Opinions - 27.08.2011

Assez de divisions

L'amour de la Tunisie qui nous a réuni serait-il dépassé par l'amour de Soi qui nous séparerait ? Au nom de la démocratie, nous avons créé nous-mêmes nos divisions et les plus récentes se démultiplient très vite.

Conscients des risques électoraux, nos nombreux partis cherchent à travers des regroupements à optimiser la configuration de leurs succès électoraux, sans véritable alignement ni confrontation profonde des programmes.

L’intérêt suprême de la nation n’aurait-il pas  généré une plus grande union autour de l’essentiel - une construction durable de notre nouvelle Tunisie - avec certes quelques divisions à la marge, bien moins nombreuses et moins porteuses de risques ?

Nous voyons déjà le coût de construction de notre modèle démocratique et nous espérons que les retombées de ce modèle seront bien supérieures et ne tarderont pas trop, l’incertitude et le temps pouvant jouer contre nous. Espérons aussi que nos divisions et nos regroupements récents contribueront à une construction efficace et efficiente de notre modèle démocratique sans trop retarder l’exécution du plan démocratiquement choisi pour la relance de notre développement économique et social.

Souvenons-nous, début janvier, un courage collectif a défié la terreur, conquis la liberté, exigé la dignité et la justice, dit stop aux abus… Ce courage porté avant la chute du régime par une minorité de Tunisiennes et de Tunisiens, était chargé d’une énergie surhumaine tellement exceptionnelle (RahmaIlahya) qu’elle a surpris tout le monde et gagné progressivement l’ensemble des citoyens y compris ceux parmi nous qui étaient au bureau ou à l’abri, au téléphone, devant leur télé ou leur ordi.

Nous étions unis, heureux de tourner une page noire de ce qui faisait déjà partie de notre histoire et fiers d’être Tunisiens, même si nous étions seuls devant le reste du monde (qui nous a admiré et soutenu par la parole plus que par l’action) et face à une nouvelle page blanche, notre nouvelle histoire.

Depuis, nous avons beaucoup parlé de beaucoup de sujets, certains plus importants que d’autres, nous avons progressé sur quelques sujets et régressé sur bien d’autres. Aurions-nous perdu de vue l’essentiel ?

Bien sûr nous devions engager un chantier de rénovation de la Tunisie et nous pouvions en profiter pour construire un édifice agréable et durable quitte à refaire les murs porteurs et les fondations (admettant qu’on s’était assuré de la faisabilité et qu’on avait les moyens d’aller proprement jusqu’au bout du chantier). C’est d’ailleurs l’esprit de la révision constitutionnelle.

En revanche, s’il est bon de refaire les fondations, il est difficile de préserver les mêmes chances de réussite de la rénovation quand on veut également changer le fondement sur lequel reposerait notre construction. La terre dont nous disposons est ce qu’elle est, roche, sable ou argile, il faut faire avec, quitte à utiliser des techniques innovantes pour un meilleur ancrage au sol.

Il en est de même pour notre patrimoine socio-culturel et pour les fondements de notre révolution (dignité, ordre & libertés, justice…), il faut composer avec (notamment notre arabo-islamité) et ce serait une erreur de les ignorer. L’expérience ayant montré que ceux qui se dressent contre leur ADN s’engagent dans la déprime et périssent à coup de décadences récurrentes, nous gagnons bien entendu à assumer notre ADN.

Discuter de notre arabo-islamité - par exemple - est bien entendu une chance de renforcer notre identité socio-culturelle mais ce n’est probablement pas notre priorité en 2011, ce n’est pas ça qui aurait changé l’ancien régime ni ce pour quoi les Tunisiens ont milité en janvier dernier. Traiter ce sujet avant la liberté, la sérénité, la justice, la dignité… serait diversion risquant de nous embourber hors de notre champ de bataille, à consommer une énergie précieuse sur un autre chantier que le nôtre. Nous tournerions en rond, à côté de la plaque, jusqu’à notre épuisement !

