News - 24.07.2011

Ethique post-révolutionnaire

Dans notre Tunisie d’après-révolution, diverses voix s’élèvent pour dessiner le visage de la Tunisie future. Entre optimisme et inquiétude, les avis divergent. D’aucuns craignent une crise économique, d’autres affirment que bien au contraire, sans corruption et sans mainmise sur l’économie tunisienne, celle-ci croîtra avec les nouvelles implantations d’entreprises prévues en Tunisie et l’essor présumé du secteur touristique suite à la bonne réputation dont jouit, désormais, la Tunisie dans un grand nombre de médias internationaux reconnus.

Les débats dans le secteur politique n’en sont pas moins intenses et divergents. Face à ceux qui croient qu’une période de six mois, voire plus, ne permettra pas à une grande frange de la population de faire une connaissance minimale des partis politiques en place, le désert politique instauré par l’ex-régime de Ben Ali ayant fait table rase de toute émergence d’une conscience citoyenne, il y a ceux qui croient fermement que si tout le monde s’y mettait, les médias en premier lieu, et profitant de l’intérêt soudain de nos concitoyens pour la politique, on pourrait faire une sorte de «cours accélérés» afin de permettre aux intéressés d’accéder à une connaissance, et des programmes politiques des divers partis en place et des diverses activités effectives et possibles de la société civile.

Nouvelle vision économique, nouvelle perception politique, nouvelle conception du développement, nouvelle approche de la justice sociale et même nouvelle manière de gérer les affaires sportives. Tous les sujets étaient présents sur les plateaux télé, sous la plume des journalistes et même dans les discussions privées ou semi-privées entre intellectuels et autres franges du peuple tunisien. Le parent pauvre de cette révolution était, hélas, le volet éthique. Peu de gens ont constaté le déficit éthique de la société «faite» par le régime Ben Ali, notamment par ses choix dans les domaines de l’enseignement et de la communication médiatique.

Depuis des années déjà, l’un des sports préférés de bon nombre de nos concitoyens était de se calomnier les uns les autres. Facebook, pourtant un des outils forts de la révolution, est le théâtre d’une panoplie d’insultes, d’accusations et d’injures que se portaient les Tunisiens les uns aux autres bien avant la révolution du 14 Janvier.

Et pour quelqu’un qui a un minimum de connaissance en matière de philosophie éthique, il est plus que prévisible que le comportement éthique ne peut s’acquérir du jour au lendemain, même si le jour est un 14 janvier dont l’histoire de la Tunisie se souviendra à jamais. Il serait candide de croire qu’à partir du 15, les Tunisiens deviendraient plus tolérants, plus affables, moins agressifs et moins belliqueux.

Le changement éthique est l’un des plus longs à se mettre en place, mais il faut en premier lieu se rendre compte de sa nécessité. Il est pour le moins désolant de constater que l’une des résultantes de la révolution tunisienne soit des règlements de comptes, des coups bas, des accusations sans fondement et des insultes à tout bout de champ.

S’il est vrai que le régime de Ben Ali a tout fait pour que le concept des droits de l’homme soit juste une propagande menée dans une langue de bois à souhait et destiné à la consommation à l’étranger, s’il est vrai que ce même régime a tout fait pour affaiblir, voire éradiquer, la confiance entre le citoyen et la loi, en instaurant une impudique impunité, s’il est vrai que, sous ce même régime, l’homme était forcément accusé jusqu’à preuve de son innocence, il est désolant que certains Tunisiens se soient à ce point imprégnés d’un régime qui, s’ils ont réussi à le faire tomber, continue à peser, certes inconsciemment, sur les comportements et la conduite de pas mal d’entre eux.
A titre d’exemple, certains Tunisiens qui se sont rués sur les maisons et les palais des membres du régime déchu afin de s’emparer de certaines «richesses» qui, faut-il le rappeler, appartiennent à la communauté, et non aux pilleurs qui habitaient dans le coin et qui se sont octroyé le droit, vu la proximité, de se muer eux-mêmes en voleurs qui volent les voleurs, et qui s’approprient les biens qui ne sont pas les leurs.

Les journaux d’aujourd’hui qui se sont permis parfois de se livrer à des ragots ridicules ressemblent étrangement aux journaux d’hier qui calomniaient les opposants et les insultaient dans un style malveillant. Les facebookers d’aujourd’hui qui fustigent le premier à avoir un avis différent des leurs ressemblent à s’y méprendre aux ex-mercenaires du pouvoir en place qui refusait d’écouter la moindre critique portée à son égard.

Et les divergences intellectuelles entre Tunisiens laïques ou islamistes de devenir une scène d’obscénités, de médisances et d’accusations; et les divergences politiques ou idéologiques de donner lieu à de le fausse propagande, à l’atteinte à la vie privée et même aux menaces à peine cachées; des politiciens tunisiens comme Rached Ghannouchi, Moncef Marzouki, Néjib Chebbi; des intellectuels et artistes tels Salwa Charfi, Nouri Bouzid, Mohamed Talbi et j’en passe, libres d’épouser l’idéologie qu’ils jugent meilleure, se sont vus carrément lynchés verbalement.

Afin de construire notre Tunisie de demain, je pense que le long terme est aussi important que la hâte manifestée par certains de consommer politiquement la liberté révolutionnaire. Et le long terme, le travail de longue haleine qui nous attend tous est celui de réapprendre au Tunisien aspirant à la démocratie le sens profond de la locution «respecter la différence» qu’aucune dictature au monde ne sait conjuguer.

Olfa Youssef