Opinions - 09.12.2013

Loi des finances 2014: verra-t-on bientôt le bout de tunnel?

Au moment où la stabilité politique et la paix sociale continuent d’agir positivement sur les performances économiques des pays développés et émergents, les tractations politiques et les soubresauts socioéconomiques enregistrés dans notre pays poussent vers le sens contraire.

Les chiffres montrent que dans les pays de l’OCDE, la croissance atteindra 2.3% en 2014 contre 1.2% en 2013. Même dans la zone euro, encore accablée par la crise de la dette souveraine, les données montrent que cette zone croîtra à un taux de 1.6% l’année prochaine contre 1% cette année. De même, dans les pays émergents des BRIICS [1], les statistiques prouvent qu’en moyenne, la croissance approchera les 4.5% en 2014 contre 3.6% en 2013 [2].  

En Tunisie, bien que les données disponibles montrent que nous ferons un peu plus de croissance en 2013 qu’en 2012 (4% contre 3.6% selon le FMI), économistes, analystes financiers et hommes politiques s’accordent sur le fait que l’année prochaine sera une année plus difficile et que, par conséquent, les perspectives de croissance ne seront pas meilleures.    

Le projet de loi des finances (LDF) 2014, supposé rectifier le tir et donner une bouffée d’oxygène à l’économie tunisienne, a au contraire renforcé les craintes autour d’un véritable redressement de la confiance et d’un démarrage effectif d’une croissance saine et inclusive.

Au risque de prendre les problèmes par le petit bout de la lorgnette, nous essayons ici d’évaluer la LDF 2014 selon deux volets interdépendants ; il s’agit de la crédibilité et de la transparence de cette loi.

De la crédibilité de la LDF

Dans le domaine monétaire, l’une des conditions de réussite de la banque centrale dans la conduite de sa politique monétaire est le fait de fixer des règles claires et contraignantes qui permettent à cette banque centrale d’assurer une crédibilité auprès des agents économiques.

Au niveau des finances publiques, la crédibilité d’une LDF implique que ce qui est affiché dans cette loi correspond à ce qui est effectivement réalisé. Or, pour garantir cette crédibilité, il faut dès le départ se baser sur des hypothèses bien calibrées.

Rappelons dans ce cadre que la LDF 2013 a été basée sur des anticipations de croissance de l’ordre de 4.5% et que ce taux a été revu à la baisse plusieurs fois dans l’année. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un taux de l’ordre de 2.8% et nous espérons atteindre un taux proche de 3% d’ici la fin de l’année ! [3].

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le projet de LDF 2014 a été revu trois fois en un seul trimestre (une première version fuitée en septembre, une deuxième présentée dans une conférence de presse et une dernière revue par un conseil des ministres). De plus, ce projet a été conçu en se basant sur une hypothèse de croissance proche de celle affichée lors de l’élaboration de la LDF 2013 (4%). Or, économistes, experts nationaux, universitaires et agences de notation s’accordent sur un constat implacable : les prévisions de croissance effectuées il y a plus d’une année ne sont qu’une chimère illusoire et l’économie tunisienne ne croitra pas à un taux supérieur à 3%. Le début difficile de la saison agricole, l’enrayement du secteur touristique, le ralentissement de l’activité de production de phosphate et le basculement progressif vers une politique de rigueur budgétaire ne peuvent que conforter ce constat.

Dans le même cadre, nous pouvons nous rappeler aussi des erreurs de prévisions se rapportant aux recettes issues des « Sukuks islamiques » et des biens confisqués de l’ancien régime. En effet, dans le cadre de la LDF 2013, il est clair que les prévisions des rentrées d'argent dans les caisses de l'État liées à ces deux rubriques (1000 milliards pour l’émission des Sukus et 900 milliards pour la vente des biens confisqués) ont été bien moindres que prévu.

Étonnamment, les mêmes erreurs se répètent dans le projet de LDF 2014 et nous nous retrouvons encore une fois avec des prévisions foireuses basées sur des rentrées fiscales fort optimistes. En particulier, les montants déclarés et qui s’élèvent à 825 milliards au titre de « Sukuks islamiques » et à 1000 milliards au titre de « recettes de confiscation » seront difficilement réalisables et ce, pour de multiples raisons (montée de l’aversion au risque, dégradation de la note souveraine du pays, problèmes de gouvernance de « Al-Karama Holding »...).

