la hauteur à la dynamique observées et aux énormes défis et activités du domaine spatial dans le monde et des attentes nationales.

C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’une stratégie, a été élaborée suite au colloque international TNSS : Tunisian National Space strategy, organisé du 22 au 24 mars 2018 à Hammamet, sous le patronage de plusieurs ministères concernés. Le colloque a été assuré avec la participation de toutes les parties prenantes en Tunisie dans une démarche participative et inclusive. Il a invité également la diaspora tunisienne de renommée dans le secteur spatial, des représentants d’agences spatiales internationales (ISA, ESA, CNES, ISRO, CAST, …) et de l’UNOOSA et des experts internationaux afin de bénéficier de leurs expériences et des leurs recommandations.

Les principales recommandations de cette stratégie dont les principes sont validés lors de la réunion du CNEEA en mars 2019 était de faire du secteur spatial un moteur de développement durable avec deux objectifs spécifiques à réaliser au moyen de diverses actions pour organiser et mettre à niveau l’organisation du domaine spatial et de disposer des outils, moyens et processus de planification et de gestion des ressources nationales en intégrant les données spatiales de manière systématique et opérationnelle.
Au fil des années, non seulement la CNEEA mais également les acteurs institutionnels (départements ministériels, Agences, offices,..), les universités, les centres de recherche, les acteurs privés émergents et de la société civile contribuent activement à la mise en œuvre de cette stratégie, encore en construction. Certaines activités sont comptabilisées de manière volontaire ou indépendamment de la stratégie validée, afin que chacun développe son potentiel et plan pour répondre aux défis que chaque acteur s’est donné.

Dans le cadre de cette stratégie, plusieurs acteurs institutionnels du domaine spatial organisent et participent annuellement à l’unique conférence nationale sur cette thématique. Le prochain rendez vous de la 4ème session sera tenu au prochain mois de novembre 2025. L'objectif est de réunir les décideurs, les acteurs économiques, les scientifiques, les experts et les détenteurs de compétences, nationaux et internationaux, et de traiter des dernières évolutions et pratiques dans les domaines de la Science et Technologie, des Applications et de la Régulation du domaine spatial, d’où son appellation SPACESTAR.

L’appel à participation se fait sur son site web www.spacestar.tn

Malgré cette dynamique prometteuse, la gouvernance du domaine spatial en Tunisie fait face à plusieurs défis. La coordination entre les différents acteurs, le financement des projets ambitieux, le développement des infrastructures nécessaires et le maintien des compétences sont autant d'enjeux cruciaux pour garantir la pérennité et le succès de l'appropriation du secteur spatial en tunisien. C’est donc la mise en place des vrais moteurs de la gouvernance du spatial tunisien, qui manquent aujourd’hui. Une fois concrétisée, les portes de la coopération internationale institutionnalisée s’ouvriront. En effet, en exemple, l’Afrique et plusieurs pays en voie de développement se sont dotés d’agences spatiales afin de répondre aux programmes nationaux mais aussi aux offres et sollicitations internationales et de bénéficier des programmes d’accompagnement et de mise à niveau.

De sources bien informées, sur proposition Conseil de sécurité nationale en janvier 2021, le ministère de l’économie numérique a déjà proposé un premier texte de proposition de loi spatiale. Suite à cela, sur proposition de la présidence du gouvernement, le texte a été examiné par la CNEEA pour l’enrichir et le mettre à niveau au vu des activités et avis des divers départements et experts membres de la commission et ce depuis mars 2024. Ce deuxième texte est probablement dans les coulisses des divers ministères pour examen afin que ce projet de loi soit validé dans le plus bref délai pour donner un réel appui et coup de relance au secteur spatial national.

Le prochain texte proposera la vision nationale vis à vis du spatial et proposera probablement une structure opérationnelle, sous forme d’agence, en charge du développement stratégiques, des programmes et des réglementations favorisant les retombées technologiques et économiques attendues et d’un conseil d’orientation stratégique qui lui sera assigné afin de maintenir la gouvernance inclusive d’un domaine transversal et d’intérêt général.

En somme, la Tunisie compte se lancer dans une démarche avec une vision pragmatique : celle d'exploiter les opportunités offertes les avancées technologiques et par le contexte de la coopération internationale indispensable dans ce domaine pour le bien-être de ses citoyens et le développement durable de la nation. La gouvernance en cours de structuration, si elle est affranchie des conflits liés aux domaines réservés, sera la clé de voûte de cette ambitieuse démarche. Plus vite elle se concrétisera plus vite elle impactera les piliers de la bonne gouvernance des états, à l’instar des services de prospection et de gestion des risques, de consolidation de la souveraineté, de la mise à niveau de la formation et de la recherche dans un monde en perpétuelle course à l’accès à l’économie du savoir et du progrès technologique.

Professeur Kamel Besbes
Universitaire
 

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