Blogs - 02.11.2012

Nida Tounès, l'unique objet de «leur» ressentiment

Le gourou de Montplaisir doit se mordre les doigts d’avoir donné son feu vert à la légalisation de Nida Tounès. Les derniers sondages viennent, certes,  de donner Ennahdha gagnant aux prochaines élections avec 30%.des voix , mais il est talonné par Nida Tounès (28%).Un mois auparavant, ce parti atteignait péniblement  les 7%. Après les élections d’octobre 2011, Rached Ghannouchi affirmait à qui voulait l’entendre que son mouvement  était bien parti pour diriger le pays pendant des décennies et voici qu’un an plus tard, une formation politique faite de bric et de broc, créée au surplus par «un vieux routier sorti des archives des régimes bourguibiste et beylical», a le front de se poser en alternative d' Ennahdha,  trois mois à peine après sa création !

On ne défie pas impunément le parti «des 30 000 détenus». En peu de temps, le mouvement Ennahdha avait réussi à contrôler la quasi-totalité des rouages de l’Etat, s’incrustant dans ses moindres interstices. Pas une ville, pas  un village qui n’abrite un bureau du mouvement. Il est omniprésent dans les mosquées, les associations caritatives, les comités de protection de la révolution. Avec une rapidité déconcertante, les anciens exilés de Londres et de Paris, tout comme les anciens détenus de Borj Roumi, se sont coulés dans leurs habits neufs de ministres, conseillers, ambassadeurs, gouverneurs ou élus à l’ANC. Il fallait une bonne dose de naïveté pour penser qu’un parti aussi puissant allait rester les bras croisés face à ce qu’il faut bien appeler une «bravade» de la part de Nida Tounès. La réaction ne se fera pas attendre. Les instructions seront données : tout faire pour discréditer ce parti devenu «l'unique objet de leur ressentiment» et au besoin, l’exclure de la vie politique. La meute est aussitôt lâchée. Désormais, pas un discours, pas un article qui ne contienne une attaque en règle contre Nida Tounès. 

Le principe de base d’une «bonne» propagande est de faire simple. Il y a 2000 ans déjà, le sénateur romain, Caton, pour attirer l’attention de ses compatriotes sur le danger que représentaient Carthage et Hannibal, terminait invariablement ses discours par la phrase : «Il faut détruire Carthage» (Delenda Cartago est). Il n'y renoncera que le jour où Carthage fût rayée de la carte. La phrase-clé de la campagne contre le parti de Béji Caïd Essebsi sera «Nida Tounès, ramassis de destouriens corrompus et de progressistes opportunistes». Nul besoin d’argumenter. La formule est posée en postulat, comme une vérité d’évidence. Son message subliminal renvoie à toute une série de poncifs qu'Ennahdha cherche à accréditer à propos de ce parti. Elle est reprise à l'envi par les responsable du parti islamiste urbi et orbi. C'est la vieille recette du bourrage de crâne. Alors que les salafistes «nos enfants-qui-ne-viennent-pas-après-tout-de-mars» sont choyés, que les partis destouriens sont épargnés, Nida Tounès, qui ne compte pas plus d’anciens destouriens qu’Ennahdha lui-même et son fondateur, sont  harcelés, vilipendés, ostracisés, traités sur les plateaux de télévision, dans les stations de radio et dans les colonnes des journaux, de tous les noms. Ennahdha a dû se faire violence en proposant  à des partis de l’opposition comme El Joumhoury et El Massar de rejoindre la Troïka moyennant quelques strapontins au gouvernement pour isoler davantage Nida Tounès. L’offre a été rejetée par les intéressés. Ahmed Néjib Chebbi et Ahmed Brahim ont dû entendre parler de la tactique du salami pratiquée par les communistes en Hongrie à la fin des années 40 qui consistait en l'élimination progressive de l'opposition tranche après tranche en s’appuyant sur une tranche pour en éliminer la suivante qui, à son tour, finira par subir le même sort jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.

 Je ne sais pas si les Nahdhaouis ont étudié les méthodes de propagande nazies ou communistes, mais celles qu’ils utilisent avec un art consommé dans leur guerre (le mot n’est pas trop fort) contre Nida Tounès y ressemblent étrangement, car tout y est : le recours aux miliciens,  la diabolisation de l’adversaire (R.Ghannouchi n'hésite pas à qualifier Nida Tounès de «parti pire que les salafistes»), les attentats contre les sièges de ce parti, le sabotage de ses réunions (à Nabeul, Sfax, Kelibia), le recours systématique à la calomnie et aux accusations les plus invraisemblables comme celle du blanchiment d’argent qu'on doit à un révolutionnaire de la 11e heure, plus royaliste que le roi. On ne s’adresse pas à l’intelligence des gens, on joue sur la peur et l'ignorance. On n’hésite pas à tronquer les phrases, à mésinterpréter volontairement les propos des dirigeants de Nida , notamment  Béji Caïd Essebsi devenu subitement depuis un certain 26 janvier 2012, date de son premier "Appel à la Tunisie", l'incarnation du mal après avoir été souvent encensé par Ghannouchi lui-même pendant la première transition. On donne aussi dans la diversion.  A cet égard, le traitement de l’affaire du lynchage du coordinateur de Nida Tounès à Tataouine, Loti Nghadh est un cas d'école. Alors qu'il y avait mort d'homme, Ennahdha  focalise sur l'utilisation de cocktail Molotov par les assiégés tout en ordonnant à ses sbires des comités de «défense» de la révolution de porter plainte pour «agression contre une manifestation pacifique». Par contre, pas un mot de compassion pour la victime et sa famille. La manoeuvre a failli réussir, n'eut-été l'obstination de la société civile et son parti. L'analogie est frappante  avec la plainte intentée contre Habib Kazdaghli qui de victime se voit accusé d’agression par une  étudiante et traduit en justice.

Dans l’ordre de la morale comme dans celui de l’efficacité, ce tir de barrage contre un parti connu et reconnu est injustifiable et n’honore pas ses auteurs. Il est contreproductif pour Ennahdha et il suffit de voir l'ascension fulgurante de Nidaa Tounès pour s’en rendre compte. Mais au moins, ces méthodes nous ont-elles édifiés  sur l’idée que le parti de Rached Ghannouchi se fait de la démocratie et  la piètre estime dans laquelle il tient le peuple tunisien.

H.B.