De la transparence de la LDF

Dans le domaine monétaire, la transparence est souvent évoquée pour désigner la conduite d’une politique monétaire visible et compréhensible pour le public et les marchés et où la différence entre ce qui est pratiqué par la banque centrale de ce qui est déclaré est minime.

Au niveau des finances publiques, la transparence d’une LDF est synonyme d’une meilleure visibilité dans l’élaboration de cette loi, d’une droiture dans la divulgation des informations et d’une bonne communication lors de son exécution. Or, pour garantir cela, il faudrait assurer une véracité dans les chiffres annoncés au cours de l’étape d’élaboration d’une part et poursuivre un travail minutieux de suivi au cours de l’étape d’exécution d’autre part.

Rappelons dans ce cadre que la LDF 2013 a été marquée par une certaine opacité. En particulier, il a été constaté par exemple au niveau des « ressources » la disparition de certaines rubriques (la rubrique 40-01 liée aux bénéfices de l’exploitation pétrolière et la rubrique 40-02 liée aux redevances complémentaires à la charge des sociétés pétrolières). De surcroît, du côté des « emplois », on ne sait pas jusqu’à maintenant où nous nous trouvons au niveau d’accomplissement des projets déclarés et surtout quel suivi on assure au niveau du financement de ces derniers.

Malheureusement, le projet de LDF 2014 soulève aussi d’importantes suspicions tant du côté « ressources » que du côté « emplois ». En effet, les déclarations faites au niveau des ressources énergétiques par exemple semblent être en déconnection avec le potentiel de production des hydrocarbures en Tunisie, surtout si on apprend que le pays produit l’équivalent de 140000 barils par jour entre pétrole et Gaz naturel [4]
Par ailleurs, au niveau des emplois, rien ne garantit un changement des pratiques anciennes et un meilleur suivi des modalités de financement des projets déclarés. Rien aussi n’assure que ces modalités sont concrètes et que l’on n’assiste pas à des amputations fictives des dépenses publiques ! 

Le bout de Tunnel?

L’élaboration du projet de LDF 2014 nous pousse à poser plusieurs interrogations : Quel crédit faut-il accorder aux hypothèses sur lesquelles se base l’élaboration de cette loi si celles-ci se trouvent finalement irréalistes ? Croit-on encore sur parole l’exécutif ? Pourrait-on être poussés encore une fois vers la révision de cette LDF ou l’élaboration d’une loi complémentaire en 2014 ?

Ces différentes interrogations requièrent une réflexion poussée sur les mesures à entreprendre qui permettront d’éviter les mêmes erreurs et les mêmes contre-vérités enregistrées au sujet de LDF.   
  
Notons que l’indépendance de la banque centrale est souvent invoquée comme exutoire aux problèmes de crédibilité et de transparence des autorités monétaires. L’indépendance sous-entend ici la délégation de la politique monétaire à une banque centrale non soumise aux instructions du gouvernement, ce qui permet à cette banque centrale de bénéficier d’une meilleure réputation auprès des agents et de limiter l’opacité qui régit son activité.

Dans le domaine des finances publiques, il est plus raisonnable de parler de responsabilisation du gouvernement lors de l’élaboration et l’exécution de toute LDF. Cette responsabilisation suppose deux préalables. D’une part, une implication de plusieurs acteurs (banque centrale, syndicats, organisations patronales, associations...) lors de la préparation de cette loi, ce qui permet une bonne calibration des hypothèses sur lesquelles se base cette dernière et garantit une meilleure crédibilité de celle-ci. D’autre part, un engagement ferme prenant plusieurs formes (une divulgation des vrais chiffres, des explications sur le degré de succès des objectifs tracés, sinon, des clarifications sur les solutions alternatives en cas d’échec...) lors de l’exécution de la dite loi, ce qui améliore la communication auprès du public et renforce la transparence du gouvernement.

En Tunisie, il est clair que ces deux préalables sont loin d’être vérifiés, ce qui intensifie les doutes sur la capacité de la LDF 2014 à constituer un cap sérieux pour l’économie et renforce l’hypothèse d’un éventuel échec similaire à celui de 2013. 

Aram Belhadj
FSEGN, Tunisie
Université d’Orléans, France

[1] Brésil, Russie, Inde, Indonésie, Chine, Afrique de Sud.
[2] OECD (2013): « OECD Economic Outlook » Volume 2.
[3] Voir communiqué du conseil d’administration de la banque centrale de Tunisie réuni le 27 novembre 2013.
[4] CYGAM Energy Inc. Tunisie.

Tags : fmi   Tunisie  
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