Opinions - 26.04.2012

Le CPR a-t-il perdu son âme ?

Le caractère hétéroclite de ses membres et de sa base électorale font de ce parti un mouvement  politique puissant et attrayant tout en étant fragile et délicat. En effet, si le nationalisme arabe, dont-il se revendique, peut être  un élément fédérateur de ses membres, son attachement à la laïcité peut être, en revanche, à l’origine de certaines dissidences.  Sa ferveur socialiste et son idéal égalitaire vont à l’encontre des convictions de son aile le plus conservateur qui se sent, d’ailleurs, sur ce chapitre plus proche d’Ennahdha que des idéaux de leur propre parti. Pire encore, la perception et la démarche des francophones de ce parti, dont le patriotisme et le nationalisme arabe est au dessus de tout soupçon, divergent de celles des arabophones à cause sans doute du long exil forcé des premiers en France. Etc.    

La récente triste affaire de M. Abderraouf Ayadi, en témoigne de cette hétérogénéité au sein de ce parti socio-démocrate. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que l’orage éclate au sein de ce mouvement. Faut-il rappeler la crise qu’a suscitée la nomination de M. Taher Hamila en tant que secrétaire national du parti ?   En réalité, les problèmes internes, dont les conséquences à très court terme vont être désastreuses sur le CPR, s’expliquent fondamentalement par deux éléments, qui sont d’ailleurs assez imbriqués et enchevêtrés, l’un dans l’autre :
1/ Des divergences d’analyses de plus en plus nombreuses entre les idéologues du parti, le premier cercle proche du Président Moncef Marzouki, et le reste des membres actifs du parti ;
2/ Un déficit chronique de communication entre ces différents membres.
Si l’intellectualisation, la conceptualisation, la rationalisation des questions économiques, politiques et sociales sont nécessaires car ils montrent une certaine maturité politique, un haut niveau de discernement civique et de conscience réelle de la charge suprême de la fonction, la modestie, le consensus et la concertation doivent demeurer la marque de fabrique du CPR. D’ailleurs, c’est cette image de modestie et d’accessibilité de son fondateur qui ont fait de ce mouvement, le 23 octobre 2011, une force politique désormais incontournable dans notre pays.

Concrètement,  à mon sens, les « concessions » faites, s’il en a eu,  par les idéologues du CPR à Ennahdha sur la gestion de certains dossiers (sécurité, certaines nominations, …) ne l'ont été qu’en contrepartie d’un fléchissement réel du mouvement Ennahdha sur de très nombreuses orientations idéologiques d’ordre sociétal : Les acquis concernant l’émancipation de la femme, la monogamie, la parité entre les sexes, la préservation de la laïcité, la sauvegarde du secteur touristique, etc. Le CPR n’a donc pas perdu son âme. L’alliance politique de ce mouvement avec Ennahdha et Ettakatol se caractérise par au moins trois éléments  fondamentaux :
1/ Un haut niveau collectif de discernement politique où l’intérêt suprême de la nation surplombe l’intérêt des partis ;
2/ Des concessions mutuelles et consensuelles  donnant l’impression à chacun des partis d’avoir préservé ses fondamentaux ;
3/ l’entente psychoculturelle et socioculturelle (amitié, histoire commune, combat commun,…) entre les leaders des partis. 

  En conclusion, je lance un appel solennel à toutes celles et tous ceux qui se revendiquent de ce grand mouvement socio-démocrate à ranger leurs couteaux et faire preuve de retenue et à accorder davantage de place au dialogue, au consensus et à la concertation. Ne vous trompez pas de combat, car vous risquez de le payer très cher. Le vrai combat est celui contre l’intégrisme, le fondamentalisme et l’obscurantisme qui frappent aujourd’hui à nos portes et menacent notre cher pays. N’est-il pas plus urgent que votre mouvement reprenne  les thématiques qui ont fait son succès l’été dernier : l’emploi, la réduction des inégalités et la décentralisation ?

Ezzeddine Ben Hamida
Professeur de sciences économiques et sociales