News - 14.06.2011

Rafaa Ben Achour : ma mission auprès de Béji Caïd Essebsi

Professeur de Droit, issu d’une illustre lignée d’Oulémas et de Muftis et attaché au sens de l’Etat et du service public, le Pr Rafaa Ben Achour s’est trouvé propulsé, fin février, au coeur du gouvernement de transition, appelé par l’ancien Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, une semaine seulement avant sa démission, à rejoindre son équipe réfugiée à Carthage après l’occupation de la Kasbah.

Reconduit par son successeur, M. Béji Caïd Essebsi, qui en fait son Ministre-Délégué, il se retrouve au coeur du dispositif gouvernemental, « dans un rôle de facilitateur », comme il le dit modestement. Dans quelles conditions avait-il été appelé, puis, promu ? Quelles sont ses attributions exactes ? Comment vit-il les moments chauds de sa charge ? Quels rapports entretient-il avec son mentor ? Comment juge-t-il BCE et que compte-t-il faire après le 24 juillet ? Une interview exclusive pour Leaders.

« Je suis arrivé, sollicité par M. Mohamed Ghannouchi, le 22 février, pour me joindre à son équipe en tant que Conseiller, charge que j’ai acceptée. J’ai alors vécu la toute dernière semaine de son gouvernement. J’avais le plus grand respect pour ses qualités humaines, professionnelles et son sens aigu de l’Etat et du Service Public. Mais, à ce moment-là, il y avait entre le gouvernement et la population, une crise profonde de confiance qui s’est focalisée sur la personne de M. Ghannouchi. La situation était devenue intenable, surtout lorsque le samedi 26 février, «une bande» s’est emparée du journal télévisé de la chaîne publique et a appelé au meurtre de Si Mohamed.

Le lendemain, dimanche 27, une réunion de travail était programmée le matin pour étudier les textes des projets de décrets-lois relatifs aux trois commissions. A mon arrivée à Carthage, le Premier Ministre m’a informé qu’il allait remettre sa démission. Très paradoxalement, il était extrêmement serein, mais fermement déterminé à ne pas prolonger son bail.

Lundi 28, Si Béji était reçu par le Président de la République, qui lui a proposé d’être Premier Ministre et il a accepté.

Vous connaissiez déjà bien Si Béji ?

Oui, effectivement. D’ailleurs, une semaine avant sa nomination, il m’avait fait l’honneur s’assister à un séminaire que j’organisais à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, dans le cadre de mon unité de recherches, sur les aspirations constitutionnelles et institutionnelles de la Révolution du 14 janvier. Nommé Premier Ministre, il a insisté pour que je ne me contente pas d’un poste de Conseiller auprès de lui, mais d’être son Ministre-Délégué. Tout de suite, une relation de confiance encore plus renforcée, s’est établie entre nous deux et elle continue à ce jour.

Quelles sont vos attributions actuelles ?

Elles ne sont pas strictement définies. Je m’occupe de toutes les questions dont me charge le Premier Ministre, qu’elles soient de nature politique, administrative économique, ou autres. En réalité, j’assiste le Premier Ministre qui a une méthode de travail propre à lui, très différente de celle de son prédécesseur. Je suis notamment chargé d’assurer la coordination entre les différents ministres et le chef du gouvernement. A titre d’exemple, je prépare les conseils interministériels, avec le concours du Secrétaire Général du gouvernement, l’ordre du jour du Conseil des Ministres et, quand le PM ne peut pas le faire, je coordonne certaines réunions interministérielles. Nous pouvons dire que je suis l’interface, entre le PM et les différents membres du gouvernement, étant précisé que les ministres ont un accès direct au chef du gouvernement, quand ils le veulent ou quand le Premier ministre a besoin d’éclaircissements sur certains aspects de la gestion de leurs départements respectifs. Cela pour dire que je ne fais pas écran entre le PM et ses ministres. Ma mission est une simple mission de facilitation du travail du gouvernement et de désencombrement du Premier Ministre.

Quels sont les dossiers chauds que vous traitez ?

