Opinions - 05.12.2011

La fiscalité, c'est compliqué et très sensible

Que la Tunisie doive entreprendre des réformes économiques ne fait pas de doutes. Ce n’est pas une raison pour tout chambarder.

La fiscalité est un sujet sensible. Quel que soit le système adopté, il y aura toujours des économistes, des fiscalistes et des politiciens pour crier à l’injustice.

Mais attention, la fiscalité est probablement le domaine où l’économie répond de la façon la plus imprévisible aux nouvelles lois.

A quoi sert la fiscalité ?
En théorie, le fiscaliste est le robin des bois de l’économie. Sa fonction est de ponctionner de l’argent sur ceux qui en ont pour financer les dépenses publiques (éducation, infrastructures…) et d’assister les démunis (Redistribution).

Ainsi, plus l’Etat a des besoins, des dépenses et des projets en tête et plus la fiscalité est forte.
Plus l’Etat se soucie des pauvres et plus la fiscalité est forte

D’un point de vue économique il faut apprendre à séparer deux choses :

- Les affaires économiques : Il s’agit des règles et des lois qui régissent le fonctionnement de l’économie. Dans ce volet, L’Etat doit veiller à ce que l’économie produise le plus possible avec la plus forte valeur ajoutée possible. Le système éducatif est le principal pourvoyeur en matières premières pour ce domaine et c’est de son efficacité que dépend la performance globale de l’économie.

Qu’on le veuille ou non, le système libéral de fonctionnement de l’économie est adopté par le reste du monde, y compris les pays dirigés par les socialistes, y compris, désormais, par la chine communiste. Dans ce volet, nous devons faire très attention aux philosophes de l’économie qui, par introspection, conçoivent des visions économiques particulièrement innovatrices et que l’on peut qualifier d’hasardeuses étant donné qu’elles n’ont jamais été confrontées à la réalité du terrain.

L’économie reste et restera toujours, avant toute chose, de la sueur et du travail. L’Etat reste avant tout l’arbitre du jeu économique et à chaque fois qu’il a voulu participer au jeu, les gaspillages et les inefficacités économiques ont été au rendez vous. Jamais un fonctionnaire nommé n’aura le souci d’efficacité d’un MOULA El MOUL, c'est-à-dire un entrepreneur ou un actionnaire dont l’attention est focalisée sur ce qui reste dans la caisse, à la fin.

- Les affaires sociales : C’est là que se trouve le champ de bataille pour la justice et l’équité. C’est dans ce champ que se déroule désormais le grand combat entre la droite et la gauche. Combien prendre aux riches pour donner aux pauvres ? Où s’arrêtent les services publics ? A partir de quel niveau de fiscalité les entrepreneurs seront démotivés dans la création de richesses ? A partir de quand la redistribution favorise-t-elle l’oisiveté et la paresse ?
De la réponse à ces questions, dépend essentiellement le niveau de fiscalité qui sera imposé sur les citoyens. Il s’agit, en théorie, de questions fondamentales à poser dans un débat démocratique.
De la capacité de l’économie à créer des richesses dépend la capacité de l’Etat à ponctionner des richesses afin de financer son fonctionnement, ses projets, le niveau de services publics et le niveau de redistribution. Comme tout ménage Tunisien, l’Etat a un budget et se doit d’apprendre à régler ses dépenses et à ajuster ses rêves à ses moyens financiers. Quant au ménage Tunisien, il doit aussi apprendre à considérer le budget de L’Etat avec le même réalisme que le sien et ne pas y transposer tous ses fantasmes refoulés.

Il y a toutefois un constat évident. Le contribuable n’aime pas payer des impôts et fait tout pour les éviter. C’est le grand problème de la fiscalité.

Pour recourir à une image, il faut imaginer le contribuable comme un individu ayant plusieurs poches où il peut mettre son argent. Si le fiscaliste annonce son intention de ponctionner sur une poche donnée, il est fort à parier que le moment venu, il n’y trouvera pas grand-chose.

C’est essentiellement pour cette raison que l’Etat doit multiplier les sources d’imposition. La fiscalité est condamnée à être complexe et à regarder dans toutes les poches possibles.

L’impôt sur le revenu est un impôt mal aimé avec beaucoup d’évasion fiscale. L’impôt indirect (TVA, droits de Douanes répercutés sur les prix, taxes diverses) est moins douloureux car masqué et dilué dans chaque transaction. Il est plus efficace car plus difficile à frauder. La brutalité de l’impôt direct le rend toutefois plus démocratique car il éveille le contribuable aux dérives et aux gaspillages de l’Etat.

L’ensemble des taxes existantes constituent un système complexe auquel l’économie  s’est adaptée et a trouvé un équilibre. Avec les retenues à la source, les contribuables ont appris à raisonner et à négocier leurs salaires en fonction de ce qui leur reste dans la poche. L’erreur classique de ceux qui veulent réformer la fiscalité consiste à voir les formes d’imposition indépendamment les unes des autres. C’est la pression fiscale globale par couche de revenu et type de profession qui importe.

La caisse de compensation est un puits qui coûte beaucoup d’argent à l’Etat. Néanmoins, il n’est pas raisonnable de conclure rapidement à un gaspillage intolérable de l’argent du contribuable.La caisse de compensation est financée par l’impôt (donc ceux qui peuvent le payer) pour subventionner les aliments de base, ceux que consomment en priorité les pauvres. La caisse de compensation, c’est de la redistribution.

Dans la théorie libérale, dans sa forme démagogique, toute subvention est « économiquement inefficace ». Toutefois, il faut comparer l’inefficacité de ce système par rapport à l’inefficacité de tout système donnant directement de l’argent à des pauvres (gestion, identification et faux pauvres …). Dans la théorie libérale, sous sa forme scientifique, l’existence de la caisse de compensation a des justifications réelles et concrètes. Elle permet notamment de garantir que les subventions accordées aux plus démunis iront bien dans leurs ventres et pas ailleurs.

Parallèlement, il ne faut pas oublier que subventionner les aliments de base permet de maintenir les salaires des moins favorisés à un niveau que « l’économie mondiale » juge compétitif. Supprimer dogmatiquement la caisse de compensation imposera une augmentation des salaires de base et aura un effet direct sur la compétitivité du pays.

Enfin, la fiscalité, en s’attaquant inévitablement aux poches des plus riches a un impact important sur les décisions des investisseurs. L’instabilité de l’horizon fiscal est de nature à réduire la visibilité à moyen et long terme. Annoncer de grandes réformes fiscales est de nature à temporiser toute relance économique.

L’objectif de cet article n’est pas de faire l’éloge du statu quo mais plutôt une invitation à faire très attention. Modifier la fiscalité est une affaire très délicate et il faut y aller doucement car les conséquences théoriques des mesures sur le papier sont très différentes de celles qui seront constatées sur le terrain.

Dans l’état actuel des choses, combattre tous les types de fraudes fiscales est la meilleure façon pour l’Etat d’augmenter ses recettes afin de financer ses projets et sa volonté d’aider les plus démunis. Par fraudes, on entend, bien sûr l’évasion fiscale mais aussi la corruption dans toute administration chargée de prélever des fonds au nom de l’Etat. La corruption, rappelons-le, vise très souvent à détourner l’argent destiné à l’Etat vers la poche du corrupteur et du corrompu. C’est aussi de la triche dans le jeu concurrentiel et un obstacle pour les entreprises honnêtes. Tant que l’Etat sera incapable de faire respecter ses lois, toute réforme ne sera que de la poudre aux yeux.
 

BEN M’BAREK Mohamed
Economiste