Opinions - 18.06.2012

Mohamed Larbi Bouguerra : Monde arabe : vers l'abime….toujours plus bas ?

Al’heure où certains, armés de sabres, scandaient le 20 mai le nom d’Oussama  Ben Laden à Kairouan en demandant de « tuer les juifs, les laïcs et les mécréants » et où  d’autres  excités tout aussi dangereux attaquaient le 11 juin  artistes et  créateurs et même  des institutions emblématiques de l’Etat, me vient à l’esprit la réflexion du grand caricaturiste palestinien Naji al-Ali lâchement assassiné à Londres en 1987 qui confiait : « Tous les matins,  en lisant les journaux,  je me dis que le monde arabe a touché le fond mais  je découvre le lendemain que l’abîme est encore plus profond. »

 Quel crève-cœur que ce qui se passe dans ce monde arabe ! Chez nous, de piètres  shérifs  chevauchant un wahhabisme  étranger à nos mœurs et prenant notre pays pour un Far West sans foi ni loi appellent  à tuer ceux qui ne s’inscrivent pas dans la ligne de leur pensée moyenâgeuse. Face aux menées de  ces « justiciers » venant de Mars et leur très singulière esthétique, le gouvernement  ne bronche pas et laisse faire. C’est à se demander si ce gouvernement -qui a pourtant raté son bac- n’aurait pas pris ombrage de la  définition que donne de l’artiste  l’Américain Willard Huntington Wright: « dieu omnipotent qui moule et façonne la destinée d’un monde nouveau et le mène à sa complétude inévitable  où il peut tenir seul, autonome, indépendant. » Mais qu’on nous comprenne bien : nous disons oui au respect de  la foi mais nous disons non à l’expression de sa pensée médiévale. Le Prix Nobel de littérature, le Portugais José Saramago,  affirmait : «  Dieu est le silence de l’Univers et l’homme le cri qui donne du sens à ce silence. »

En Egypte, un coup d’Etat militaire tente de  dépouiller  la jeunesse et tout un peuple perclus de pauvreté et de privations  d’une  révolution trop chèrement payée. Dans ce pays cher à nos cœurs de Tunisiens,  les jeunes ont reconquis leur dignité et leur  honneur et osent  cracher sur les deux milliards de dollars  que les Etats Unis prodiguent annuellement pour acheter précisément les généraux égyptiens et protéger ainsi Israël, leur enfant chéri.

En Syrie, en Irak, au Yémen voire en Algérie,  le sang n’en finit pas de couler   et la haine pervertit les cœurs. Le  Soudan, traîtreusement amputé de son sud chrétien par l’Occident et Israël,  n’a rien de mieux à faire que de lapider une pauvre fille accusée d’adultère ! Ailleurs, à Bahreïn et tout autour, les familles régnantes gavées de dollars, prenant appui  sur les professionnels de la religion  façon Qaradawi,  pratiquent l’oppression et le déni des droits humains et rejettent aux calendes grecques la libération des peuples.

Face à ce désastre et ces tragédies, le monde avance. La Chine, après les Etats Unis et l’URSS,  a embarqué   dans son quatrième vol spatial habité, Liu Yang   une femme qu’accompagnent deux astronautes hommes….Horreur et dérèglement des mœurs  que condamneraient bien évidemment M. Houcine Laâbidi et ses affidés au nom de leur conception retardataire du halal et du haram ! Deux hommes, une femme, dans la même cabine, des jours durant, « La Yajouz » voyons ! Mais quel pays arabe  peut se targuer  aujourd’hui d’un tel succès scientifique et technique…. ? On exclut bien sûr, les galeries commerciales rutilantes n’exhibant de la modernité que les produits Cartier ou Rolex et les hôtels cinq étoiles aux ascenseurs kitch.   Quant au Brésil, il  recevra le monde entier cette semaine pour réfléchir sur le devenir de notre planète….ouvrant le pays à toutes les confessions et à tous les courants de pensée, sans la moindre restriction. 

Face à ce désastre et à ces tragédies qui sont le pain amer journalier  de nos peuples, les ennemis du monde arabe continuent d’ourdir leurs complots. Le 13 juin, le Président Obama – pour assurer sa  réélection en novembre prochain- a décerné la plus haute distinction civile de son pays à Shimon Pérès, le président de l’entité sioniste et lui a assuré que «  les liens qui nous unissent ne peuvent être rompus…La menace que fait poser l’Iran doit être stoppée. » (Boston Globe, 14 juin 2012) alors que nos  détenteurs du pouvoir, soi-disant défenseurs de l’Islam et de ses Lieux Saints,  hébergent des bases américaines pour assurer leur pérennité au pouvoir  et flirtent impudemment avec Israël.

Assez d’hypocrisie ! Assez !

Bien sûr,  « la politique est l’art de ne pas dire la vérité » mais les peuples arabes réclament la démocratie même si « aujourd’hui, c’est dur, c’est très dur d’être arabe » disait déjà le regretté  poète   Salah Garmadi  qui,  prophétique,  écrivait pourtant il y a trois  décennies dans la revue Alif: « Et pourtant, le monde arabe renaît, revendique, à travers toutes sortes de contradictions, sa place parmi les nations, fabrique chaque jour davantage les instruments de sa libération et de son progrès. Il émerge lentement à la surface de l’Histoire dans les mille et un vagissements d’un accouchement avec douleur. »

Alors, stop ! L’abîme, nos artistes, nos créateurs, nos femmes, nos sociétés civiles n’en veulent pas car ils sont en train de forger les instruments de leur libération. Dans la douleur assurément… Cette douleur « libératrice de l’esprit » pour Nietzsche.

Mohamed Larbi Bouguerra