«La prochaine guerre en Tunisie», doit encore avoir lieu
Alors que viennent de s’ouvrir des assises de la société civile visant à développer une proposition de « Projet de Société » pour la Tunisie postrévolutionnaire, le stratège Cyril Grislain Karray, a été sollicité par les mouvements et associations organisatrices d’y contribuer activement, notamment en soumettant ses analyses et propositions stratégiques pour le pays.
Suit le texte intégral de sa première contribution à ce projet majeur et ambitieux, avec le but avoué de secouer et de faire tendre vers un avenir possible, même s’il peut sembler de nos jours improbable.
Que voulons nous devenir quand nous serons grands ?
Un projet de société doit d’abord énoncer et porter un rêve.
Un rêve grand, immense même, pour les générations futures, facile à énoncer et à imager.
Nous avons déjà porté et concrétisé de dure lutte un rêve collectif : l’indépendance.
Ensuite, un autre est venu : l’école pour tous.
Et encore un autre : l’émancipation de nos femmes.
Plus récemment, le peuple a concrétisé un dernier rêve aussi puissant que trop instantané : dégager la dictature mafieuse.
En réalité, voilà longtemps que la Tunisie ne rêve plus ensemble, dans la même direction, d’une destination collectivement inspirante et engageante. Elle a certes des envies, des besoins, des doléances, des idéaux pour certains. Mais la Tunisie n’a plus de rêve collectif. Du moins plus de ‘grand’ rêve.
Entre temps, quarante années de dictateurs se voulant et agissant en ‘père protecteur’ ont eu pour terrible conséquence de bien trop couver les tunisiens. J’ose même dire, de nous infantiliser, tous que nous soyons, nantis ou moins munis, par rapport à la dimension et la violence de la bataille géo-politico-économique qui nous entoure. Ceci, dans un pays de petite taille, culturellement et historiquement relativement conservateur, résulte en un syndrome général de ‘petitesse’, d’insularisation, de préférence pour le repli, d’inquiétude et de déresponsabilisation face à un monde qui semble lointain et frénétique.
‘Fih el barka’ comme on dit. Appelant au suffisant plus qu’au nécessaire. La modération.
En effet, aussi loin que remonte la mémoire des Tunisiens, chacun et tous, sont sincèrement et profondément modérés. Modérés même en temps de révolution d’ailleurs : un ‘révolutionnaire modéré’ serait certainement une contradiction partout ailleurs, mais une évidence, une génétique, chez nous. Une qualité humaine remarquable, qui n’est possible que dans un véritable creuset et carrefour de civilisations que nous sommes. Une qualité qui distingue notre peuple et qui explique cette fameuse et réelle ‘douceur de vivre’ que ses ancêtres, ses enfants et ses invités ont toujours louée. Mais une valeur qui a aujourd’hui la vie dure.
Parce que l’autre face de la modération se traduit souvent en trop de complaisance, d’accommodation, de retenue, de nonchalance et même, osons le dire, de médiocrité. Et ainsi nous avons gagné cette remarquable aptitude à nous satisfaire d’être les meilleurs d’Afrique et du Monde Arabe dans presque tous les domaines, pour en oublier avec convenance que nous ne sommes finalement qu’au milieu du tableau de l’humanité. En fait, ceux qui voyagent et travaillent dans le monde observent que sont rares les peuples aux résultats collectifs finalement objectivement très moyens mais ayant autant de fierté et de suffisance individuels.
Et puis, n’en déplaisent aux nombreux qui se réfugient derrière toutes sortes de théories du complot ou de théologies et aux autres qui s’inventent de l’importance, la brutale vérité est que le monde se soucie très peu d’un petit pays de onze million d’habitants, peu riche en ressources, coincé entre des voisins bien plus importants sur l’échiquier géopolitique, et que la majorité de l’humanité ne saurait même placer sur la carte du monde.
Ainsi, même nos ‘plus grandes’ entreprises ne seraient ailleurs que des ‘moyennes’, au grand mieux, et sont gérées comme des échoppes. Nous avons certes bien des très fiers milliardaires, …. mais en millimes ! Et si nous sauvons parfois l’honneur dans les compétitions internationales, il suffit d’une seule main pour compter nos médailles. Comble du comble, notre seul prix Nobel se prénomme … Charles.
