News - 11.12.2025

L’huile d’olive tunisienne: de la qualité, fruit d’un savoir-faire millénaire (Album photos)

L’huile d’olive tunisienne: de la qualité,  fruit d’un savoir-faire millénaire (Album photos)

Par Ridha Bergaoui - La Tunisie connaît cette année une récolte d’olive exceptionnelle avec près de 500 000 tonnes d’huile. Si les agriculteurs se plaignent des prix jugés trop bas, les consommateurs profitent d’une huile d’olive plus accessible. Dans les grandes surfaces elle se vend entre 12 et 14 dinars le litre pour l’extra-vierge conditionnée, un peu moins dans les huileries où de nombreuses familles, comme chaque année, s’y rendent pour constituer leur réserve.

La qualité de l’huile d’olive est très variable et dépend de nombreux de facteurs relatifs aux olives et aux techniques de trituration. Ce qui est vendu dans les huileries n’est pas toujours de l’extra-vierge. Officiellement la qualité d’une huile d’olive est jugée après des analyses au laboratoire ainsi qu’une dégustation par un jury de spécialistes.

L’huile d’olive tunisienne, un produit de qualité

Les huiles des graines (soja, maïs, tournesol…) sont obtenues par extraction par des solvants chimiques, raffinées, traitées et généralement neutres. L’huile d’olive est tout le contraire, un jus d’olives extrait, par pression ou centrifugation, après broyage. Sa composition et ses caractéristiques sont  très variables, en fonction d’une multitude de facteurs (la variété, le sol, le climat, les techniques culturales, les méthodes d’extraction, la conservation des olives…) et reflètent les conditions de culture et de traitement des olives. Chaque huile, provenant d’un agriculteur donné, ou même d’une parcelle donnée, est particulière. L’huile d’olive, au même titre que le vin ou le fromage, pour les consommateurs avertis, est un produit d’un terroir, le produit de conditions naturelles particulières et du savoir faire du producteur.

La Tunisie a la réputation de produire une huile d’olive de qualité. Généralement l’huile d’olive extra vierge constitue plus de 80% des volumes exportés. Des huiles tunisiennes sont régulièrement primées dans les concours internationaux les plus prestigieux. La Tunisie est devenue un leader dans le domaine de l’huile d’olive dont la qualité est reconnue mondialement.

Cette place privilégiée résulte:

D’un climat idéal pour l’olivier
De variétés autochtones d’exception (surtout Chemlali et Chetoui dont l’huile est riche en polyphénols)
Une culture traditionnelle de l’olivier, qui entraine une croissance lente et des huiles concentrées, riches en antioxydants.
Un savoir-faire ancien (plus de 3 000 ans)
Une progression spectaculaire des huiles premium primées dans de nombreuses foires internationales.

Enfin, la Tunisie est l’un des plus grands producteurs d’huile biologique au monde, avec environ 50 000 tonnes exportées chaque.

Les principales huiles d’olive

Les huiles d’olive se classent, selon leur composition chimique, le profil sensoriel et le mode d’extraction, en vierge extra (ou extra-vierge), vierge et lampante, ainsi qu’en d’autres catégories moins importantes surtout en quantité commerciales.

L’huile d’olive est dite vierge parce qu’elle est obtenue par des procédés mécaniques, sans aucun traitement chimique, ce qui permet de préserver ses qualités gustatives et nutritionnelles. L’extraction est faite généralement à froid (température inférieure à 27 °C) pour préserver ses arômes, nutriments et bienfaits.

L’huile d’olive extra-vierge (EVOO), présente une acidité ≤ 0,8 %, aucun défaut organoleptique et un fruité positif. Elle est destinée à l’usage quotidien de qualité, à l’assaisonnement et aux cuissons légères. 
L’huile d’olive vierge, a une acidité ≤ 2 % et de légers défauts sensoriels. Elle est utilisée surtout en cuisson, en friture légère ou mélangée. 
L’huile lampante (acidité > 2 % ou défauts marqués) n’est pas consommable en l’état et doit être obligatoirement  raffinée avant tout usage alimentaire. Elle sert principalement à la fabrication d’« huile d’olive raffinée ou de mélanges ». Elle est obtenue à partir d’olives abîmées, trop mûres ou mal conservées.
Enfin, l’huile de grignon est extraite du grignon (résidus solides après première pression des olives et renfermant pulpe, peau, fragments de noyau) à l’aide de solvants ou par procédés thermomécaniques. Non consommable directement, elle est raffinée puis souvent mélangée à des huiles vierges pour la rendre conforme aux normes alimentaires. Son utilisation est surtout culinaire économique et industrielle (friture, conserverie, restauration de masse).