Qui avait entendu « laïcité » ou « retour à la Chariae » le 14 janvier 2011 ? La liberté de culte nous allait bien dans la constitution que nous voulons changer, c’est dans la pratique que certains ont dû souffrir pour avoir voulu être pratiquants et que certaines ont dû tomber le foulard pour préserver leur gagne-pain. Même ceux qui ont fait le choix de l’indécence n’ont pas été inquiétés avant la révolution, serait-ce plus de libertés qu’il leur faudrait après?

Ça nous ferait une belle jambe d’avoir une nouvelle constitution parfaite si notre nouvel exécutif ne fait pas respecter la loi et/ou que notre nouvelle justice tolère encore des abus ou ne sait pas le cas échéant les dissuader.

Si nos ressources sont limitées, ce dont personne ne doute, pourquoi dépenser toute notre énergie dans notre nouvelle constitution pour nous retrouver dans l’impossibilité de redresser notre navire probablement déjà à la dérive.

Notre révision constitutionnelle doit viser l’essentiel et converger rapidement, sous quelques mois, à l’image de ce qu’ont réussi nos frères qui ont tiré les leçons de notre révolution au Maroc. Partis bien après nous, ils ont défini leur constitution en 3 mois et se sont donné 3 mois pour les législatives. Il nous faut préserver une partie de notre énergie, de notre motivation et de notre mobilisation nationale, à l’exécution du plan dont l’élaboration aura déjà bien entamé nos réserves.

Ne soyons pas plus royalistes que le roi, nous n’allons pas faire renaître le communisme que les communistes ont lâché(notamment en Chine). Nous n’allons pas non plus continuer à copier aveuglément les travers de l’occident qui a longtemps cru avoir eu raison de se démarquer du bloc de l’est et qui se débat dans ses difficultés de crise en crise, faute d’avoir préservé ses équilibres économiques et sociaux et faute de contrôler les abus au nom d’une liberté devenue sacrée alors quedans de nombreux cas il s’agit surtout d’un prétexte à de nouvelles formes d’exploitation.

Notre avenir se joue davantage au centre, autour d’un plan de relance économique et sociale spécifique, générateur d’emplois, de richesse et de justice sociale, traitant les problèmes structurels en profondeur (ordre, libertés, justice, éducation, santé, finance, administration, autres secteurs, rôle du privé…), répartissant mieux la richesse générée, développant les vraies valeurs de notre société avec une moindre dépendance de l’international, une ouverture et une plus grande valeur ajoutée au niveau régional et mondial.

Nos partis politiques ne peuvent se tromper ni nous tromper, nous retrouverons dans les programmes des partis ou regroupements qui rassemblent le mieux les mêmes objectifs et les mêmes promesses. Ce ne sont pas les objectifs qui vont le plus nous séparer.

Ce qui va nous séparer c’est ce qui va différencier les partis politiques ou regroupements : la confiance que nous pouvons avoir en tel chef de file et son équipe souvent composite, la sincérité et la conviction autour des objectifs annoncés, la cohérence des objectifs cachés/privés avec les objectifs affichés/publics, l’aptitude à définir une démarche optimale et des moyens réalistes pour atteindre les objectifs annoncés, l’aptitude à dégager les moyens nécessaires (équipe, budgets…) et à exécuter la démarche retenue dans les délais annoncés pour délivrer les résultats attendus…

C’est le vrai débat qui devrait animer nos médias et faire avancer les travaux de nos partis politiques, déjà en retard sur la définition de la construction attendue et déjà trop nombreux, la course au pouvoir ayant malheureusement pris le dessus sur la course à la construction.

Ce débat n’étant pas suffisamment avancé pour l’instant et faute de temps, de contenu ou de pédagogie, il ne serait probablement pas bien avancé à la profondeur souhaitée à la veille des élections. Nous nous retrouverions à voter pour des équipes sur leur notoriété plus que sur leurs projets et leurs aptitudes à travailler ensemble pour réussir la transformation de la Tunisie.

Nous savons tous comment évoluent les entreprises qui allouent un budget à un projet stratégique voire vital et qui avant de lancer leur appel d’offres confient à des prestataires plus ou moins connus ou reconnus (y compris le futur maître d’œuvre) le soin de rédiger le cahier des charges auxquels ils devront eux-mêmes répondre dans le cadre de l’appel d’offres, et ce sans le soutien d’un assistant maîtrise d’ouvrage objectif, en mesure de prévenir s’il faut pré-cadrer un tir.

