News - 28.10.2025

Nicola D’Ambrosio - Une nouvelle lecture du livre de Hédi Bouraoui: Transculturalisme et francophonie

Nicola D’Ambrosio - Une nouvelle lecture du livre de Hédi Bouraoui: Transculturalisme et francophonie

J’ai fait miennes les polémiques du verbe, les percées de l’adjectif, les pérégrinations de la conjugaison, le pèlerinage des accords, le fourvoiement des adverbes, les frissons du néologisme… J’ai banni, mine de rien, la monotonie des répétitions pour la surprise de l’inattendu, la vacuité soporifique des banalités pour la profondeur du rire qui titube dans le trop-plein de la mort(1).

Hédi Bouraoui, poète, romancier, essayiste, professeur Distingué, Emerite, à Stong college, York University, nommé écrivain en résidence à vie (ce qui implique plusieurs avantages),  organisateur de Colloques internationaux, fondateur du Centre Canada-Magbreb/Méditerranée (dirigé par Elizabeth Sabiston) et de CMC Editions, animateur culturel toujours présent sur la scène littéraire, intellectuel à cheval entre deux siècles, a publié 28  recueils de poésie, 3 livres de “narratoèmes”, un nouveau genre créé par lui,  16 romans dont 9 traduits  dans de différentes langues, 12 livres d’essais, plusieurs prix littéraires. Citoyen d’honneur de deux villes italiennes, Acquaviva delle Fonti(Puglia) et Orbetello(Toscana), globetrotter, Bouraoui nous fait le don de ce livre qui offre le compendium de son existence comme poète, romancier, essayiste, intellectuel. C’est la “summa” de son activité plurielle sous le signe du dialogue et de l’amitié, où les éléments biographiques et bibliographiques sont mis à la disposition du lecteur qui sera certainement intrigué par l’homme, l’intellectuel, l’universitaire et par sa production littéraire et critique.  

Décoré par Mme Julie Payette, Gouverneure générale du Canada, à l’occasion de la prestigieuse cérémonie d’investiture dans l’Ordre du Canada:
“Artiste littéraire, romancier et poète, Hédi Bouraoui est réputé pour son style avant-gardiste. Professeur à l’Université York et ardent défenseur des littératures francophones, c’est à travers son écriture nourrie d’expressions originales qu’il s’attarde à la question des identités, des chocs culturels, de l’intégration, ainsi qu’aux émotions qui en découlent. Il est à l’origine de la philosophie du transculturalisme, qui fait de lui un artisan de l’ouverture à l’autre, avec comme missive un humanisme universel.”

Pour Bouraoui, la culture est le chemin de la tolerance et l’ignorance ne peut être que source de violence (Vers et l’Envers).

Voilà pourquoi il met en évidence ce fluide invisible, intangible et plein de mystères qui tient ensemble toutes les cultures. Mais en Tunisie, on néglige les traces civilisationnelles des Berbères, les vrais fils du pays, des Romains. Aux Tunisiens(Cap Nord), Bouraoui parle de Carthage, ville fondée par les Phéniciens, et d’un personnage historique important, Hannibal Barca, un général prestigieux capable de battre les Romains chez eux, à Cannes, et qui montra une dignité à toute épreuve, un respect du culte des morts et des prisonnières. Un homme courageux, loyal, entreprenant, génial, un point de repère, l’étoile du Berger d’un peuple qui a les ressources humaines et culturelles pour s’émanciper sans avoir recours aux voyages de l’espoir vers la rive nord de la Méditerranée, qui, souvent, se transforment en tragédies.