C’est qu’à force de se complaire dans notre modération et position de ‘meilleur de la deuxième moitié du monde’, on finira surtout par continuer à être dilués, et oubliés.
Alors, dans un monde globalisé et hyper accéléré dont nous ne saurions nous couper et auquel nous ne pouvons prétendre, sauf par romantisme, d’imposer nos termes et notre rythme, comment ne pas continuer à perdre de la vitesse, mais plus encore, rattraper pour dépasser ce ‘milieu’ auquel nous semblons condamnés?
Soyons en certains, les ambitions des nouvelles nations qui gagnent ainsi que des pays traditionnellement compétiteurs de la Tunisie n’ont rien de modérées.
Nous devons sortir du ‘milieu’, du ‘petit’, du ‘modéré’. Nous devons embrasser l’ambition et le langage du grand, du fort, du ‘top’.
Et c’est ainsi que nous devons exprimer notre rêve, et le projet de société qui le porte. Pour qu’il soit à la hauteur que d’avoir dit un jour : nous allons devenir indépendants et maîtres de notre Nation.
Par exemple, en sortant d’une dictature bien plus effroyable et meurtrière que la notre, et en ouvrant leur pays, 180 millions de Brésiliens portent et verbalisent partout, tous les jours, le même rêve : du boucher au milliardaire, du jeune à la grand mère, ils veulent tous, tous les jours, de toutes leurs forces : « Devenir un pays du 1er monde » (expression inventée de toute pièce par l’inconscient collectif, en opposition à la notion de ‘Tiers-Monde’ dans lequel le Brésil a découvert avoir été classé, à son insu, dans les livres d’histoire de l’Occident).
Dans mon livre, « La Prochaine Guerre en Tunisie – La victoire en 5 batailles », je propose que nous ayons le rêve de :
«Devenir LA Suisse de la Méditerranée et LE Singapour de l’Afrique »
Un rêve que je crois encore possible, dont je développe le plan dans mon livre, et dont les chapitres suivants résument l’essence.
Il serait certes peu aisé d’engager le peuple autour d’une telle terminologie, mais c’est cet esprit, ces images, cette ambition qu’il faut tenter insuffler et transmettre.
Avant tout, un etat d’esprit et une methode ancres dans la rupture et la transformation
Atteindre ce rêve, développer le projet de société qui le portera, ne saurait être à la mesure d’une révolution, si nous n’abandonnons pas la fameuse ‘politique des étapes’, ainsi que la mentalité, le langage et les solutions qui en découlent.
Que l’on aime ou pas, l’ampleur de notre défi, l’urgence de notre jeunesse, le rythme de notre monde et la brutale compétition entre les nations pour l’emploi et la souveraineté économique ne nous permettent plus le petit à petit et le consensus mou.
Une transformation s’impose, avec ses sueurs, ses cris, ses camps, ses arbitrages douloureux.
Evidemment que cela est difficile. Très difficile. En premier lieu pour être très contraire à notre nature profonde. Mais cette difficulté n’est rien en comparaison à ce que deviendrait une Tunisie de 2 millions de pauvres, d’exclus et de chômeurs dans pas plus tard que cinq ans si nous continuons sur notre lancée des dernières années.
Nous, les ‘labes alina’, devons réaliser que ce tant vanté modèle tunisien (nous nous gargarisions encore récemment du soit-disant ‘miracle tunisien’, ‘bon élève de la Banque Mondiale’ et ‘immunisés contre les crises’), et qui au fond nous convenait tous assez bien, est en réalité un anti-modèle en passe de laisser en héritage à nos enfants un pays dépourvu d’emplois, stigmatisé aux yeux du monde et littéralement désertique.
Nous devons non seulement nous débarrasser de décennies d’accumulation silencieuse, devenue bruyante, et enfin révolutionnaire, de retards et défis de développement dans tous les domaines structurants. Mais en plus faire un grand bond pour entrer de plein pied dans le 21e siècle.
Certes notre verre n’est pas vide et nos acquis sont nombreux. Mais dans le monde actuel, le développement ne peut se concevoir qu’en termes relatifs, et non absolus, en comparaison avec les autres nations qui luttent aussi pour les mêmes marchés, les mêmes ressources, les mêmes emplois que nous.