Dans la majorité de tels cas, ce sont les intérêts des prestataires dominants qui seraient préservés en priorité, probablement aux dépens de ceux du projet ou du maître d’ouvrage. Ce n’est pas la diffusion d’une note pessimiste qui est recherchée ici mais une volonté de sensibilisation à ce qui pourrait nous arriver dans cette expérience apprenante que nous vivons (learning by doing) pour la première fois.

Alors que nous n’avons pas eu le temps de savourer notre unité récente et fragile, nous sommes déjà dans des batailles de divisions que nous avons fabriquées nous-mêmes. Espérons que les élections suivies des travaux de l’assemblée constituante ne nous dévient pas longtemps de l’essentiel, la vraie construction de la Tunisie avec le peu de ressources financières qui nous restent, la bonne équipe dirigeante soutenue par toutes les autres ressources humaines car la Tunisie a besoin de toutes ses ressources pour se remettre à avancer vite sur le chemin du succès. Gare à la coalition de quelques partis qui représenterait une majorité et mettrait à l’écart quelques dizaines de partis.

Notre seule chance d’y arriver consiste pour chacun de nous et de nos leaders à remettre en avant l’intérêt supérieur de la nation (devant celui de leur équipe et de leurs élus ou électeurs privilégiés) fondé dans la mesure du possible sur un véritable Amour pour la Tunisie et les Tunisiens, à respecter tous les Citoyens avec leurs besoins, attentes, sensibilités et différences, sans oublier leurs élus ou leurs électeurs, bref à faire une bonne place à ce qui deviendra le modèle Tunisien de démocratie participative, ce qui suppose notamment une bonne maîtrise de nos égos.

Souvenons-nous au lendemain de l’indépendance, Bourguiba a eu la bonne idée de mettre le cap sur l’éducation et de nombreux élèves du secondaire avaient interrompu leurs études et répondu à cet appel à la construction de la nation pour remplacer les instituteurs et professeurs français qui ont dûretourner en France.
   
Ceux qui ne se souviennent pas eux-mêmes peuvent demander à leurs parents ou grands-parents mais la qualité de l’enseignement public tunisien dans les premières décades de l’indépendance était supérieure et j’en profite pour saluer la génération de mon père qui par son dévouement a fait de nous ce que nous sommes.

Le temps est venu pour que notre génération fasse un effort collectif que les prochaines générations pourraient saluer avec respect et reconnaissance. Cet effort, nous avons besoin d’en parler et surtout de le faire de notre vivant pour ceux qui en ont les moyens.  Les besoins de financements de notre économie peuvent faire appel en partie à la contribution de nos riches et pas exclusivement à des emprunts auprès du FMI ou de la Banque Mondiale. Une réduction du train de vie de certains Citoyens fortunés pourrait permettre une amélioration significative du quotidien de plein d’autres.

Quel sens auraient nos vies et que seraient devenus nos rêves si nous sommes les plus sages, les plus riches ou les plus éduqués de nos cimetières alors que de notre vivant nous n’avions pasfait preuve de sagesse et/ou n’avions pas engagé nos contributions à la construction de notre Tunisie au moment où elle en avait le plus besoin ? Si nous réussissons ensemble ce challenge, la douceur de vivre en Tunisie serait de nouveau mieux partagée et bien plus qu’un slogan publicitaire.

Un proverbe Africain dit : ‘si tu veux aller vite, vas-y seul, si tu veux aller loin, vas-y en groupe’.

Nous,aujourd’hui, en Tunisie, nous avons besoin d’aller vite et loin, allons-y ensemble, unis. Les juifs du monde restent à jamais unis pour aider leurs frères en Israël et préserver leur autonomie et leur sécurité. Agissons ensemble pour nous-mêmes et gare aux fausses batailles qui nous diviseraient pour qu’un tiers qui se cache bien puisse régner en toute quiétude.

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Mounir Beltaifa