C’est le cas de l’Égypte (La Pharaone), la mère de l’univers, un pays divisé en compartiments étanches: les riches et les pauvres, les coptes et les musulmans. Tant de contrastes qui font oublier la grandeur d’une civilisation ancienne, celle des pharaons et, en particulier, d’Hatshepsout, la pharaone qui régna pendant une vingtaine d’années tout en garantissant au peuple égyptien bien-être, démocratie et paix. Au Canada les Indiens, les immigrés et leurs cultures sont souvent ghettoïsés. Les Occidentaux, parfois ignorent les apports de la culture orientale à la civilisation mondiale. Cette ignorance, cette pauvreté intellectuelle peut être à l’origine de certaines formes de violence. Comme les individus, les différentes communautés devraient revendiquer avec fierté toutes les appartenances multiples qui ont forgé leur identité à travers les siècles, sans privilégier l’une ou l’autre, pour éviter toute forme de narcissisme, de fanatisme ou de rejet. Le dialogue – dans l’œuvre de Bouraoui tous les genres littéraires, et parfois la peinture et le dessin, participent à un espace commun de création - et le transvasement d’autres cultures favorisent l’harmonie, la mise en valeur de l’homme, « l’Humanisme fondamental qui se dégage de l’universalité des cultures».

De l’Afrique à l’Europe, des États-Unis au Canada, à l’Orient (Thaïlande, Laos), son œuvre est une migration à travers les cultures, le patrimoine des peuples, les valeurs ancestrales de dignité et de liberté, la recherche du genius loci, des spécificités culturelles, des apports irremplaçables à la civilisation de notre planète. La redécouverte d’un passé glorieux, presque mythique - qui a contribué à éclairer les sciences et les arts -, ancré dans l’histoire universelle, renforce l’identité des peuples et favorise cette fierté, ce “nif”, cet orgueil. C’est la clef du rachat des peuples oubliés.

Méditerranéen convaincu, les personnages  bouraouiens rêvent d’établir un royaume de paix dans la Méditerranée, de favoriser l’éclosion de l’art et de l’humanisme méditerranéen, la vrai carte d’identité de Mare nostrum, l’essence du génie méditerranéen capable de parler à un Occident renfermé dans le culte de sa technologie de pointe, d’Internet, de l’Intelligence artificielle, de son économie et de sa force de frappe, de ses activités financiers qui profitent des fluctuations, naturelles ou créées par les groupes dominants, pour réaliser des bénéfices au détriment de l’économie et de la qualité de la vie des pays les plus pauvres.

Les cultures ne s’entrechoquent pas, elles tendent à dialoguer entre elles, à jouer un rôle essentiel. Leurs apports s’harmonisent, s’additionnent et atténuent les tensions d’une crise économique et politique qui, malheureusement, frappe notre planète. Les lecteurs pourront voyager dans les régions les plus lointaines du Globe, de l’Afrique aux Amériques, à l’Europe, à l’Orient, des îles tunisiennes, Kerkenna et Djerba, à la Sardaigne, à la Sicile, des îles grecques aux Baléares, à la Corse, à Malta.

Si d’une part, nombreux sont les risques auxquels la communauté du village global doit faire face, d’autre part de nouveaux horizons éthiques et politiques apparaissent alimentant l’espoir, qui est le signe distinctif de l’homme et de son amour pour la vie. Un intellectuel, Hédi Bouraoui, à toute épreuve, qui ne se renferme pas dans sa turris eburnea. Un écrivain dont les lecteurs vont apprécier la richesse de son écriture qui laissera des traces dans les siècles, “plus durables que le bronze”. La citation en exergue de ce compte rendu souligne l’importance de la richesse formelle et des images inédites, l’amour du mot, polyphonique et polysémique, la création de mots-concepts (Créaculture, Nomaditude...). Sa poésie et sa prose poétique surmontent toute fontière culturelle pour parler à la conscience de l’homme d’aujourd’hui.

Dans les 493 pages de ce livre, l’auteur nous parle de la Francophonie (La Francophonie à l’estomac), «une de mes patries», des Sommets de la Francophonie, du rôle de la langue française en Afrique, de son activité créatrice: recueils de poèmes, narratoèmes, romans et essais qui ont été appréciés par la critique. Cap Nord a été finaliste du Prix littéraire Trillium et du Prix des lecteurs de Radio Canada, Rose des Sables a remporté le Grand prix du Salon du livre de Toronto. Il y a de nombreux extraits de son œuvres, des quatrièmes de couverture, des entretiens des courriels, des lettres des lecteurs ou à ses amis.