Or, relativement, le monde nous distance de façon accélérée sur au moins deux domaines vitaux :
1- Notre économie accuse un retard de 20 ans, est encore peu compétitive, ancrée dans des marchés à faible croissance, dominée par une culture de rentiers et son modèle génère une croissance principalement issue de la formation brute de capital fixe et bien trop peu de la productivité du travail et du savoir. Non, pas une réforme, une révolution économique !
2 - Notre système de développement des ressources humaines, depuis la petite enfance jusqu’à la sortie sur le marché de l’emploi est entièrement tendu vers le mauvais indicateur : la production de diplômés, principalement embauchés dans l’administration. Alors que notre démographie et la globalisation nous imposent de produire de l’employabilité, de l’adaptabilité professionnelle, et de la compétitive des ressources humaines à l’échelle planétaire. Un diplôme c’est bien, un emploi c’est mieux !
Enfin, les idées n’ont jamais vraiment manquées, les experts pullulent tout en se ressemblant, les séminaires et autres conférences ‘blablateuses’ remplissent les agendas, les études dites stratégiques inondent les bureaux des ministères, le jargon et les slogans se répètent et les plans se succèdent. Mais les résultats et le changement ont tant tardé et sont restés si superficiels qu’une révolution est venue sanctionner un de nos plus grand maux :
3 - Une remarquablement faible capacité d’exécution. Nous discourons beaucoup. Nous faisons finalement peu. Il faut se doter des institutions et du leadership capables d’exécuter une véritable guerre.
Ainsi je développerai le reste de cette réflexion autour de ces trois thèmes, chacune exposée comme une véritable bataille.
1. Non, pas une réforme, une révolution économique !
Les objectifs de cette bataille s’inspirent du succès de nouveaux pays, anticipent les tendances lourdes de la géo-économie et de la géopolitique mondiale, tout en restant froidement objectifs sur nos atouts et nos faiblesses. La priorité absolue doit être d’employer, et donc rendre productive, notre principale richesse : les tunisiennes et les tunisiens. Mais pas dans n’importe quels emplois.
Dans mon livre je décris le potentiel de onze sources de création d’emplois et de richesses, souvent inédites, pouvant créer au moins 500.000 emplois décents et durables (au sens de l’Organisation Internationale du Travail).
Au cœur du dispositif de création d’emplois, la croissance dans les services, très fortement recruteurs de diplômés :
a. Créer 150.000 emplois dans l’Offshoring (services à l’export : traitement de la voix, des données, développement informatique, services professionnels à distance, R&D, etc. Au total des dizaines de secteurs). L’Inde en a déjà plus de 2 millions, les Philippines plus de 500.000. Cette année, alors que nous continuons à faire la fine bouche plutôt que de persévérer dans un secteur où nous avons des atouts de taille, un centre d’appels marocain vient de racheter un homologue français, … en France. C’est une tendance lourde et irréversible : les services vont se délocaliser comme l’industrie. Profitons en !
b. Attirer les grandes firmes professionnelles et les sièges régionaux de multinationales, qui partout tirent toute l’économie et l’enseignement supérieur vers le haut.
c. Instaurer des juridictions financières offshore, telles que Panama ou Malte.
d. Développer un pôle associatif à vocation régionale. En focalisant sur des ONGs et associations marchandes de taille, et qui en Europe créent 4 emplois là où l’économie en crée un seul.
e. Augmenter, professionnaliser et formaliser les services de proximité et à la personne.
f. Instaurer un service civil post-bac, encadré par l’armée et consacré à des travaux d’utilité et de développement national, formant les jeunes à l’éthique du travail, la gestion par projet, le civisme, et leur permettant de découvrir un peu mieux leur vocation avant l’orientation universitaire. Et retardant d’autant, mais de façon utile, l’arrivée massive et inéluctable de contingents de lycéens alors que l‘économie ne changera pas aussi vite.
g. Stimuler une courageuse restructuration de nos locomotives historiques des services, dans le public comme le privé. Ce qui inclut, entre autres, de réellement privatiser la majorité des services publics marchands auprès d’opérateurs confirmés (comme TunisAir), de raser des dizaines d’hôtels sous perfusion de la collectivité au travers de nos banques publiques, de fusionner nos 23 (!) banques ainsi que nos 18 (!) compagnies d’assurance, etc. Et d’ainsi créer de véritables champions, au niveau d’échelle et de productivité de leurs pairs étrangers, pouvant embaucher des cadres, investir, innover et mieux s’imposer dans la région.
