Laissez le Pouvoir pour demain
Une partie du peuple tunisien a jugé utile de favoriser le parti islamiste Ennahdha aux dépens des autres partis politiques. Celui qui n’a pas voté Ennahdha, comme moi, ne peut que se plier au verdict des urnes, féliciter ce parti et reconnaitre sa défaite. Prenons Ennahdha au mot et faisons confiance en ses dirigeants au vu de leurs déclarations.
C’est une conjonction de facteurs qui pourrait expliquer, à mon humble avis, la réussite fulgurante d’Ennahdha, à savoir, la défense d’un Islam qui s’est senti menacé, à tort ou à raison, par des « modernistes » de tous bords, la défense de valeurs en perte de vitesse dans notre société, sa politique de proximité qui cadre avec la solidarité islamique, le tribut payé dans les geôles et l’exil, son organisation et la discipline de ses militants qui ont conquis les mosquées, le déficit médiatique en raison du trop grand nombre de partis en campagne qui n’a pas donné lieu à une réelle confrontation d’idées et de programmes sur les plateaux de télévision et enfin le langage d’élite adopté par l’opposition lequel n’a pas touché une grande partie de la société tunisienne préoccupée plutôt par des problèmes matériels immédiats.
Aux partis qui ont perdu cette bataille de procéder aux analyses de leur échec du en très grande partie d’avoir affronté, par égoïsme et manque de courage politique, Ennahdha en rang dispersé alors que très peu de choses les séparent.
La situation que nous vivons actuellement provoque en moi un certain malaise.
Le premier malaise est qu’un doute subsiste quant à l’aptitude d’Ennahdha, à maitriser sa base. En effet, actuellement la base n’est pas en train de suivre ses dirigeants et nous attendons de ce parti des rappels à l’ordre, notamment à l’Université et dans les mosquées pour que les paroles et les faits soient en harmonie. Suivons de près aussi les réformes qu’elle se propose d’engager particulièrement au niveau de l’enseignement. Au vu des mesures concrètes et des actions qu’elle entreprendra, nous aurons une idée bien plus juste sur ce parti.
Le second malaise, c’est le CPR. Voilà un parti qui a refusé de signer la feuille de route proposé par M. Yadh Ben Achour alors que onze partis l’ont fait. Ce refus l’autorise aujourd’hui, à envisager des élections parlementaires et présidentielles dans plus d’une année, trois ans, voire plus. Dès la constitution du Gouvernement, le CPR se propose de lui confier les grandes réformes au motif que le peuple l’a chargé de les faire et sans tarder. Réformer l’Administration, la Justice, les Finances, l’Intérieur, poursuivre en justice tous ceux à qui il reproche quelque chose.
De l’actuel gouvernement, curieusement, il ne veut plus entendre parler, mettant des œillères sur l’aptitude de cette équipe à avoir rétabli la sécurité, amorcer la relance économique, mené de main de maitre le pays aux élections du 23 octobre, à avoir pensé à l’avenir en dressant « la Stratégie de Développement Economique et Social 2012-2016 » et obtenu, auprès de plus d’un pays, des promesses financement en complément de l’épargne nationale.
Plutôt que de reconduire pour une année une équipe qui gagne, le CPR veut la barrer d’un trait pour je ne sais quelle raison. Cette reconduction a le mérite d’assurer une certaine continuité ce qui peut contribuer à tranquilliser l’investisseur local et étranger qui n’attendent que l’horizon s’éclaircisse et non se couvrir de brumes en partant de rien et en chambardant tout. J’ai entendu M. Marzouki affirmer que les chiffres de l’Administration sont faux et qu’il y a lieu de procéder à un audit. Est-ce sérieux ?
Tout en partageant la finalité de son approche, je ne pense qu’elle soit réaliste et relève d’un pragmatisme politique.
Ce bouleversement, ou plutôt ce tsunami, sera loin de susciter l’enthousiasme de l’Administration qui demeure l’outil principal dans toute action de développement.
N’est-il pas plus logique de faire le choix de laisser la Constituante vaquer à ses activités principales qui sont nombreuses et dont l’essentielle est l’élaboration d’une nouvelle Constitution en y associant nos experts et la société civile ?
Avec son approche, je verrais le CPR plutôt dans l’opposition qu’au Gouvernement !
Mon troisième malaise vient de l’absence de réunion de l’actuel Gouvernement avec tous les partis représentés ou non à la Constituante.
Cette réunion de travail que j’appelle de tous mes vœux, permettrait de déboucher sur un consensus sur divers points.
Le premier point à examiner serait le projet de loi de Finances pour l’année 2012 .Cette loi qui définit aussi bien les recettes (à court et à moyen terme) que les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat pour l’exercice, pourrait répondre aux préoccupations du CPR .Avec ses experts, il pourra introduire certains aménagements qui devront recueillir l’assentiment des diverses parties en présence.
Le second point à examiner porte sur les griefs faits au Gouvernement sur son action. Au vu des discussions certains ministres pourraient laisser la place à d’autres, ce qui est de nature à répondre aux craintes du CPR.
Comme l’action de ce gouvernement sera soumise au contrôle de la Constituante, je ne vois pas ce que le « peuple » au nom duquel le CPR parle, peut demander de plus !
Pourquoi pas ne pas rédiger aussi, tous ensemble, une feuille de route réaliste qui liera ce gouvernement dans son action au cours de cette année ? Je préfère cette approche au système de coalitions qui se trament dans les coulisses et qui pourraient cacher un appétit du pouvoir. En hommes responsables, ne pourrions-nous pas laisser le pouvoir pour demain ?
Mokhtar El Khlifi