Des laboratoires spécialisés mesurent les paramètres tels que l’acidité, l’indice de peroxyde, la teneur en polyphénols et la pureté de l’huile. Les polyphénols  sont des substances naturelles qui donnent à l’huile d’olive son goût amer et piquant caractéristique, surtout dans les huiles extra vierges fraîches. Elles sont très bénéfiques pour la santé (antioxydants puissants, effet anti-inflammatoires, neuroprotecteurs, prévention des cancers, santé cardiaque…).

Sur le plan sensoriel, l’analyse est réalisée par un panel de dégustation officiel composé d’un groupe de 8 à 12 dégustateurs spécialisés et dirigés par un chef de panel agréé. Ce panel évalue la présence d’attributs positifs (fruité, amertume…) et vérifie l’absence de défauts. Les dégustations se font dans des verres colorés (bleus ou rouges) pour neutraliser l’effet visuel (couleur de l’huile) et juger uniquement le goût et l’odeur.

La combinaison des deux approches (analyses chimiques et sensorielles) permet de déterminer objectivement et officiellement la classe commerciale de l’huile, garantissant au consommateur une huile conforme, saine et authentique.

Des huiles particulières

A coté des quatre types d’huile d’olive présentées précédemment, les plus connues et les plus commercialisées, on peut trouver des huiles de qualité, haut de gamme comme:

L’huile d’olive premium est la catégorie la plus haute des huiles d’olive. Il s’agit d’une huile extra-vierge d’exception, issue souvent de récoltes très précoces, très riche en polyphénols, avec une acidité très basse (souvent < 0,3 %), une intensité aromatique remarquable et un profil sensoriel sans aucun défaut. Elle est utilisée pour la haute gastronomie, les dégustations et les marchés premium. 

L’huile d’olive biologique est une huile produite, selon un cahier des charges spécifique et des méthodes respectueuses de l’environnement, à partir d’olives cultivées sans pesticides chimiques, engrais de synthèse, et certifiées par des organismes officiels. Souvent extra vierge, elle conserve un goût fruité intense et une richesse en polyphénols, bénéfiques pour la santé.

Enfin, dans la gamme des huiles de qualité on peut citer une huile un peu spéciale mais très recherchée et qui jouit d’une excellente réputation, c’est l’huile de décantation ou « fleur d’huile » dite chez nous «huile noudhouh» زيت نضوح. Huile rare et introuvable dans le commerce mais qu’on peut se procurer en très petites quantités dans certaines huileries ou chez certains agriculteurs. Après broyage  des olives, la pâte est laissée se reposer (toute une nuit de préférence), l’huile sort spontanément de la pâte et monte à la surface, il est possible alors de la récupérer  manuellement. Cette huile, obtenue naturellement sans pression ni centrifugation, possède des caractéristiques exceptionnelles, pure, un arôme fruité intense et une faible acidité. A consommer de préférence avec du pain « tabouna » chaud, un vrai délice.

D’autres types d’huiles, qui répondent à des exigences religieuses, sont également commercialisées dans le monde et ciblent plutôt une population particulière comme les huiles certifiées Halal ou Kasher. Ces signes religieux peuvent être également utilisés comme argument de vente pour convaincre certains consommateurs soucieux de leur santé. La certification Halel, délivrée par les autorités musulmanes officielles du pays (le mufti de la république généralement pour la Tunisie), certifie que l’huile, au cours de sa production, n’a été au contact avec aucune des substances interdites par la religion musulmane (graisse de porc, alcool ou autres…). L’huile d’olive Kasher est une huile qui respecte les lois alimentaires juives et certifiée, après contrôle et suivi du processus de fabrication, par des autorités religieuses juives compétentes.

L’acidité de l’huile traduit la qualité des olives

L’acidité de l’huile d’olive, critère essentiel dans la classification des huiles, provient principalement de la dégradation des triglycérides en acides gras libres. C’est le reflet de la qualité des olives et des conditions de transformation (olives abîmées, trop mûres ou attaquées par des parasites favorisant la libération d’enzymes qui dégradent les triglycérides). Si les olives sont stockées trop longtemps avant trituration, des fermentations se produisent, augmentant l’acidité. Une faible acidité indique une huile obtenue à partir de fruits sains et rapidement pressés, tandis qu’une acidité élevée traduit des défauts de matière première ou de procédé.L’acidité libre de l’huile ne peut être mesurée qu’après extraction, on ne peut donc pas directement mesurer l’acidité sur les olives. Il existe toutefois des méthodes indirectes approximatives pour anticiper la qualité probable de l’huile. Des olives fraîches, saines, récoltées à maturité donnent en général une huile à faible acidité. Des olives abîmées, tombées au sol, fermentées ou stockées longtemps vont donner une huile dont l’acidité est élevée. Des appareils et kits de terrain, qui analysent les olives, donnent une estimation très approximative et peu précise  de l’acidité libre de l’huile obtenue.