Une migration forcée vers une économie, et donc une société, de services, qui n’exclut pas l’impératif de :
h. Accélérer la transition de notre agriculture vers un modèle plus empreint d’agro-écologie et de valorisation holistique de nos productions, de nos terroirs et de nos paysages. Tout en maîtrisant notre déjà très grave désertification.
i. Devenir un leader mondial dans les métiers de l’infrastructure verte et de l’efficacité énergétique.
j. Revaloriser les filières de métiers manuels et de techniciens qualifiés.
Nous avons aussi un impératif de bien mieux valoriser et monnayer le peu de ressources vraiment distinctives que nous avons et que nous avons pour le moment soit trop protégées, soit bradées:
k. Notre capital solaire, en forçant de façon accélérée nos législations et la STEG pour l’installation des centrales électriques exportant l’énergie en Europe.
l. Notre capital immobilier de prestige de côtes magnifiques que nous bétonnons avec des concepts architecturaux, d’urbanisation et de paysagisme ainsi que des techniques de construction totalement dépassées et pour des revenus au mètre carré parfaitement désolants.
m. Nos terres arables, selon des modèles y facilitant bien plus l’investissement étranger.
n. Notre capital minier, en commençant par mettre au niveau de classe mondiale le GC-CPG et en renégociant les niveau de royalties/rétribution à l’Etat tunisien des concessions accordées par le passé aux société d’exploitation (ciment, gaz, pétrole, etc).
Mais cela ne suffit pas, et prends du temps.
Alors il faut oser l’impensable, mais qui aurait des répercussions positives extraordinaires si l’on se donnait la peine de bien y penser et de bien le penser : donner en concession aux opérateurs asiatiques spécialisés un véritable ‘Las Vegas’ ou mini-Macao, au sein de la zone militaire, et qui serrait fermée, de Gafsa. ‘Las Gafsa’, ce serait au bas mot un investissement de 10 Milliards de U$, un PIB annuel de 2-3 Milliards de U$, près de 500 millions de clients potentiels en zone de chalandise sans concurrence comparable, des dizaines de milliers d’emplois de haut niveau dans les services et l’hôtellerie permettant de remettre aux standards tout notre tourisme, un désenclavement magistral en infrastructure, revenus et ‘middle management’ de toute la zone au sud de Kairouan, le renflouement de nos réserves en devises au point de permettre la convertibilité. Et tant d’autres que cela en donne le tournis. La zone serait ‘fermée’, au sens que les passagers y atterrissant ne passeraient pas la frontière, qui serait autour de la zone, et exclusive aux joueurs pouvant y dépenser uniquement en Euros, Yen ou U$.
Inacceptable ? Qu’est ce qui l’est le plus ? Cela, ou 20% des tunisiens démunis ? Cela ou un bassin minier une fois de plus poussé à bout dans son désespoir ?
En tous cas, l’Espagne est en train de négocier cette idée avec les opérateurs américains. Il y a certainement de la place dans la région pour un pôle du jeu et de spectacle. Probablement pas pour deux. Qui l’aura ?
Aucun autre ‘grand projet’ de ces Tunisia Sport City ou Financial Harbour, immensités de bétons dépourvu de substance économique moderne ni de capacités productives réelles avant une décennie au moins, ne peut avoir autant d’impact.
Pour permettre cela, nous devons mettre en place et à marche forcée, sans complaisance ni tabous, les conditions structurelles de cette révolution. Nombreuses sont communément citées : infrastructures, réglementation, statuts et coûts des travailleurs, réforme fiscale, etc. Ici je mettrai l’emphase sur certaines moins habituelles, mais tout autant transformationnelles :
- Remettre totalement à plat notre code des investissements qui n’est au final qu’une série de légers amendements à une loi datant déjà de 50 ans (1972) ! De façon à inciter les métiers et productions basées sur l’immatériel, l’humain, la technologie et le savoir. Et de façon à valoriser nos ressources clefs : la côte, le soleil, les terres arables, les quelques ressources minières. Et à attirer le meilleur du monde chez nous.
- Créer un fonds générationnel, assorti d’un Grand Emprunt National, permettant d’utiliser les techniques d’effet de levier de l’investissement et d’attirer les professionnels de fonds souverains, pour financer les grands projets et les restructurations majeures
- Redistribuer courageusement plusieurs dizaines de milliards de dinars pour éradiquer la misère, ne reculer devant aucune restructuration tout en assurant un revenu et une nouvelle formation professionnelle aux victimes de ce grand chamboulement, ainsi que permettre aux centaines de milliers de jeunes d’aujourd’hui de vivre et d’entreprendre en attendant que soient créés les emplois de demain.
