Entreprises et développement
Depuis l’époque de Carthage, soit 814 avant l’ère chrétienne, les tunisiens, enfants de Didon, ont été de grands entrepreneurs. Déjà à cette époque, ils commençaient à commercer avec les contrées voisines. Ils sont allés jusqu’en Golfe de Guinée pour vendre leurs produits et acheter les matières premières dont ils avaient besoin.
C’est dire que l’esprit d’entreprise est bien enraciné chez nous. C’est aussi insister pour que cet esprit d’entreprise doive être revigoré dans le contexte difficile actuel que vit notre pays. Encourager les entreprises à investir pour le développement, au moment où certaines entreprises étrangères mettent les clés sous le paillasson, est un impératif pour les autorités politiques et économiques de la Tunisie.
Trois axes principaux d’action se dessinent. Le premier-et il est fondamental-est la sécurité. Si l’Etat est menacé dans son rôle cardinal de garant de la sécurité des citoyens et de leurs biens, personne ou presque ne misera sur l’avenir, autrement dit personne n’entreprendra donc n’investira. A ce sujet, les ministères de l’intérieur, de la défense et de la justice sont de loin les plus importants ministères du pays, bien plus importants que ceux du plan, des finances, de l’agriculture et de l’industrie, Le pays a été secoué, le 14 septembre dernier quand l’Ambassade américaine a été attaquée. Angela Merkel, (la chancelière de l’Allemagne) a annulé sa visite. Les entreprises allemandes (et d’autres) sont en train de fermer leurs portes. Les annulations des réservations touristiques se sont multipliées. Un froid dans le dos des investisseurs s’est installé.
Le second axe est la création d’un climat favorable à l’entreprise. La Banque mondiale a rétrogradé (dans son « Doing business ») la Tunisie de 5 points, de la position 45 à la position 50. La dégradation la plus importante concerne le lancement d’une entreprise :-12 points, suivie par l’enregistrement de la propriété : -7 points, le crédit : -6 points et la protection de l’investissement : -3 points. Cette rétrogradation est inquiétante. Elle reflète la détérioration du climat des affaires. Elle s’ajoute à la perte de compétitivité de nos entreprises, notamment du fait de l’inflation galopante et des grèves et sitins. Les coûts unitaires du travail ne cessent d’augmenter, aggravés par l’inflation et par les charges sociales, et risquent de rendre nos produits de moins en moins compétitifs, avec les conséquences que l’on sait sur notre balance commerciale et notre balance des paiements courants.
L’amélioration du climat des affaires passe, d’abord, par la mise d’un point final à l’interdiction de voyage de certains hommes d’affaires. Une telle situation ne peut pas durer longtemps. De deux choses l’une : ou on les inculpe ou on leur donne leur liberté de voyager. Ensuite, il est nécessaire d’intervenir pour résorber les causes de la rétrogradation de la notation de la Tunisiedans le Doing business de la Banque mondiale.
Enfin, le troisième axe est celui des réformes. D’abord, il faut sauvegarder nos entreprises publiques, dont les fleurons que sont la STEG, la SONEDE, la SNCF et Tunisie Telecom. Les obliger à accepter les coûts cachésque sont les subventions de tels ou tels secteurs, les obliger à recruter au-delà de leurs besoins réels, les obliger à accepter l’accumulation d’arriérés de leurs clients, notamment les municipalités tout cela n’est pas dans la bonne direction. Ces entreprises ont généralement été bien gérées par le passé. Il est indispensable d’encourager leur bonne gestion, sans interférence nocive.
Quant aux entreprises privées, elles nécessitent des incitations fortes pour leur faire jouer leur rôle de dynamos de la croissance et de l’emploi. La loi de 1972, qui a abouti à la dichotomie de l’économie tunisienne entre un secteur offshore fortement encouragé mais produisant une faible valeur ajoutée et un secteur on shore, croulant sous le poids de la bureaucratie et de la sur taxation, cette loi n’était pas mauvaise en 1972. Il fallait la faire évoluer pour installer des entreprises qui produisent-non pas les textiles et les pièces détachées- mais des produits de haute technologie et de grande valeur ajoutée, orientés vers l’exportation.
En même temps, il fallait rendre le droit commun fiscal et financier favorable à tout investisseur. Cela passe par une réduction de l’IS (impôt sur les sociétés) à 6 % dans les zones côtières et à 0 % dans les régions intérieures. Cela passe par un allègement des charges sociales pour réduire les coûts unitaires du travail et encourager les entreprises à recruter. De telles mesures seraient neutralisées, sur le plan des recettes, par une taxation plus élevée de la consommation (droits de consommation et TVA). Cela passe aussi par la création d’une grande banque de développement pour octroyer les participations au capital et le crédit à moyen et long termes aux entreprises. La fusion de la BDET (Banque de développement économique de la Tunisie) et de la BNDT (Banque nationale de développement touristique) dans la STB (Société tunisienne de banque, banque commerciale étatique) a été une erreur fatale prise par l’ancien régime. Il est grand temps de la corriger.
La réforme urgente du système bancaire est le complément nécessaire à ces mesures pour que les banques puissent jouer leur rôle d’intermédiaires entre déposants et clients et fournissent des crédits sains aux entreprises.
Dr.Moncef Guen
Ancien Secrétaire Général du Conseil économique et social