News - 16.05.2023

Qu’est ce qui entrave une gestion performante des déchets en Tunisie?

Qu’est ce qui entrave une gestion performante des déchets en Tunisie?

Par Samir Meddeb - La gestion des déchets en Tunisie constitue encore une problématique de taille à multiples niveaux, la propreté, la protection de l’environnement, la maîtrise des différents procédés techniques de traitement et de valorisation, le financement, la gouvernance d’une manière générale et enfin le positionnement des déchets dans une dynamique socioéconomique durable.

Les déchets ménagers et industriels constituent encore en Tunisie une source importante d’insalubrité en milieu urbain et rural et de dégradation de l’environnement et de la qualité de la vie; les déchets ne s’intègrent pas encore de manière significative, sauf exception, dans la dynamique de l’économie verte et circulaire. La performance technique de la gestion des déchets ménagers et industriels au niveau de la collecte, le transport, le recyclage, la valorisation et le traitement demeure aléatoire et très approximative.

Nous produisons annuellement en Tunisie autour 2 800 000 T de déchets ménagers et assimilés, et presque 350 000 Tonnes de déchets industriels qualifiés de dangereux. Plus de 70% des déchets ménagers sont enfouis dans des décharges contrôlées, 20% sont jetés encore dans le milieu naturel et moins de 8% sont recyclés ou valorisés. Le devenir des déchets industriels est au contraire beaucoup moins maitrisé, moins du tiers est supposé traité de manière écologiquement acceptable, le reste demeure en grande partie stocké dans les alentours des usines. Le centre de traitement des déchets dangereux de Jéradou dans la région de Zaghouan est à l’arrêt depuis la révolution de 2011 pour non-acceptabilité sociale. 

Nous ne disposons pas aujourd’hui en Tunisie de dispositifs de quantification, de caractérisation et d’analyse des déchets, aussi bien à l’échelle nationale qu’au sein des communes et ce malgré les multiples tentatives ; les données disponibles en la matière ne sont que des estimations ponctuelles menées dans le cadre d’études ou de travaux universitaires et qui sont utilisés ultérieurement et de manière répétitive dans l’ensemble des projets et des travaux avec toutefois quelques corrections en fonctions des régions. Cette absence de données fiables et actualisées entrave sérieusement la planification rigoureuse de toute politique dans le domaine.

Par rapport aux politiques, aux orientations, il est à noter que la Tunisie a entrepris depuis le début des années 90 trois démarches à caractère stratégique ; la première a appelé à réhabiliter les décharges sauvages et à les substituer par des décharges contrôlées et les deux secondes celles de 2006 et2019 ont conduit chacune à des projets de stratégies globales, intégrées s’appuyant sur la philosophie de la gestion des déchets, telle qu’annoncée dans la loi de 1996, qui appelle simultanément à réduire les déchets produits, à valoriser ce qui est produit et à mettre en décharge les déchets ultimes, ceux qui ne peuvent être recyclés ou valorisés.

Toutefois, si la première démarche du début des années 90 a permis de concrétiser les objectifs fixés de réhabilitation d’anciennes décharges et d’aménagement de nouvelles, les stratégies de 2006 et 2019 plus ambitieuses n’ont pas permis au contraire d’atteindre les objectifs d’amélioration de la performance des déchets particulièrement en termes de propreté, de réduction des quantités, de valorisation, de traitement d’une manière générale et de recouvrement des coûts.

La gouvernance des déchets telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, particulièrement sur le plan institutionnel et organisationnel, constitue l’une des entraves majeures à la promotion d’une gestion performante des déchets. La bipolarité juridique et institutionnelle dans le domaine de la gestion des déchets entre d’une part un Ministère de l’environnement et l’Agence Nationale de Gestion des Déchets et d’autre part un Ministère de l’intérieur et les communes n’a pas favorisé l’émergence d’une dynamique globale de gestion intégrée des déchets par la commune, acteur principal d’une gestion de proximité des déchets. 

Les déchets ménagers demeurent encore non triés en Tunisie ni à l’amont auprès des producteurs ni dans des centres spécialisés, le tri n’occupe pas de ce fait une place particulière dans le système de gestion des déchets en Tunisie; lacune qui entrave tout alternative de recyclage et de valorisation d’envergure et par conséquent de réduction des quantités de déchets traités ou enfouis. Les pratiques informelles demeurent prépondérantes dans ce domaine. La faible implication des populations ; l’issue aléatoire des produits triés et la fragmentation institutionnelle des responsabilités de la gestion des déchets entre les communes et l’ANGed, font que les communes ne sont pas motivées par ce genre d’expériences. Malgré le fort potentiel de valorisation, la quasi-totalité des déchets ménagers et assimilés collectés sont acheminés vers les dépotoirs et les décharges contrôlées sans aucun traitement.

Les déchets et malgré les grandes opportunités offertes dans ce domaine, n’apportent pas encore en Tunisie leur contribution de manière significative dans l’émergence de l’économie verte et encore moins dans l’économie circulaire qui toutes deux constitueraient des appuis notables aux alternatives de développement dans lesquelles la Tunisie est amenée à s’engager au cours de la prochaine période.
En même temps et sur un autre volet, celui financier, le paiement du service de la gestion des déchets demeure en Tunisie très peu transparent, le producteur des déchets, ménage ou entreprise, n’apporte pas de manière visible et conséquente sa contribution au recouvrement du coût du service de la gestion des déchets, le principe pollueur/payeur n’apparait pas de ce fait appliqué.
Cinq voies paraissent aujourd’hui incontournables pour dépasser les entraves constatées et s’orienter progressivement vers une gestion performante et durable de la gestion des déchets, il s’agit de:

i. Rehausseur la place des communes dans les processus de développement socioéconomiques à l’échelle nationale tout en leur confiant la charge de la gestion des déchets à l’instar de l’ensemble des services environnementaux de proximité. Une gestion performante des déchets ne peut se mettre en place que par des communes fortes et outillées politiquement, institutionnellement, techniquement, financièrement et humainement.

ii. Promouvoir des mécanismes de fonctionnement intercommunal en guise de réponse à la gestion des déchets en vue de réduire les coûts d’exploitation et d’améliorer la qualité des services rendus.

iii. Développer et mettre en œuvre une stratégie globale, intégrée de gestion des déchets qui favoriserait la réduction et la valorisation des déchets et dans laquelle s’impliqueraient efficacement l’ensemble des acteurs concernés: Communes, structures de l’environnement, population, entreprises, consommateurs, médias, structures de recherche….

iv. Instaurer une redevance pour la gestion des déchets pour tout producteur sur la base des quantités et des qualités.

v. Développer les mécanismes qui favoriseraient l’implication du secteur privé dans l’ensemble des maillons de la chaine de la gestion des déchets.  

Samir Meddeb
 

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