- Repenser l’aménagement socio-économique du territoire selon la logique démontrée de ‘culsters’ régionaux, focalisant des régions (plusieurs gouvernorats) sur 2-3 métiers, plutôt que de continuer ce drame de l’essaimage des restes, selon lequel chacun veut avoir un peu de tout pour ne finir qu’avec pas grand chose de rien
- Serrer la ceinture de l’Etat, d’abord en le réduisant. Pour un Etat qui gère moins, mais qui cadre mieux. Pour un Etat qui contrôle moins, mais qui facilite et audit à posteriori. Pour un Etat stratège et non pas omniprésent.
- Refondre totalement notre fiscalité, en visant à étendre la base et baisser les taux, et donc en formalisant plus rapidement notre économie. Il y a pour cela des solutions créatives au Bengladesh, au Chili, au Brésil et ailleurs, utilisons les ! Et, impérativement, renforcer la taxation de l’immobilier et des rentes en général, pour réinjecter l’argent dans l’économie productive.
- Créer un ‘Compte-Avenir’ pour chaque diplômé, en lui ouvrant un compte bancaire avec 3.000-7.000 dinars selon la filière dont il est issu, déposés par l’Etat, qu’il pourra utiliser à sa guise pour investir dans un projet professionnel ou professionalisant, seul ou en consolidant avec d’autres.
- Diversifier agressivement nos modèles de référence, nos partenaires étrangers et nos marchés vers les pays du Sud
- Apprendre à ‘laisser faire’, en particulier les opérateurs étrangers confirmés. Le monde le saurait si nous étions si capables de ça de faire ‘le top’
2. Un diplôme c’est bien, un emploi c’est mieux.
Hormis la fertilité (rapidement déclinante) de nos terres, notre potentiel touristique et notre ensoleillement comme future source d’énergie, nous n’avons fondamentalement à offrir au monde que nos talents. Mais rendons-nous à l’évidence : notre modèle culturel, social et éducatif est si fier de produire 65.000 diplômes par an, qu’il en oublie que la moitié bascule dans le chômage ! Nos jeunes acquièrent peut-être du savoir, mais trop peu de savoir-faire.
Nous devons étendre leur révolution à tout notre système de préparation de nos étudiants à la vie active, pour qu’ils deviennent « prêts à l’emploi » dans ces métiers de l’avenir, tournés vers le monde et donc basés sur la généralisation de la réelle maîtrise des langues étrangères.
Ce sera la plus dure de toutes les batailles. Mais une bataille impérative et absolument décisive, que le livre développe sur dix fronts qui ne manqueront pas de secouer.
L’ambition ? Rien de moins que de développer une jeunesse parmi les plus employables et les plus adaptatives du monde. Des solutions existent, mais elles demandent avant tout courage, cohérence socioculturelle et détermination à faire pleinement partie du monde entier. Parmi ces solutions :
a. Re-former des contingents entiers de diplômés. Rendons-nous à la douloureuse évidence : nos chômeurs, qu’ils viennent du ‘stock’ qui s’accumule ou des nouvelles classes, ne sont pas prêts à l’emploi. Il faut ‘finir’ leur formation. Certains états de l’Inde par exemple ont aidé le privé à mettre en place des programmes de 6-9 mois ultra professionalisants, sponsorisés par les employeurs eux mêmes avec promesses d’embauche à la clef, dans des ‘écoles de finition’. Il nous en faut.
b. Augmenter massivement la proportion de diplômés Ingénieurs, Techniciens et Informaticiens, qui partout comme chez nous souffrent bien moins du chômage.
