Opinions - 28.02.2016

Guerre contre Daech au Moyen-Orient: quels enseignements tactiques et stratégiques à tirer

Guerre contre Daech au Moyen-Orient: quels  enseignements tactiques et  stratégiques  à tirer

La lutte contre l'État Islamique , plus connu sous l'acronyme de DAECH, implique directement ou indirectement une soixantaine d'États et plusieurs organisations armées non- étatiques. Comment expliquer non seulement les succès initiaux réalisés par la troupe de mercenaires de cet État fantôme, mais encore la difficulté manifeste d'une coalition groupant certaines des principales puissances militaires de la planète, à venir à bout de cette organisation?

Quels enseignements militaires tactiques et stratégiques peut-on en tirer?
Tels sont les objectifs de cette contribution d'autant plus qu'une confrontation avec DAECH n'est pas à exclure prochainement.
Le volume des forces de l'EI est  certes estimé à plusieurs dizaines de milliers de combattants mais les capacités militaires de l'organisation, qu'il s'agisse de son armement ou de ses compétences opérationnelles, demeurent malgré tout en- deça de ce que peuvent en principe déployer les forces armées régulières engagées contre elle.
La question posée n'a donc pas une réponse capacitaire ou tactique.
À souligner, par ailleurs, que les succès tactiques remportés per l'EI, à ses débuts au moins, l'a été contre des forces  irrégulières peu ou mal entraînées et équipées (l'opposition armée syrienne) ou des forces régulières convenablement entraînées mais terriblement démoralisées (l'armée irakienne).

En réalité , la résistance de l'EI aux efforts déployés pour le détruire s'explique principalement par l'effet de déstabilisation profonde que cette organisation a sur l'ensemble du système stratégique du Moyen Orient, voire au delà sur les systèmes stratégiques du monde mesulman et par son habileté  à exploiter cette déstabilisation (ces systèmes sont profondément et durablement fragilisés par l'intervention US en Irak, par les chocs internes liés à cette intervention , par de longue  guerre contre le terrorisme , et par les révolutions arabes de 2011 et les conflits internes qui les ont suivi en Syrie tout particulièrement ).
L'expansion rapide de DAECH n'a fait qu'achever cette déstabilisation et met aujourd'hui chacun des acteurs de ce système face à ses propres limites stratégiques.

Les limites stratégiques des armées arabes

La première de ces limites est militaire: DAECH fait en effet peser sur les forces armées des États du Moyen-Orient une menace pour laquelle celles-ci n'ont pas été préparées, et face à laquelle elles se trouvent dés lors opérationnellement dépourvues.

En réalité, ces armées sont essentiellement conçues pour contrer des menaces internes. Autrement dit, elles sont plutôt entraînées à une mission de sécurité intérieure pour la défense d'un État souvent fragile et parfois contesté. C'est le cas des forces terrestre de ces armées, vouées théoriquement au combat interarmes conventionnel, mais se trouvent en réalité employées au quotidien comme forces de gendarmerie (très) lourdes que pour mener d'authentiques opération de combat.

L'on touche ici à la frontière délicate à définir: entre l'emploi policier des forces armées et ce que l'on pourrait qualifier d'opérations de combats légères contre un adversaire irrégulier.

C' est là l'un des enseignements à tirer : nécessité de faire la part des choses en séparant les tâches policières de celles plus spécifiquement militaire.

Cette confusion entre le rôle théorique et l' emploi réel, s'est doublée dans plusieurs pays d'une implication directe des forces armées dans le jeu politique. Et du coup, elles se trouvent fractionnées entre différentes factions s'opposant au sein d'un seul État.

Les fragilités endogènes des nations

La compétence tactique et le talent opérationnel d'une force armée ne peuvent être considérés de manière entièrement distincte de la solidité des forces morales. Or celles-ci sont elles - mêmes dépendantes des  contextes social et politique.
Aussi, la cohésion d'une force armée dans son ensemble, repose- t- elle non seulement sur l'équilibre entre la confiance existant entre les différents niveaux de Commandement, sur l'importance accordée à la mission confiée, sur la confiance dans les compétences techniques et tactiques des hommes, mais avant tout sur un sentiment d'appartenance à une nation  et à une entité politique au service de laquelle est placée cette force.

