Comment l'entreprise tunisienne a-t-elle vécu la révolution du 14 janvier ?
La révolution du 14 janvier 2011 a provoqué auprès de l’ensemble des acteurs économiques son lot d’émotions de soulagement, de délivrance et d’espoirs mais aussi d’insécurité, d’instabilité et de doutes.
Comment les entreprises tunisiennes ont-elles vécu la période post 14 janvier ? Comment les chefs d’entreprises perçoivent-ils l’avenir de leurs entreprises ?
Pour répondre à ces questions, Ernst & Young a déroulé, au cours du mois d’avril 2011, une enquête auprès d’un échantillon d’entreprises tunisiennes.
L’échantillon couvert
Les entreprises sélectionnées pour cet exercice sont celles privées opérant dans les secteurs de l’industrie, du commerce et des services de l’industrie et qui sont exposées aux aléas du marché. Autrement dit, les entreprises qui opèrent en centre de production délocalisé ont été exclues du champ de l’étude, étant donné que les risques business encourus sont, par définition, limités à la plateforme de production et logistique. Les secteurs financier et touristique, considérant leurs spécificités respectives, ont été également écartés. Pour des raisons évidentes, les entreprises ou pôles d’activités au sein de groupes qui ont fait, après le 14 janvier, l’objet de « nationalisation » par l’Etat ont été également exclues.
Au total, l’enquête a touché 85 entreprises appartenant à 21 groupes importants en Tunisie et opérant dans 16 pôles d’activité. Elles représentent plus de 5,6 milliards de dinars de chiffre d’affaires et emploient plus de 35 000 employés. C’est dire que l’échantillon est bien représentatif du tissu entrepreneurial de la Tunisie.
Les enseignements majeurs
Trois (3) enseignements majeurs ressortent de cette étude :
- L’entreprise tunisienne a démontré une forte résilience face à l’adversité. Sans surprise, la majorité des entreprises interrogées ont connu une baisse voire une forte baisse de leurs chiffre d’affaires sur le premier trimestre 2011, liée à un dérèglement de la demande des clients (87%), mais aussi à la perturbation de la chaine logistique. 90% des entreprises déclarent avoir connu des perturbations dans leurs chaines logistique : distribution (87% des cas), production (67%) et approvisionnement (51%). Les problèmes de sécurité sont cités en premier comme étant à l’origine du grippage de la chaîne logistique. Viennent ensuite la destruction et le vol de stocks et la défaillance des moyens de transport.
L’ensemble des entreprises interrogées ont connu des problèmes de trésorerie mais seulement 42% d’entre-elles jugent ces difficultés importantes.
- Une forte volonté de réinventer la gestion des ressources humaines se dégage. La plupart des entreprises interrogées (74%) ont connu des problèmes ou des frictions dans la gestion de leurs ressources humaines et ont dû faire face aux multiples revendications de leur personnel : sur les salaires (78%), sur les titularisations et intégration du personnel en sous-traitance (68%), sur la structure et grille des salaires (49%) mais aussi sur les conditions de travail et la gestion de carrière (38%).
En dépit de cette vague de protestations, 94% des entreprises ont souligné l’attachement de leurs employés à leur entreprise et ont mentionné les marques de solidarité de leur personnel et leur volonté pour protéger leur entreprise dans les moments les plus délicats de l’après 14 janvier.
D’un autre côté, les entreprises déclarent majoritairement (54%) ne pas être satisfaites de leur fonction de GRH. 90% des dirigeants interrogés soulignent la nécessité d’une refonte totale de cette fonction et une redéfinition de ses responsabilités pour couvrir de façon large les domaines de gestion de carrière et de la performance dans le cadre d’une politique participative et basée sur une communication soutenue.
- Les entreprises se sentent libérées et affichent une confiance dans l’avenir. L’optimisme des chefs d’entreprises est plus marqué lorsqu’on se situe sur l’horizon moyen terme que court terme, mais il est tout de même là. Par exemple, 58% des entreprises anticipent une amélioration de leurs volumes de ventes au cours des 3 prochains mois, mais seulement 8% anticipent une dégradation. Côté social, 62% estiment que le climat social s’améliorera sur les 3 prochains mois. A la question de savoir quel est le temps estimé pour le retour à la normale de l’activité de l’entreprise, 36% indiquent un horizon de 3 à 6 mois, 34% entre 6 mois à 1 année et 30% à une période de 1 à 2 ans. Aucun n’a estimé cette période de transition à plus de 2 ans.
Au-delà de cet aspect, l’étude révèle que les entreprises ont commencé à être plus actives pour challenger leurs stratégies et scruter les nouvelles opportunités de développement. 72% des entreprises déclarent avoir identifié des opportunités, avec pour corollaires développement des ventes à l’export (75% parmi elles) et développement de nouveaux produits (64%).
Point important, 94% des entreprises affichent une confiance dans leur capacité à s’adapter aux changements des conditions de l’environnement économique et adresser les enjeux de la période à venir. En même temps, 68% comptent engager des réformes structurantes de leur organisation, processus et systèmes d’information pour bien s’y préparer. Comme Peter Drucker, grande référence en Management, on obtient des résultats en exploitant des opportunités, non en résolvant des problèmes.
Noureddine Hajji
Associé Directeur Général
Ernst & Young Tunisie
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Aussi les chefs d'entreprises sont dans l'obligation de faire évoluer si non de changer de système dans la façon de gérer leurs entreprises . il faut avoir du courage et un sens de la responsabilité pour surmonter les obstacles rencontrés.
Cette étude démontre, preuves à l'appui, la nécessité d'un lien social fort. Ce lien qui correspond à une aspiration naturelle en Tunisie tant dans le domaine public que dans le domaine privé est un facteur clé de la performance. Le récent rapport de l’association Odissée sur l'état social de la France a démontré sur la base de chiffres irréfutables la corrélation entre performance et lien social. Bien entendu, ce n'est pas simple pour le management d'une entreprise, la direction d'une administration (sans parler des gouvernants) que d'admettre que la base peut avoir raison, voire qu'elle est capable d'avoir des idées pertinentes sur la marche de ce qui la concerne ! Mais quel plaisir que de sentir l'enthousiasme, la motivation, l'implication et au bout du compte une meilleure performance économique. Je fais le pari que la Tunisie déjà citée en exemple en France sur le plan citoyen sera demain un exemple de performance économique par la qualité du lien social et de la communication interne de ses entreprises et administrations. Berto Taïeb Directeur Associé Goodshape agence conseil en communication responsable