c. Avec 90% de l’enseignement dominé par un Etat en retard de cycle économique et de savoir, terriblement bureaucratique et d’inspiration très académique (à la française) notre système sera incapable de se transformer aussi rapidement que le monde ne se transforme, coller à la demande des employeurs en mutation constante et apporter l’apprentissage en ‘soft skills’ (pratique, présentation, travail en équipe, esprit d’entreprise, gestion par objectifs, montage de projets, etc) si vitaux pour les employeurs. Il faut :
• Recycler massivement les professeurs, avec notamment plus de passerelles entre public et privé ;
• Libérer une partie du système vers le privé et les consortiums d’employeurs, tunisiens et étrangers ;
• Sortir de la fierté suicidaire du ‘tout tunisien’ et au contraire faire des ponts d’or pour les institutions et les formateurs étrangers, comme le font Singapour, l’Estonie, Qatar et d’autres ;
• Consolider la carte universitaire : avec plus de 200 établissements pour un si petit pays, nous sommes surtout certains d’essaimer la médiocrité des moyens et des perspectives ;
• Remettre en question le sacro-saint ‘Baccalauréat’ en rehaussant son niveau pour retrouver un vrai passage de méritocratie tout en élargissant les possibilités d’orientation, notamment vers le ‘vocational training’ (métiers concrets, apprentissage et compagnonnages, techniciens supérieurs, etc) ;
• Placer les employeurs actuels et espérés au cœur du dispositif universitaire, dans l’orientation, la définition des programmes, le choix du corps professoral, etc.
d. Redonner à nos jeunes la fierté des travaux techniques et manuels.
e. Massifier l’enseignement des langues. Et en particulier, imposer l’anglais, enseigné par des anglophones, et sanctionné par un certificat internationalement reconnu. Avec notre français décadent et notre arabe aux opportunités restreintes (face aux 150M d’egyptiens, libanais, syriens, etc, bien meilleurs en arabe et des pays du golfe travaillant de fait en anglais), nous sommes en train de nous retirer de ce monde ultra-communiquant, sans en prendre conscience. Si notre pays fonctionnait en arabe-anglais, comme les pays du Golfe, où en serions nous déjà ?
f. Renover l’arsenal et les dispositifs d’accompagnement des demandeurs d’emploi.
g. Informer et éduquer les parents .
Pour réaliser cela, nous devons :
- Combattre les corporatismes et l’impression d’immensité impossible de la tâche. D’autres l’ont fait avant nous. Ils étaient déterminés et ressentaient le péril en demeure bien plus intensément que toutes ces difficultés de changement.
- Restructurer complètement, et rajeunir, les directions universitaires
- Exiger la culture du seul résultat qui compte : le taux d’emploi à la sortie
- Cesser de nous inspirer du modèle éducatif français loin de s’être prouvé en terme d’employabilité de sa jeunesse tout en disposant de moyens financiers et humains incommensurablement supérieurs aux nôtres
- Réduire massivement les filières prouvées sans avenir
- Faire tomber le mythe de l’enseignement supérieur gratuit. La gratuité devant être maintenue, voire étendue (logement) pour les plus démunis. Mais les enfants des plus fortunés peuvent et doivent contribuer, et ainsi se sentir responsabilises et acteur réel dans la gestion et les résultats du système.
3. Se doter des institutions et du leadership capables d’exécuter une telle guerre.
Cette guerre contre la pauvreté, l’exclusion et le chômage, et donc une guerre pour l’avenir, la dignité, l’existence, sera titanesque.
Nous devons nous donner les moyens institutionnels et de Leadership capables d’inspirer, de structurer, de conduire et de tenir une transformation d’une telle échelle et complexité. Et ceci à un moment où la compétition mondiale fait rage, où nos voisins sont en pleine transition et où nos marchés habituels stagnent et sont tentés par plus de protectionnisme.
Or, si nous avons jusqu’à présent échoué à intégrer cette jeunesse dans notre société, c’est autant par manque de vision et d’ambition, que par notre incompétence dans l’exécution. Nous étions depuis trop longtemps dans une ambiance et des méthodes de fin de règne, rongés par l’inertie, la courte-vue, l’accommodation, la complaisance, la bureaucratie. A ceci s’ajoute le drame du non renouvellement de leadership, du cruel déficit de middle-management compétent, de la corruption autant intellectuelle que matérielle et de l’incapacité de se réinventer.
C’est en effet dans l’exécution que sera notre plus gros défi. Comme l’on dit, le génie c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration. Il nous faut la détermination, le leadership, les compétences, l’énergie, les mentalités et les comportements de guerriers socio-économiques aguerris et organisés.
Malheureusement, la Constitution qui se prépare et le régime de l’Exécutif qui s’en dessine ne donneront pas l’impulsion et les prérogatives décisives et nécessaires à une exécution volontariste et à marche forcée. La Constitution ne sera pas le ‘bond en avant’ ni l’instrument de gouvernance efficace tant nécessaire.