Il trace l’historique de ses rapports avec les éditeurs français, canadiens, tunisiens, nous parle de son amour constant pour la poésie. Quelques-uns de ses recueils sont de vrais objets d’art et ont un tirage limité. Au centre du livre il y a une vingtaine de photos extraordinaires, en couleurs, où brille celle avec Juliette Payette, Gouverneure générale du Canada, avec son frère Jalil, avec ses deux neveux et avec sa collègue, sa compagne de voyage de toutes ses activités culturelles, Elizabeth Saison.

Il y a une section du livre dédié aux rapports avec les médias,  avec  les critiques, les intellectuels, avec les professeurs universitaires comme Robert Champigny, Pier Léon, Sergio Villani, Elizabeth Saison, Françoise Nau Dillon, avec lesquels Hedi Bourrou a tissé de profondes relations. Sa participation aux réunions mensuelles d’Aliénor: Cercle de poésie et d’estétique Jacques G. Kraff, à Paris, avec Jean-Henri Bondu et les poètes d’Angers, aux rencontres des Amis de la Poésie, à Bergerac. La création de la Revue Envol, avec Jacques Flamand, au Canada, la collaboration avec la Revue Jointure, les réunions avec l’Association Internationale des Critiques Littéraires( A.I.C.L.), les rapports avec la Revue Culturelle du Grand-Duché du Luxembourg, avec Jeune Afrique, avec les médias tunisiens, La Presse, Le Temps, Réalités, les Maisons d’éditions tunisiennes, l’Or du temps, Leaders. Au Canada, l’Express de Toronto,  Radio CIUT 89,5 FM animée par Éric Cader. Enfin les Colloques internationaux et leurs Actes, les livres et numéros spéciaux   sur son œuvre. Un chapitre est dédié à sa formation en France et aux Etats-Unis, à son activité de professeur au Canada, de Doyen à Stong College, York University (deux mandats de cinq ans chacun), de Directeur du Département d’Etudes françaises ( le D.E.F), - deux mandats de trois ans chacun -, au passage du multiculturalisme à son Transculturalisme. Puis la fondation du CMC dirigé par Elizabeth Sabiston(Betty) et de la Revue CMC où l’on a publié des articles, des comptes rendus, des dossiers d’artistes ou de poètes du monde entier. 

Un ouvrage important, considérable, un testament public qu’il transmet la postérité, la “summa“ de l’œuvre bouraouien qui va certainement intriguer les lecteurs qui se posent des questions sur les problèmes brûlants de notre temps, sur le rôle de l’écrivain dans un monde qui trouble les consciences et qui renouvelle les tragedies de l’Histoire, sur le dialogue entre les cultures. Les lecteurs pourront approfondir la connaissance du transculturalisme bouraouien et de la weltanschauung d’un intellectuel averti. Un livre qui invite à lire l’œuvre de Bouraoui, à apprécier son écriture dense, poétique, musicale, métaphorique, perçante, riche en secousses verbales, en collisions créatrices qui altèrent et détruisent les rapports logiques entre les mots. Ses juxtapositions insolites et imprévisibles, cette recherche spasmodique d’icônes et de factures poétiques mettront les lecteurs en contact direct avec sa création poétique qui éclaire le chemin de l’équité et de la justice, les mystères et l’humain qui est en nous. Un livre prestigieux que la maison d’Édition Leaders a le mérite d’avoir publié et qui donne aux lecteurs la possibilité de suivre l’itinéraire d’un homme, d’un universitaire, d’un critique littéraire, d’un créateur, d’un intellectuel à cheval sur deux siècles, à travers le monde!

Nicola D’Ambrosio (Italie)

(1) H. BOURAOUI, La femme d’entre les lignes, Ed. Du GREF, Collection «Le Beau Mentir», 2002, p. 91.

Transculturalisme et francophonie
De Hédi Bouraoui
Editions Leaders
En librairies et sur www.leadersbooks.com.tn 

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