Or il n'est pas certain que les États concernés soient en mesure de réellement susciter ce dernier sentiment, faute d'un référent national bien partagé dans des pays souvent dominés par des organisations sociales concurrentes: le tribalisme, le sectarisme, souvent conjugués à une dimension ethnique , rendent extrêmement hétérogènes les sociétés de la majeure partie des pays de la région. Le cas historique du Liban, celui très actuel de La Syrie et de L'Irak - précisément les deux pays où l'État islamique s'est implanté - ou encore, plus près de nous, le cas de la Lybie, soulignent la fragilité de ces sociétés où la cohésion est bien souvent artificiellement fondée sur la domination d'une faction sur les autres.
La fragilité intérieure de ces États réduit considérablement leur capacité à s'opposer directement aux forces de l'EI .Ces dernières  savent, par ailleurs, cibler celles des unités qui leur font face les plus susceptible de s'effondrer- ou, au contraire, concentrer leurs efforts sur les plus solides pour les mettre hors du combat, et provoquer du même coup le flottement du reste du dispositif. La combinaison des deux approches n'est pas non plus à exclure.

 Enseignement à retenir: les faiblesses de la cohésion interne d'un État et de l'assise sociale de son gouvernement fragilisent significativement la performance operationlle de ses forces armées, et en conséquence, la capacité à obtenir des résultats stratégiques probants.

Les limites de la sous - traitance stratégique

La sous-traitance stratégique actuellement privilégiée  par les USA et les autres puissances intervenantes extérieures à la région peut ,dans un premier temps, satisfaire l'ensemble des États qui y prennent part. Elle satisfait les États arabes parce qu'une campagne de frappes aériennes épargne à leurs armées l'épreuve d'un affrontement direct .Elle satisfait les USA et ses alliés car ceux -ci ne sont pas prêts, non plus, à s'engager directement contre DAECH. Elle satisfait la Russie (et derrière eIle les BRICS) car son retour en force sur la scène moyen - orientale confirme la fin de l'hégémonisme US dans cette  région et dans le reste du monde. Mais de toute évidence, cette sous - traitance ne peut pas fonctionner car la  désunion des buts poursuivis par les adversaires de l'El permet à celui-ci de déjouer des efforts déployés pour le neutraliser.

Un emploi inapproprié de l'arme aérienne

En étudiant de près la conduite des opérations, l'on se rend compte que la coalition semble avoir adopté un plan de frappes privilégiant quatre modes d'action:

  • La désorganisation du Commandement de l'organisation par des frappes ciblées contre ses cadres identifiés.
  • L'interdiction des forces de l'EI de s'approvisionner en hydrocarbures et en munitions
  • La reconnaissance armée avec des frappes d'opportunité contre les convois et moyens militaires lourds (chars, VTT blindés, ...) et positions fortifiées identifiées.
  • L'appui direct des combats au sol

Le problème qui se pose est celui de l'efficacité de telles frappes.Si la reconnaissance armée et L'interdiction ont un effet immédiat et contribuent à limiter l'autonomie opérationnelle des unités de l'EI, les frappes contre les cadres sont discutables. Parce que d'abord, la stratégie de DAECH consiste à s'introduire le plus rapidement possible dans les zones urbaines pour s'imbriquer avec la population et échapper aux frappes aériennes et autres.

Ensuite , de telles interventions par air n'ont aucun effet immédiat sur la performance des forces de l'EI, sauf si elles sont en conjonction directe avec une opération terrestre susceptible d'exploiter la désorganisation momentanée qu'elles créent.
Il est, en outre, peu probable qu'elles aient un effet durable sur une force dont l'organisation se rapproche plus de celle des Taliban ou de Hizballah libanais que des réseaux terroristes d'El Qaïda . Ce type d'organisation a une structure davantage liée à des hiérarchies fonctionnelles qu'a des hiérarchies d'individus: L'on peut certes tuer celui qui occupe le poste, mais plus difficilement sa fonction.

Pour en finir " vraiment " avec Daech...

Il faut dire que le développement d'une stratégie crédible semble hors de portée .D'une part , en raison de faiblesses stratégiques tant militaires que sociales des pays de la région, exposées précédemment. Ensuite, en raison de l'absence d'une volonté réelle et crédible d'en finir vraiment avec DAECH et le terrorisme en général.
La seule stratégie valable serait de mener contre l'EI une guerre offensive à outrance jusqu'à ce que l'organisation soit défaite militairement et qu'elle ne soit pas en mesure de reconstituer ses forces ou que ne lui en succède pas un autre.

Mohamed kasdallah
 

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