Il nous reste tout de même à:
a. Tuer l’étatisme et la bureaucratie. « A Tunis vous n’avez pas compris qu’ici, la bureaucratie est plus forte que Ben Ali » - un chef d’entreprise, à Sidi Bouzid
b. Autoriser le gouvernement à agir par décret-loi sur les questions socio-économiques
c. ‘Raccourcir’ le pays et en accélérer les chemins d’exécution:
• Redécouper et réduire la carte ministérielle à 20 ministères
• Réduire la quantité d’Agences Publiques qui font trop souvent doublons, voire entrent en conflit, avec les Ministères
• Remplacer les 24 gouvernorats par 6 régions à forte autonomie, récupérant une large part des prérogatives que la Capitale avait sur elles, ayant toutes une façade maritime et une part de notre frontière terrestre (sauf pour Tunis déjà super-dotée en moyens et pouvoir). Chacune serait dirigée par un Président de Région élu, qui fonctionnerait en triumvirat avec un Président du Tribunal Administratif et un Gouverneur chargé de la sécurité.
d. Finir de retirer de la CPG ses fonctions sociales historiques se substituant à l’Etat et la remettre au niveau de compétitivité mondiale, tout en rétablissant l’Etat dans ses fonctions sociales et de développement dans le bassin minier
e. Faire un pont d’or aux compétences tunisiennes expatriées et aux professionnels étrangers confirmés. Apprenons à ne nous contenter que du meilleur qu’il y a dans le monde !
f. Rajeunir de 15 ans la moyenne d’âge de nos dirigeants. Il est grand temps que les jeunes décident, en écoutant leurs anciens. Le contraire ayant déjà largement prouvé ses limites.
Pour conclure
Tentons par cet exercice de ‘Projet de société’ de vraiment retrouver le bien le plus précieux qu’offre une révolution : une page blanche.
Une page blanche qui permet de déconstruire et de restructurer ce qui doit l’être. D’effacer, sans timidité ni complaisance.
Une page blanche qui autorise et oblige, de faire des bons en avant, d’écrire avec une nouvelle encre, d’envisager l’inimaginable.
Une page blanche qui nous focalise sur ce qui ‘doit’, et non pas sur ce qui ‘peut’.
Quand on connaît les chantiers de Shanghai qui ne s’arrêtent jamais, les trottoirs frénétiques de Sao Paulo, les centres de conférence de Singapour, les ingénieurs d’Europe de l’Est, les Universités de Californie ou l’aéroport de Dubai, on devrait être interdits de modération et de consensus du dénominateur moyen commun.
Nous, descendants de Carthage et de la puissante Ifriqiya arabe, allons nous rester une nation de ‘milieu de tableau’, condamnée aux strapontins de l’histoire ?
Nous n’avons maintenant d’autre chemin que d’oser vouloir briller !
Cyril Grislain Karray
La prochaine guerre en Tunisie – La victoire en 5 batailles (Cérès Editions)
Dans les principales librairies de Tunisie. Livré en Tunisie et dans le monde entier par www.ceresbookshop.com
Bénéfices de l’auteur reversés à la lutte contre le chômage et l’exclusion.
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Monsieur KARRAY, la Tunisie a besoin d'hommes comme vous pour diriger le pays, et éliminer les archaïques hommes qui ont des idées qui dates de deux mille ans avant J.C. moi je vous dis courage et bonne chance, pour une Tunisie nouvelle, sans crainte et sans reproche.
M. Karray, votre projet est merveilleux. Mais vous semblez oublier que Ennahdha est au pouvoir et que ses desseins sont tout à fait autres et diamétralement opposés à votre rêve.