Ils sont tous ou presque aussi chauds les uns que les autres, à l’instar de la situation générale du pays. L’objectif assigné par Si Béji est de faire arriver le pays à l’échéance fixée au 23 octobre pour tenir des élections de la Constituante. Pour cela, il faut préparer le terrain sur tous les plans. Au niveau sécuritaire (l’ordre public doit être intégralement rétabli dans le respect de la loi et de la diversité), sur le plan social (des solutions à trouver à tous les problèmes qui surgissent chaque jour sous forme de grèves, sit-in, manifestations et autres), sur le plan réglementaire (des textes doivent être préparés), sur le plan politique (la nécessité de réaliser un consensus national n’excluant pas les différences), etc.

Malheureusement, ce processus a été parfois perturbé par des épiphénomènes tes que les déclarations de l’ancien ministre de l’Intérieur qui nous ont fait perdre quelques jours précieux et ravivé un certain nombre de tensions qu’on a pu finalement surmonter. Nous avons vécu une semaine particulièrement dure, avec le regain de manifestations, de violence, de pillages, de incendies alors qu’on croyait avoir bien dépassé ce stade. Les affrontements tribaux et claniques à Sned et à Siliana étaient également particulièrement éprouvants. Tout comme certaines grèves, durement vécues, notamment celle qui avait menacé les unités de production de British Gas qui fournissent les 2/3 de l’énergie électrique. En plus de la situation sur la frontière, quotidiennement vécue avec beaucoup d’angoisse.

Quels sont vos rapports avec BCE ?

Sur le plan personnel, j’ai la plus haute estime et le plus grand respect pour lui. Malgré la différence d’âge, nous avons des rapports amicaux et cordiaux. Une grande confiance règne entre nous, sans atteindre pour autant le paternalisme. Si Béji est un véritable Homme d’Etat, qui a un flair politique extraordinaire et qui est, surtout, optimiste. Très souvent, je viens dans son bureau le matin quelque peu démoralisé et c’est paradoxalement lui qui me recharge les batteries en insufflant en moi son optimisme. Il garde toujours son sang-froid. Extrêmement calme, il n’élève jamais la voix. Je le sens parfois tourmenté, pensif, mais jamais pessimiste. Jamais, je ne l’ai entendu dire qu’il allait rendre le tablier. Malgré toutes les menaces et les attaques personnelles dont il est la cible. Il ne s’est jamais découragé et ne cesse de répéter : «nous devons remettre la Tunisie, après les élections, dans un état meilleur que celui où nous l’avons trouvée le 7 mars », date de la constitution officielle de son gouvernement.

Que ferait-il après les élections ?

Il l’a toujours dit, ce n’est pas à son âge et après son cours, qu’on commence une nouvelle carrière politique. Avant de revenir, il avait un rythme de vie bien organisé, discipliné : le matin, il allait à son cabinet d’avocat et l’après-midi, il se consacrait à la lecture, à l’écriture, aux amis et à la famille. Il ne fait pas de confidences quant à ses projets, mais je suppose que le jour où il quittera la Kasbah, il reprendra son même rythme de vie d’avant. Je rappelle que durant sa longue carrière, Si Béji avait dû quitter à plusieurs occasions des charges politiques élevées. Et à chaque fois, il a toujours endossé à nouveau sa robe d’avocat et plongé dans la lecture et l’écriture. A présent, il fera de même.

Et vous-même ?

Moi aussi, il m’est arrivé d’occuper des fonctions universitaires et, durant une courte période j’ai été Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education, mais j’ai repris immédiatement après, mon vrai métier d’universitaire que je n’ai jamais abandonné. A ce jour, je continue en effet de l’exercer au sein de la Faculté, en organisant des séminaires, encadrant des étudiants en doctorat, etc. D’ailleurs, il m’arrive parfois, quand je suis très débordé, de recevoir à la Kasbah mes étudiants, si je n’ai pas l’occasion d’aller directement sur place.

Seriez-vous candidat à la Constituante ?

Je ne peux pas l’être ! Nous avions tous pris l’engagement, en rejoignant le gouvernement, de ne pas nous porter candidats et nous avons mentionné cette interdiction dans le texte de décret-loi qui organise les pouvoirs publics. Personnellement, j’aime rendre service à mon pays et je l’ai fait quand cela m’a été demandé en considérant toujours que c’est une simple parenthèse dans ma carrière universitaire. Ma carte de visite est toujours celle de professeur universitaire, le métier que je ne quitterai jamais.