La couleur de l’huile n’est pas un critère de qualité

La couleur de l’huile n’est pas un critère de qualité et n’intervient pas dans la classification des huiles d’olive. La couleur peut aller du vert intense au jaune doré, selon  la variété, le degré de maturité des olives (avec des olives vertes on obtient une huile plus verte, avec des olives mûres on a une huile plus dorée), les conditions de culture et de transformation. La couleur foncée de l’huile est attribuée en général à une forte teneur en chlorophylle et en polyphénols obtenue à partir d’olives récoltées encore vertes. Les huiles couleur  jaune doré, proviennent d’olives mûres, noires riches en caroténoïdes. Les huiles vertes ont un goût intense, sont généralement plus amères que les huiles jaunes plus douces et légères. La conservation de l’huile entraine un changement de la couleur verte suite à la décomposition de la chlorophylle et l’huile tend à devenir plus jaune en vieillissant. La couleur ne reflète pas la pureté ou la valeur nutritionnelle de l’huile. Beaucoup associent une huile verte à la fraîcheur et à la richesse en polyphénols, mais une huile jaune, dorée peut être tout aussi excellente.

La qualité de l’huile commence au verger

Afin d’assurer une huile de qualité, il est nécessaire de maitriser toute la chaine allant de la variété et des techniques culturales, à la récolte, la trituration des olives et la conservation de l’huile. Pour obtenir une huile d’olive de qualité, chaque étape doit être menée avec un soin rigoureux.La récolte doit être effectuée au stade optimal de maturité, de préférence lorsque les olives commencent à noircir, avec des olives saines et jamais ramassées du sol (زيتون نشيرة). La cueillette doit être manuelle ou par vibration pour éviter les blessures. L’usage de bâtons est déconseillé car il abîme les fruits, les branches et les jeunes pousses. Les olives doivent être placées dans des caisses aérées, jamais dans des sacs en plastique qui favorisent la fermentation. Le transport jusqu’à l’huilerie doit être rapide, idéalement dans les 6 à 12 heures suivant la récolte, afin d’éviter l’échauffement, l’oxydation, les fermentations  et le développement de moisissures qui font rapidement grimper l’acidité de l’huile. Le stockage temporaire des olives doit être très court, dans un endroit aéré, frais et propre, en couches minces  pour limiter l’échauffement et les fermentations. Il est essentiel de triturer les olives le plus rapidement possible, dans les 24 heures maximum.

Ces bonnes pratiques conditionnent directement l’acidité, l’arôme, la fraîcheur et la richesse en polyphénols de l’huile produite.

Conclusion

La culture de l’olivier en Tunisie remonte à très loin. Des fouilles récentes dans la région de Kasserine, ont révélé au pied du Jbel Semmama, dans le site appelé Henchir Begar, un domaine d’environ 33 ha, d’infrastructures hydrauliques et une vingtaines d’énormes presses à levier pour extraire de l’huile d’olive, destinée probablement à l’exportation vers Rome via le port de Carthage. Ceci montre que la culture de l’olivier était importante même du temps des Romains et se faisait d’une façon rationnelle en pluvial, avec des infrastructures hydrauliques adéquates pour une collecte maximale de l’eau de pluie,  et que l’exportation de l’huile d’olive tunisienne vers l’Italie ne date pas d’aujourd’hui.Notre huile d’olive, généralement de bonne qualité, résulte d’un savoir-faire millénaire. En Tunisie, le problème n’est ni la qualité ni la quantité non plus, surtout avec la montée de nouveaux bassins d’huile d’olive, autres que les bassins traditionnels (Sfax et le Sahel), comme Sidi Bouzid et Kairouan. C’est surtout le peu de valorisation de cet « or vert ou or liquide », exporté essentiellement en vrac comme une banale matière première, vendue à bas prix mais conditionnée et commercialisée sous des marques étrangères, bien appréciées partout par des consommateurs des plus exigeants.

Ridha Bergaoui