En toute honnêteté intellectuelle, je dois féliciter Mr karray de ce chef-d'oeuvre qui définit, de manière claire, la voie à suivre pour féconder la Révolution Tunisienne dont nous ne pouvons que nous enorgueillir en raison du fait qu’elle a ouvert la voie à d'autres révolutions et en faisant sauter la serrure de la peur. Quand bien même, j'oserais dire que pas mal de propositions quant à l'organisation de notre Administration, centrale et régionale, et quant à la dynamisation de notre économie pour l'engager dans ce nouveau monde né de la mondialisation, de la globalisation et des nouvelles technologies de l'information et de la communication et sortir ds sentiers battus et des schémas classiques. En effet, sous l'Ancien Régime, on se contentait d'organiser des séminaires et formuler des propositions tendant à améliorer, autant que possible, les situations vécues et engager le pays dans une nouvelle voie qui assure une croissance réelle plus soutenue et mieux entretenue. Pour pouvoir s'en rendre compte de cette heureuse et louable initiative, il suffirait de revenir à notre littérature, sous le Régime Déchu, pour se rendre compte que le concept "EXCELLENCE" revient dans tous les discours et occupe une place de choix dans notre littérature et culture. Mais tout le monde, à l’exception de quelques rares personnes qui ont payé une lourde facture pour leur position qui ne cadre pas avec le discours officiel, savait que c'est pour la façade, puisque la priorité a été accordée en faveur des grands projets dits généralement "PROJETS PRÉSIDENTIELS" lesquels ont pour mérite d'offrir les Commissions les plus consistantes en faveur de Mohamed et de la famille avec ses deux têtes, les une plus affamées que les autres. Ma crainte est que le Nouveau Pouvoir, Pur Produit de la Révolution de la Jeunesse Tunisienne, n'aura pas l'intelligence requise pour engager cette Nouvelle Révolution laquelle aura pour mérite de faire de la Tunisie un "HAVRE" de paix, de prospérité, de dignité et de concorde au lieu de le transformer en îlots de mécontentement, de haine et pourquoi pas de razzias puisqu'on arrête pas de dire que les régions côtières ont été plus favorisées que les régions intérieures. J'estime que la promotion des régions défavorisées ne se produira pas obligatoirement par l'appauvrissement des régions côtières pour l'unique et simple raison que le Développement est un et indivisible. En effet, le Développement dans le Nord du pays s'appuiera indéniablement et incontestablement sur la promotion de l'Agro-Industrie et non pas sur la Mono culture, et en plus, traditionnelle. Je me sens autorisé à parler de ce sujet en ma qualité d'ancien responsable de l'APIA et de la STIL. Donc, par voie de conséquence, j'ai une petite idée sur la question des Projets Intégrés, sur l'Agro-Idustrie, au moins dans le secteur de la céréaliculture et de l'élevage pour la viande et pour le lait. Pour terminer, je dois réitérer mes félicitations pour l'auteur en lui proposant, à sa convenance, de penser à organiser une série de rencontres pour discuter de son schéma de développement qui forme une stratégie globale et une dynamique appropriée pour engager notre pays sur la voie du développement économique,le Garant réel et évident de la vraie démocratie laquelle ne peut pas se produire du simple fait d'une Constitution, même si elle est la plus moderne et la plus parfaite.
Malgrés mon caractére plutot pragmatique et peu réveur, je reconnais Monsieur Karray que votre vision m'a enthousiasmé, ne serait ce que par son originalité et son audace. Je ne souscris pas a tout mais je pense que le futur de la Tunisie doit etre façonné par des stratégies d'une telle ampleur, originalité et audace. C'est notre seule chance de se faire une place au soleil !
Si l'on ne peut que souscrire au rêve réalisable que propose Monsieur Karray,il faut d'abord changer toute la société Tunisienne qui est complétement sclérosée, (Même si un Tunisien de Tunis,n'est pas un Tunisien de Tataouine....)Pour preuve,après le formidable élan de la révolution et l'euphorie des "possibles" qu'il a engendré,le résultat des urnes a démontré que la société est hyper conservatrice et n'est pas prête au chamboulement de ses habitudes.... La "guerre",que propose ce Monsieur,est une guerre individuelle de tous les instants,qui doit commencer au sein même de chaque famille et partout, pour éradiquer les idées archaïques et rétrogrades qui y circulent.La jeunesse doit être le fer de lance de cette "guerre" et de ce premier combat, malheureusement Ennahdha a déjà gagné la première bataille en accaparant le pouvoir et en mettant la main sur tous les rouages de l’État et en particulier celui de l'éducation.... Alors,souhaitons que comme dit l'adage :"Gagner une bataille n'est pas gagner la guerre"....Inch'Allah !
Cette guerre comme vous l'appelez sera menée avec d'autres personnes au pouvoir pas par ce parti au pouvoir complètement décalé et déconnecté des réalités et des défis immenses qui attendent ce pays !